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Le combat d’un réfugié soudanais contre les centres de rétentions offshore

Pour avoir tenté de se rendre en Australie, Abdul Aziz Muhamat est détenu depuis six ans sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Le 13 février, il a reçu le Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’Homme.
Abdul Aziz Muhamat île de Manus
© Handout / REFUGEE ACTION COALITION / AFP

« Nous avons une vie sombre et un avenir sombre. Nous n’avons pas d’espoir. Ils nous mettent en cage comme des animaux et nous y laissent jusqu’à la mort », explique Abdul Aziz Muhamat. Cette semaine, le jeune réfugié soudanais, 26 ans, nous a envoyé une série de notes vocales depuis Genève où il vient juste de débarquer. « Je ne sais pas vraiment comment je me suis retrouvé ici », s'amuse-t-il. Abdul Aziz est le lauréat 2019 du Prix Martin Ennals. Cette distinction, remise chaque année par une dizaine d’ONG de protection des droits de l’Homme, vise à protéger un activiste en danger.

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Abdul Aziz est né au Darfour dans l’ouest du Soudan. En 2003, la guerre éclate. Elle oppose l’armée régulière et les Janjawids, milices « arabes » inféodées au régime soudanais, aux rebelles issus des populations « noires » locales. « Ce conflit m’a forcé à fuir le Darfour », raconte Abdul Aziz. En 2008, il s’installe à Khartoum, la capitale du Soudan, et s’engage dans le mouvement étudiant. « Nous avons essayé d’unir les gens ensemble derrière l’idée que nous sommes tous Soudanais. Notre union est devenue l’une des plus grosses. Nous étions énergiques et protégés par la loi », se souvient-il. Mais le régime d’Omar el-Béchir réprime durement la contestation. « Nous voulions changer les choses, mais le gouvernement nous a traqués, ils nous torturaient et nous mettaient en prison. Donc je n’avais pas d’autres choix que de quitter le pays pour chercher un endroit sûr », se rappelle Abdul Aziz.

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©Handout / Martin Ennals Foundation / AFP

Abdul Aziz quitte le Soudan en 2013, il a 19 ans. Il gagne l’Indonésie où il tente de reprendre ses études. « Malheureusement, je ne pouvais pas rester. Les relations entre le Soudan et l’Indonésie devenaient plus fortes chaque jour. Je vivais dans la peur et ma vie était en danger, relate le jeune homme qui se sait condamné dans son pays d’origine. J’ai donc décidé d’aller chercher l’asile en risquant ma vie dans les bateaux. Si j’ai pris ce risque, c’est parce que je voulais trouver un endroit que je pourrais considérer comme ma maison. Je cherchais un endroit lointain où je pourrais me sentir en sécurité et protégé par la loi. » Abdul Aziz tente à trois reprises de gagner l’Australie.

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Quand le jeune Soudanais parvient enfin sur le cinquième continent, la désillusion est grande. « Nous avons été interceptés et arrêtés immédiatement par la marine australienne », résume Abdul Aziz. Pour lui et ses compagnons, le cauchemar commence. Ils sont conduits au centre de rétention offshore de Manus Island, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. « Le gouvernement australien m’a mis dans un centre de détention. Ils ont remplacé mon nom par un numéro. C’est comme ça que l’Australie me voyait, comme un numéro », constate Abdul Aziz épuisé. Il a passé six ans sur l’île-prison. « Ils nous ont vraiment maltraités. Ils nous ont mis dans une situation vraiment horrible qui nous a abîmés physiquement et mentalement. Ils nous ont déshumanisés en nous traitant comme des animaux ».

Depuis 2012, l’Australie enferme les réfugiés dans des centres de détention situés hors de son territoire sur les îles de Nauru et Manus. En mai 2017, le Guardian révélait que les autorités y rendaient les conditions de vie aussi inhospitalières que possible faisant exploser le nombre de suicides. « J’ai dû voir plus de 150 tentatives de suicide. Tous les jours, des gens tentent de se suicider en se tailladant ou en se pendant, expose Abdul Aziz. Douze personnes sont mortes sur Manus Island, l’une a été tuée et les onze autres se sont suicidées ou sont décédées à cause des négligences médicales. Nous n’avons pas de traitements médicaux, pas d’hôpital, pas de docteu », détaille-t-il.

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©Saeed Khan / AFP

« J’ai réalisé qu’il fallait parler plus fort pour les réfugiés à travers le monde et ceux de Manus et Nauru. Ils ont besoin de quelqu’un qui parle et qui se bat pour eux. J’ai décidé de le faire », clame Abdul Aziz. Depuis sa prison, il contacte la presse et laisse des milliers de notes vocales au journaliste australien Michael Green. Ces messages donneront naissance, en janvier 2017, au podcast The Messenger, diffusé notamment par le Guardian et récompensé du grand prix au festival international Radio Program Award à New York. « J’ai parlé et finalement la communauté internationale a fini par apprendre notre existence, se félicite Abdul Aziz. C’est un honneur pour nous et un moment historique que nous n’oublierons jamais. Finalement, l’histoire de Manus Island fait les gros titres des médias internationaux ».

« Mon conseil à chaque être humain c’est de ne pas perdre son humanité dans la cruauté »

En avril 2016, la Cour suprême de Papouasie-Nouvelle-Guinée a jugé illégale la détention des réfugiés dans le centre offshore de Manus. Les services de base sont coupés. L’Australie, quant à elle, se désengage progressivement. En octobre 2017, les réfugiés refusent d’être transférés dans un centre similaire à Nauru. Sur place, ils sont confrontés à une crise humanitaire et à l’hostilité de la population. « Nous avons été présentés aux habitants de Manus comme des criminels et des gens très mauvais, pas comme des réfugiés », nous informe Abdul Aziz. Aujourd’hui, des centaines de personnes continuent de vivre dans ces conditions.

« Je suis là pour partager notre histoire avec la communauté internationale et lui donner connaissance de notre existence et de notre lutte contre la façon dont on nous garde sur cette île », déclare Abdul Aziz après avoir reçu son prix. Son combat n’est pas terminé et il compte retourner sur Manus dans les jours qui viennent – il a obtenu un visa de deux semaines pour la Suisse – pour continuer son combat, avec détermination. Il nous envoie une dernière note sur Whatsapp : « Mon conseil à chaque être humain c’est de ne pas perdre son humanité dans la cruauté ».

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