Moustache factice et pénis en coton : avec les drag-kings français

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Moustache factice et pénis en coton : avec les drag-kings français

‪Une journée avec des femmes qui se griment pour s'affirmer.

Louise de Ville (au centre) en compagnie de deux participantes à l'atelier. Toutes les photos sont de l'auteure.

La scène s'éclaire et la salle devient silencieuse. Sur l'estrade, la silhouette d'un jeune homme brun se détache. Il porte un bleu de travail et des chaussures de sécurité. Sous les ricanements de la foule, il mime des pompes puis s'embrasse les biceps. Peu à peu, ses gesticulations se font lascives. La voix nasillarde d'un chanteur aux intonations country s'élève dans la pièce : « Shake it for me girl. » Le bleu de travail tombe au sol pour révéler des porte-jarretelles – qui soulignent les jambes d'une femme sculpturale. À l'issue du strip-tease, les chaussures de chantier sont remplacées par des talons aiguilles – qui résonnent quand la jeune femme quitte la scène et met fin à mon premier spectacle de drag-kings.

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Pendant féminin des drag-queens, les drag-kings interprètent un personnage masculin le temps d'une soirée, ou d'une performance. La pratique est ancienne – l'émergence de scènes dédiées en France, un peu moins.

Samedi 25 juin, un atelier drag-king est justement organisé à Pigalle par le cabinet de curiosité féminine, une association dédiée aux multiples sexualités. Aujourd'hui, c'est Louis – l'alter ego masculin, tout en moustache et perruque garçonne, de Louise de Ville – qui sera chef d'orchestre. Louise est Américaine. Cette comédienne, performeuse burlesque et activiste queer est devenue maîtresse dans l'art de se travestir.

À l'intérieur, ça se fout à poil sans vergogne, ça se compare les seins sans gêne. « De toute façon, moi, j'ai trop de poitrine et trop de cheveux pour être un mec », peste Alexia, tout en fourrant sa crinière dans une casquette. Louise, petite et menue, jure en anglais et sautille impatiemment afin d'attirer l'attention de ses ouailles. Nous sommes une petite dizaine à vouloir tenter l'expérience – de tous les âges, de tous les milieux, animées par la même envie de « faire comme si ».

Louise de Ville

Beaucoup sont ici après avoir vu Parole de king, un documentaire réalisé par Chriss Lag – que je rencontre dans un café à Châtelet. Alors que la réalisatrice suivait Louise de Ville pour le tournage d'un moyen-métrage intitulé Portrait d'une bad girl, elle l'a surprise en pleine conversation avec une autre artiste. Cette dernière ne parvenait pas à comprendre le choix de Louise d'intégrer des numéros drag-kings dans sa routine burlesque. Chris m'affirme que c'est là qu'elle a réalisé que « ce n'était pas seulement quelque chose de fun, mais qu'il y avait également un véritable enjeu politique ».

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La suite des évènements donnera raison à la réalisatrice, puisque le tournage se déroulera pendant les débats entourant le mariage pour tous – débats souvent agrémentés de polémiques autour de la notion de genre, polémiques alimentées par la Manif pour Tous. « Le king est une méthode illustrée au sujet de la construction sociale du genre, insiste Chriss. C'est pour ça que les ateliers sont si importants. Ça permet de le vivre dans son corps, de l'expérimenter. On n'est plus dans la théorie. »

Du côté de Pigalle, Louise renchérit : « Toutes les femmes devraient faire ça au moins une fois dans leur vie. » Pour l'heure, elle prévient : « Je ne réduis pas les hommes aux archétypes que l'on va explorer. Il faut aller loin pour commencer. Les mecs ne sont pas tous des machos, mais nous, aujourd'hui, si. »

« Le drag-king est un personnage qui est dans l'exagération du masculin et des codes de la masculinité. Il flirte avec le ridicule, sans complètement y tomber, sinon il perd en crédibilité », me précise Tom Nanty, auteur, artiste plasticien et comédien. Connu pour ses spectacles de drag-king, il étudie les questions d'identité de genre – en évoquant notamment son expérience d'homme transgenre.

« Il n'y a personne avec du maquillage ou du vernis à ongles ? Il nous faudrait une base neutre », s'inquiète Louise en début de journée. Sans se démonter, notre Monsieur Loyal lance les hostilités. Le programme sera martelé tout au long de l'atelier : cap sur les 3B. Première étape : le binding. Deux par deux, nous nous bandons les seins. L'action demande un certain doigté : il faut tirer notre poitrine vers nos aisselles et comprimer autant que possible, sans étouffer. Louise passe dans les rangs, encourage, réajuste et enchaîne les blagues pour détendre l'atmosphère. « Tout doit disparaître les mecs, on ne veut surtout pas de monoboobs hein ! », dit-elle en riant. Déjà, les épaules s'ouvrent, les dos se redressent, la façon de marcher se fait différente. « Plus rigide, plus masculine ! », exhorte Louise.

