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Culture

« Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon dieu ? » est bien le pire film de 2019

Le film de Philippe de Chauveron réussit un exploit : celui d'être tellement nul que son problème n'est même pas d'être aussi raciste.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR
Qu'est-ce qu'on a encore fait au bon dieu, critique, cinéma français
©Arnaud Borrel / UGC Distribution

Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? est sorti en salles mercredi 30 janvier, et aux dernières nouvelles, le film totalisait déjà plus de 300 000 entrées, de quoi faire pâlir la concurrence de la comédie française du terroir et démarrer sur les chapeaux de roue – encore mieux que son prédécesseur sorti en 2014, Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, lequel avait tout de même fini à plus de 12 millions d’entrées. Je préfère prévenir tout de suite, je n’avais pas vu le premier volet, mais je m’étais farci un peu par hasard À bras ouverts, également signé de Philippe de Chauveron et déjà avec Christian Clavier et Ary Abittan. J’étais donc en terrain familier, d’autant que j’en gardais un souvenir ému, le running gag le plus drôle du film étant de voir à quel point les injections de Botox faisaient craqueler le visage d’Elsa Zylberstein.

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©Arnaud Borrel / UGC Distribution

L’histoire de Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? est très simple : Christian Clavier et Chantal Lauby, bourgeois catholiques de droite de province, se rendent compte à leur corps défendant que leurs quatre filles veulent chacune partir vivre à l’étranger avec leur mari – lesquels ont déjà le handicap d’être respectivement noir, juif, chinois et arabe, mais ça c’était l’histoire du premier film. Ici, l’intrigue se concentre principalement sur le fait que Clavier va fomenter un coup pour que tout le monde reste en France, et leur montrer qu’il fait quand même bon vivre au pays du général De Gaulle. Il y a aussi la fille lesbienne du dignitaire africain (on l’appellera le dignitaire africain car c’est sa seule fonction dans le film, celle de représenter toute l’Afrique à lui seul en n’étant pas vraiment un personnage, mais en roulant des gros yeux avec un accent rigolo et en détestant les blancs), qui choisit de venir se marier en France parce que contrairement à la Côte d’Ivoire, « là-bas-y’a-la-loi-Taubira » – là aussi, c’est dit avec un accent rigolo.

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©Arnaud Borrel / UGC Distribution

De là, on se rend compte que le synopsis fait office de scénario, tant tout est étiré sur plus d’une heure trente (il nous faut attendre environ le tiers du film pour que les enfants disent aux parents qu’ils veulent s’exiler), ce qui donne l’impression que le film en dure au moins le double. Il n’y a tellement aucune idée que l’intrigue reprend pépouze une partie de celle d’À bras ouverts, lorsque la famille Verneuil accueille un réfugié afghan (dans le film précédent, c’était un rom, mais c’est pareil hein ?), que Clavier prend évidemment pour un terroriste. Plus tard, dans ce qui est sans doute le climax du lol de ce sous-produit télévisuel, l’Afghan, s’étant fait un lumbago suite à des travaux de jardinage, se fait surprendre par Clavier dans sa cabane au fond du jardin en train de se mettre une ceinture lombaire. Clavier croit que c’est une ceinture explosive et lui administre un énorme coup de pelle sur la gueule. La scène est tellement nulle, prévisible et pas drôle (dans mes souvenirs, il y a la musique de Beethoven par-dessus, pour vous situer un peu) que j’ai éclaté de rire nerveusement dans la salle. J’étais le seul, mais en même temps, c’était un samedi matin et il y avait 15 personnes à tout péter (que des gueules de grabataires) au MK2 Quai de Loire.

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©Arnaud Borrel / UGC Distribution

Difficile d’y voir clair à travers cette enfilade de clichés qui se fait passer pour de la satire, si ce n’est que le racisme supposé de Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon dieu ?, présent partout, de tous les plans, de toutes les coupes, n’est en fait que son sujet. C’était déjà le postulat de base d’À bras ouverts (et sa conclusion d’un cynisme assez effrayant) : tout le monde il est laid, tout le monde il est raciste. Du coup, il est inutile de recenser toutes les blagues xénophobes, homophobes et sexistes du film, car il n’y a que ça. Le Juif déteste l’Arabe, l’Arabe déteste le Juif, le Noir sourit et tout le monde se fout de la gueule du Chinois.

Néanmoins, il y a certaines tendances que l’on peut dégager, qu’on pourrait appréhender à l’aune de ses acteurs – car le cinéma français, c’est avant tout des acteurs. Outre Chantal Lauby, qui semble rejouer éternellement le même personnage qui boit de l’eau, Frédéric Chau qui reprend, comme dans ses 15 films précédents, le rôle de « l’Asiatique », et Frédérique Bel dans un rôle de composition méta (puisqu’au lieu de jouer une blonde conne, joue cette fois une brune conne), c’est Christian Clavier et Ary Abittan qui tirent leur épingle du jeu. Dans le film, les deux acteurs dessinent à eux seuls une typologie de la comédie française de merde, qu’on pourrait distinguer en deux catégories :

  • Le Christian Clavier Movie. Bourgeois de province, gaulliste patenté, tendance « c’est pas demain qu’on va m’enculer », il a quelque chose de monstrueux dans sa manière de se gaver, de retour d’un voyage en Afrique, de saucisson, de pâté, d’une bouteille de Chinon et d’un camembert quasiment entier qu’il dépose sur sa grosse tartine pour s’enfourner dans le goitre. À lui seul, il représente ce cinéma français qui se veut populo mais qui porte le gras au bide de l’embourgeoisement, celui qui ne demande qu’à cracher son « okayyyyy » de Jacquouille la Fripouille à la gueule des spectateurs trop cons pour avoir payé pour voir le film, dans un mélange de beauferie voilée et de masochisme à peine réprimé.
  • Le Ary Abittan Movie : Comme le film dans lequel il joue, Ary Abittan n’a pas froid aux yeux. Dans ses précédents films, il jouait un rom, un arabe, un juif, un mec qui s’appelle José Fernandez et un autre qui s’appelle Moshé Benhamou : bref, l’étranger de service, jamais le dernier pour la déconne, toujours prompt à se prendre une rasade de stéréotypes dans la gueule. Ici, il enchaine les clichés sur les Juifs, mais ça pourrait être n’importe qui d’autre tant ses incarnations semblent interchangeables, et à aucun moment ne semblent le faire ciller. Lui, c’est le cinéma qui veut en être, qui veut faire partie de la grande famille, sans jamais se demander s’il n’a pas un peu honte de ce qu’il fait.

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©Arnaud Borrel / UGC Distribution

Le seul moment où le film prend de la hauteur, c’est par ses plans à l’hélicoptère des châteaux de la Loire. On se rend compte qu’on a alors affaire à un film qui aurait pu être signé l’office du tourisme de la Région Centre-Val de Loire, et qui n’a aucune distance avec son sujet. Et c’est là son vrai problème : la satire, et le recul qu’elle impose, sont juste complètement foireux. Le film n’est même pas assez féroce pour être dérangeant, tablant mollement sur des formules éculées qui n’ont fait réagir personne dans la salle. À vrai dire, je me faisais tellement chier comme un rat mort que je me suis demandé ce qu’aurait pu donner Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ?, s’il avait été réalisé par Dino Risi, quitte à avoir affaire à une comédie de mœurs vraiment monstrueuse. Puis mes pensées vagabondes m’ont fait dériver vers Wes Anderson, Stanley Kubrick, Uwe Boll, Jacques-Yves Cousteau… N'importe qui d'autre en fait.

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©Arnaud Borrel / UGC Distribution

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