Les mecs qui ont la dalle vont chez Mac Hallal
Photos : Salim Jawad

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Les mecs qui ont la dalle vont chez Mac Hallal

Dans ce célèbre snack de Bobigny, on a deux spécialités : le lien social et les burgers à plusieurs étages.

L’avenue Louis Aragon à Bobigny, c’est Hollywood Boulevard version bouffe de rue. Sur cette longue artère un peu triste comme il en existe beaucoup en région parisienne, pas d’étoiles gravées dans le sol mais une succession de snacks plus ou moins bons, plus ou moins célèbres. Quiconque aurait un jour une grosse envie de graille dans cette petite ville du 93 devinerait instantanément que c’est ici qu’il faut venir s’éclater le bide. Au milieu des crêperies, des rôtisseries et des gargotes aux saveurs quelconques, le Mac Hallal a su tirer son épingle du jeu. Les gens du coin disent que c’est une institution.

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La devanture du Mac Hallal, à Bobigny.

Devant ce « grec sans broche qui tourne », entre midi et deux, un défilé de clients qui n’ont en apparence rien à voir les uns avec les autres : un vieillard octogénaire, des couples avec leurs gosses, des équipes de potes, des collègues de bureaux, des femmes voilées, d’autres aux cheveux lissés, une grand-mère au brushing impec’, un mec en fauteuil. Pourquoi les gens se pressent ici ? Pour en avoir fait l’expérience, la bouffe est relativement bonne. Les portions sont copieuses. Mais surtout, c’est une particularité mise en avant jusque dans l’enseigne, la viande est certifiée 100 % Halal.

En salle, des enseignes lumineuses accrochées au mur clignotent et dégueulent un flot discontinu de couleurs criardes. Il y a un côté un peu fast-food artificiel, quelque chose de Disneyland. On se renseigne et on nous dit que le décor change régulièrement. On croise Bryan, un client qui « claque toute sa paye » ici et affirme avoir gouté à « tous les sandwichs de la carte ». Une seule salle donc, mais pour combien d’ambiances ?

Pour servir tout ce beau monde, dix salariés se relaient 7 jours sur 7. Sur le gril, quelques classiques de la culture snack mais surtout, une large place donnée à l’imagination des clients : « Si tu veux des cornichons, pas de fromage, un autre pain, juste un steak, il n’y a pas de problèmes. On a nos recettes de sandwichs mais si tu veux te faire un truc un peu spécial, on te le fait. Si tu veux un parfum de smoothie qui n’est pas écrit sur la carte mais qu’on a les fruits pour le faire, on te le fait. Tu peux même transformer ton sandwich en tacos si t’as envie », explique Tahar, le propriétaire du Mac Hallal.

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À écouter Tahar parler de bouffe, on a l’impression qu'il serait un peu con de se cantonner à la broche et aux plaques de cuisson. On a l’impression que c’est devenu beaucoup plus que ça un « grec ». Chose qu’on comprend en voyant la liste de produits proposés au Mac Hallal. Si Gordon Ramsey voyait la carte il se dirait surement un truc comme : « C’est quoi ce merdier ? Comment faire du bon en proposant tout ce choix ? » Ici, en plus des sandwichs et des burgers, on peut s’envoyer des sortes de Bruschettas à la mode orientale. Chez Mac Hallal, on boit des milk-shakes, des smoothies et des bubbles teas ; on finit son repas avec un tiramisu fait par un jeune du quartier. Il n’y a pas vraiment de codes.

Côté sandwichs, Mac Hallal fait bien plus que le taff. Il y a la gamme des chickens, il y a le bien nommé Monster, un burger qui compte 4 steaks de 100 grammes, il y a le 360 (comprendre, 2 steaks de 180 grammes empilés l’un sur l’autre). Et puis il y a les sandwichs très « culture snack » – ceux dans lesquels les viandes et les garnitures s’additionnent à l’envi, pourvu qu’elles soient entre deux tranches de pain : Le Seven, par exemple, compte sept étages de barbaque. Le combo le plus cher coûte 11 euros.

En plus de ces immeubles de bouffe, le Mac Hallal élabore ses propres recettes, plus ou moins recherchées : le Tartiflette, le Mac Tunis et le Savoyard, un sandwich qui fait la réputation du lieu. Il est composé d’émincés de poulet grillé, d’une galette de pomme de terre, de lardons de dinde et de cheddar. Pour Zora et Mouloud, deux habitants du quartier d’une quarantaine d’années, « C’est le meilleur sandwich qu’on a jamais mangé ».

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Tahar met un point d’honneur à bichonner ceux qui poussent la porte de son snack : « C’est comme ça qu’on fidélise, que les gens en parlent entre eux, etc. Puis moi, quand je vais quelque part, j’aime être bien servi. Dans certains grecs c’est à la chaîne ; ici, on enchaîne mais on prend soin de tout le monde. Des fois, j’me pose, je discute avec eux. J’ai des grosses bécanes donc il y a souvent des mecs qui s’arrêtent pour parler moto avec moi. Il n’y a pas que ce côté où les gens mangent et se barrent. On papote, on rigole. Beaucoup de gens préfèrent venir ici que de se poser au café. C’est un peu comme les petites boulangeries qu’on voit dans les reportages à la campagne ; le mec s’en fou de la baguette mais il vient dans l’espoir de croiser une tête qu’il connaît pour échanger un peu. On essaye de créer du lien avec nos clients. »

Si Tahar s’efforce de nouer un contact avec ses clients, il déplore la nature des relations entre son snack et la mairie de Bobigny. À l’écouter, elles sont plutôt tendues : « La mairie choisit les entrepreneurs qu’elle veut valoriser et délaisse les mecs comme nous – qui entreprenons aussi et essayons de développer des concepts – ou l’épicier du coin qui a commencé avec rien et qui tourne super-bien. » Tahar sait que les snacks de quartiers sont parfois pointés du doigt à cause d’une frange de la clientèle qui les fréquente : « Si un client vient à minuit, met du JUL à fond et commence à se poser avec ses potes, je vais le voir et je le calme direct. Depuis plusieurs années, moi comme les autres autours, on fait des efforts sur la communication. C’est pas une simple histoire de beaux packagings (sic) et de réseaux sociaux, ça passe aussi par le respect du voisinage. » Une chose est sûre, le boss de quarante ans n’aime pas se faire emmerder – surtout quand il s’agit de son business. En 2016, le patron charismatique a eu quelques démêlées avec la justice, en partie à cause de son snack. Dans un article publié dans L'Obs, Tahar parle plutôt d’« injustice ». C’est maintenant derrière lui.

Si un client vient à minuit, met du JUL à fond et commence à se poser avec ses potes, je vais le voir et je le calme direct.

Désormais, Tahar veut émanciper le « snack de quartier ». Il veut l’emmener vers une autre dimension. À Bondy, il a ouvert le Harry’s, le même genre de restaurant à burgers premium que l’on trouve dans le centre de Paris. Si le « grec » était surtout apprécié et fréquenté par des jeunes de quartier qui trouvaient de quoi se blinder la panse pour 5 balles, aujourd’hui, à l’image des restaurants à sushis, le concept s’est démocratisé. Combien de temps avant que les sandwicheries comme le Mac Hallal deviennent aussi fréquentées que des brasseries ?


Mac Halal Restaurant, 46 Avenue Louis Aragon, 93000 Bobigny.