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Portrait d’un gilet jaune : du pacifisme à la haine

René* était pacifiste au début du mouvement des « gilets jaunes ». Puis le vent a tourné. Du pacifisme à la violence, des ronds-points aux gardes à vue, de la liberté au sursis, portrait de ce Normand qui a changé.
Gilet jaune manifestant
Photo: Z. Abdelkafi / AFP

Photo: Z. Abdelkafi / AFP

René* approche de la quarantaine. Un ras-le-bol général l’a mené à rejoindre le mouvement des « gilets jaunes » le 17 novembre 2018. Sa femme avait également rallié la cause avant de lâcher deux semaines après le début des manifestations. « Nos revendications tournaient autour du pouvoir d’achat, du prix du carburant, clame René. Nous étions pacifistes, je l’ai toujours été, clame l'intéressé. Enfin, jusqu’au 5 janvier 2019 et l’acte VIII. »

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René est ouvrier dans l’Orne. Il travaille en « 2x8 ». Pendant plusieurs jours, il s’est posté sur le rond-point de l’Espérance à Lisieux, dans le Calvados. « Je dormais seulement trois heures par nuit », se remémore-t-il, mais galvanisé par la cohésion au sein du groupe il a tenu. « Le 17 novembre, je suis arrivé à 6 heures du matin et j’ai arrêté mon premier camion à 7 heures. Celui-ci est reparti le lundi à 17 heures. Nous étions entre 3 000 et 3 500. Tous les grands axes étaient bloqués ». René est motivé. Il espère que le gouvernement entendra ses doléances et celles de ses compagnons de fortune.

Le mercredi 21 novembre, René lâche son rond-point du Calvados à Lisieux et débarque à L'Aigle, ville ornaise qui compte environ 8 000 habitants. « Je voulais savoir s’ils avaient besoin de renfort, la ville de Lisieux était bien tenue ». Le Normand a trouvé l’ambiance assez froide : « Il y avait peu de personnes. Une vingtaine au mieux. Tout était organisé « à l’arrache ». Les « gilets jaunes » avaient ciblés un rond-point dans la ville à quelques pas d’un hypermarché ». Le père de famille a alors mis les pieds dans le plat. « Pour faire bouger les choses, nous avons changé d’endroit. Un rond-point plus passant, celui qui permettait aux automobilistes et aux routiers de rejoindre les grandes villes du département ». Il organise le vendredi 23 novembre un grand blocage de poids-lourds dans l’Orne avant de retourner les jours qui suivent sur le rond-point à proximité du centre commercial.

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« Nous venions contester les mains dans les poches, un sac à dos avec un sandwich, de l’eau, du sérum physiologique et un masque pour se protéger le nez. Tout était considéré comme des armes, la patrouille nous a seulement laissé nos sandwiches »

D’un rond-point à l’autre, d’un département à l’autre, René décide de monter à Paris pour l’acte II, le samedi 24 novembre. A peine arrivé Porte Maillot, il décide de faire demi-tour devant l'imposante présence policière, qui le fait flipper. Direction la barrière de péage de Dozulé (Calvados) pour une opération « péage gratuit ». René vivra au rythme des blocages jusqu’au 21 décembre, jour où « son » rond-point ornais a été démantelé par les forces de l’ordre.

Acte IV, René décide de retourner à Paris. « Porte Maillot, premier barrage de CRS, première fouille. Notre groupe – nous étions 5 – s’est retrouvé avec des gars armés de marteaux et autres burins. Ces mecs n’avaient pas les mêmes objectifs que nous. C’étaient des casseurs ». René parle de « répression à fond de cale. Nous avions l’impression d’être des terroristes ». La haine commence alors à monter. « Nous venions contester les mains dans les poches, un sac à dos avec un sandwich, de l’eau, du sérum physiologique et un masque pour se protéger le nez. Tout était considéré comme des armes, la patrouille nous a seulement laissé nos sandwichs ». Lestés de leurs affaires, les Ornais remontent l’avenue de la Grande-Armée, puis la place de l’Etoile. « Nous sommes arrivés sur les Champs-Elysées. Tout a été bouclé très rapidement, nous étions parqués. Aucun moyen de sortir. Vers 10 heures, premier gazage. Nous, nous étions manifestants-spectateurs. Côté "Gilets jaunes", des barricades se montaient, des pavés étaient jetés. Côté CRS, les balles de flash-ball fusaient ». Six heures après, il réussit à s’extirper et repart calmement. Ce jour-là, René et sa « bande » auront été fouillé sept fois.

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Les samedis se suivent et se ressemblent. Acte V place de l’Opéra à Paris. « Le scénario prend de l’ampleur : fouilles, canons à eaux, blindés, garde montée, gaz lacrymogène. Ce jour-là ça a cassé dur, ça a dégénéré. Moi, j’étais calme j’ai réussi à me dégager à temps mais intérieurement j'étais tellement énervé ». Acte VII, les grenades de désencerclement entrent dans la danse. Le pacifisme prendra fin ici, à Caen, au rond-point d’Ifs lorsqu’un projectile explosera le train arrière d’un véhicule. « Au lieu de venir nous parler, ils [les gendarmes mobiles, NDLR] nous ont attaqués. Ils ont jeté leurs grenades sur nous sans sommation. C’était violent. J’ai toujours préféré le dialogue au chaos mais là c’était trop ». Injustice, frustration et colère, le processus de radicalisation est lancé.

« J’avais prévu les lunettes de ski, le masque. J’étais prêt pour aller au plus près, prêt pour aller au combat. J’ai pété un câble »

Le 5 janvier 2019, René converge vers Rouen pour l’acte VIII. Le cortège se forme au niveau de l’Hôtel de ville. Les manifestants sont pacifistes. « A 11h45, nous avons été bloqués par les gendarmes. Lacrymo, grenades, flash-ball… la violence est montée d’un cran. Les "Gilets jaunes" ont mis en place des barricades. Des papis démontaient les pavés au burin. D’autres types incendiaient des poubelles. De vraies scènes de guérilla urbaine. Une femme à côté de moi a été blessée par une grenade alors qu’elle ne faisait rien de mal ! Je suis devenu fou. Le gaz énerve, rend cinglé. Je me suis posté entre les forces de l’ordre et les barricades pour titiller les "chiens de Macron". C’était de la haine. Il y avait un tel niveau de pression ».

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René et ses quatre amis prennent finalement la poudre d’escampette. « On s’est mis à courir dans les petites rues mais le groupe a été scindé ». Michel, un ami ornais, est tombé et s’est fait charger par les blindés. A terre, il demande de l’aide aux forces de l’ordre. « Ils lui ont répondu tu te démerdes, tu peux crever dans la rue ». Pendant ce temps, René s’enfonce, seul, dans les ruelles rouennaises en essayant d’échapper aux gendarmes. « A un moment, j’entends une détonation. Une femme venait de se prendre un tir de flash-ball. Je ne me suis pas arrêté, c’était chacun pour soi. Au bout de 800 mètres, j’ai reçu une barre de fer dans les chevilles puis une balle de flash-Ball. Je me suis stoppé net ».

Animé par la haine et porté par le mouvement de groupe, René participera, ce jour-là avec d’autres manifestants, à une dégradation de biens. René est devenu un militant casseur sans pour autant s’associer aux manifestants rassemblés dans des Black Blocs, qui eux sont « structurés et présents pour tout péter ».

Une semaine plus tard pour l’acte IX, René arrive à Rouen blessé et « très énervé. J’avais prévu les lunettes de ski, le masque. J’étais prêt pour aller au plus près, prêt pour aller au combat. J’ai pété un câble ». Finalement, il se postera en première ligne, interpellera les forces de l’ordre sans violence physique. « Dans la journée, une équipe de journaliste a été agressée. Les manifestants pensaient que c’étaient des flics de la BAC. J’étais à proximité, j’ai ramassé le micro tombé à terre et me suis éloigné ».

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« Je suis "Gilet jaune" dans ma tête maintenant, car fiché individu violent et interdit de manifestation en France »

Durant l’acte X, René a « cherché » les gendarmes. « Je suis allé au contact, j’ai fait le guignol. J’ai joué au chat et à la souris avec eux ». Le Normand sera finalement interpellé. « J’ai entendu hurler, je me suis mis en boule le long d’un mur. J’étais totalement recroquevillé ». René a pris deux coups de matraque dans le torse puis « un gendarme a posé son pied sur ma tête pour la coller au sol. Je ne pouvais plus respirer. J’étais en train de m’étouffer ». Le Normand finira en garde à vue. « 32 heures de garde à vue avec cette violence psychologique inouïe. Tu es traité comme de la merde. On essaie de te pousser à bout pour te faire avouer des choses. L’ambiance était délétère ». L’arrivée de son avocate l’aidera et lui permettra de tenir. Les insultes des forces de l’ordre lors de l’interpellation résonnent encore dans sa tête. « Bâtard » ; « On va baiser ta mère » ; « Ferme ta gueule »…

Cette première garde à vue restera à jamais dans l’esprit de René. « Le bruit dans les cellules. Les gardés à vue qui cognent toute la nuit dans la porte, ceux qui se mutilent. La crasse, la puanteur. Le petit matelas en mousse posé à même le béton, la couverture qui sent mauvais. La nourriture immonde. Les gardiens plus ou moins cools. Les sanitaires à l’extérieur de la pièce. On ne peut pas se laver. Ça pue la mort… » En sortant de l’Hôtel de police, René s’est effondré. « Qu’est-ce-que j’ai fait ? Quelle connerie m’est passée par la tête pour en arriver là ? »

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Ces 12 et 13 janvier, René pensera à mettre fin à ses jours. « Je n’aurais jamais vu ma vie comme ça. J’ai été porté par l’effet de masse même si j'assume mes responsabilités. J’ai tenu en pensant à ma fille et à ma nouvelle compagne rencontrée sur un rond-point. Le temps des ronds-points me manque, je n’aurais jamais dû en partir ». Il sortira de garde à vue avec un rappel à la loi. Ce jour-là, René arrêtera tout. « Je suis "Gilet jaune" dans ma tête maintenant car fiché individu violent et interdit de manifestation en France ». Seulement, les erreurs passées le rattraperont. Jeudi 7 février, 6 heures du matin. Les gendarmes frappent à la porte de René. Il est seul avec sa fille. Interpellation. « Ils se sont jetés sur moi comme à la télévision. J’avais l’impression d’être un terroriste ». 37 heures de garde à vue. Le Normand est suspecté d’avoir incendié un distributeur de billets de la Caisse d’Épargne rue Louis-Ricard à Rouen, lors de l’acte VIII des Gilets jaunes. Comparution immédiate. « J’ai écopé de deux mois de prison avec sursis. Le montant de l’amende sera connu en juin prochain ».

René regrette amèrement. Il s’est senti « pousser des ailes. Tout s’est mélangé dans ma tête. J’ai même quitté ma femme le 24 décembre ». Aujourd’hui, la peur l’habite. Il attend sa prochaine audition prévue dans quelques jours concernant le passage à tabac des journalistes à Rouen. Il craint devoir effectuer de la prison ferme. Il espère désormais « pouvoir retrouver le sommeil » mais seulement lorsqu’il aura payé ses erreurs, bien-entendu…

*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat du protagoniste.

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