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Nous nous attaquons ensuite à la barbe – le deuxième B. D'un geste théâtral, la maîtresse de cérémonie nous désigne une table où se bousculent crèmes, postiches, crayons et mascara, fièrement rebaptisé manscara pour l'occasion. « Moi, je trouve ça subversif d'utiliser du maquillage pour se transformer en mec », exulte Louise, hilare. L'odeur entêtante mais douce de la crème qu'on étale sur les mâchoires contraste avec la rugosité des faux poils posés dessus. Certaines participantes optent pour la moustache, d'autres se dessinent une barbe de trois jours directement au fard. « Ça m'a permis d'accepter mon duvet », m'affirme Louise.

Sous les coups de pinceau, les sourcils se font plus épais, les petits cheveux se transforment en pattes. Devant la glace, les réactions sont viscérales. « Merde, on dirait mon frère ! », s'exclame Cécile*. Margot*, elle, fait la moue. « Je ne suis pas très beau », constate-t-elle, comme déçue.

De son côté, Tom se marre. « Moi, tu vois, ce que je trouve jouissif, c'est de s'autoriser à être moche. J'adore l'idée d'être un mec un peu dégueulasse, pas hyper soigné. »

Louise met tout le monde d'accord avec l'annonce du troisième et dernier B. « C'est l'heure de la bite, claironne-t-elle. Un carré de coton que vous allez séparer en deux boules aérées constituera vos couilles. Un autre, que vous allez rouler en forme de cône, servira de sexe. » Elle se marre et commente la taille des engins. « Je vous préviens, comme je suis Américaine, vous êtes tous circoncis d'office ! » Le faux sexe termine sa course dans un collant, que l'on vient glisser dans son pantalon. « Mais ça se voit à peine », s'exclame Anne*, déçue.

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Un pénis factice, confectionné à partir de coton

Vient le moment de passer aux choses sérieuses. « À partir de maintenant, les mecs, on ne sourit plus », ordonne Louise. Se déplacer, s'asseoir, saisir des objets, interagir – tout est à revoir. C'est là que l'on se raconte sa petite histoire, et que l'on détermine qui on a envie de devenir. « Il faut savoir qui est son personnage, quel est son rapport avec son corps, s'il est macho », me détaille Tom. Il se marre et ajoute : « Et même savoir comment ça se passe avec sa mère ! »

Parfois, il arrive que notre alter ego masculin s'impose de lui-même. Elvira de Bord est performeuse burlesque depuis des années. Mais c'est en Augustin que je la rencontre à la Prude Party. Regard canaille et moustache frétillante, elle m'explique son parcours. « La première fois que j'ai fait une soirée en king, ma moustache n'arrêtait pas de se décoller, avoue-t-elle. J'étais obligée de remonter le coin de ma bouche. Ça a donné un côté un peu crapule, et c'est resté, même sur scène. »

Et Augustin de poursuivre : « Pour moi, ce qui définit le mieux les drag-kings, c'est leur ouverture. On s'en fout de savoir si tu es hétéro, lesbienne, si tu as envie de transitionner. Ce qui compte, c'est ce que tu exprimes ».

Tom ne dit pas le contraire : « Même moi, en tant que mec trans, avec mon apparence masculine, je peux venir questionner ce que c'est qu'être un homme. Il y a à la fois un aspect personnel thérapeutique, très jouissif, et une façon d'aller délivrer un message sans que ce soit moralisateur, dans une dimension un peu loufoque. » Augustin, encore : « Les drag-kings sont multiples. Certaines font ça juste en soirée, d'autres se produisent sur scène. » Sauf que les espaces dédiés se font rares.

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_Le _binding__

En 2012, Louise de Ville et la journaliste et écrivaine Camille Emmanuelle ont créé les soirées Garçonnes, afin d'ouvrir au plus grand nombre l'expérience drag-king. Depuis ? Pas grand-chose de régulier, même si les soirées Pretty Propaganda inscrivent souvent des spectacles de drag-kings au programme.

Également rencontré à la Prude Party, le drag-king britannique Mr Golden Balls me confirme que la scène est bien plus dynamique à Londres. Quand il l'a croisé, Tom se souvient avoir pensé : Putain, ce serait génial de faire un échange, comme au collège !

Pour l'heure, Chriss Lag et Louise de Ville ont lancé Kabaret Kings, des représentations autour des kings qui témoignent dans le film. « Le documentaire a réussi a créé du lien », se réjouit Chriss. « Il a éveillé une conscience de groupe – la conscience qu'on n'est pas tout seul à faire ça, ajoute Tom. C'est un peu comme une bande de potes qui se retrouvent pour porter la moustache, en fait ! »

*Ces prénoms ont été modifiés dans un souci de confidentialité.

Si vous souhaitez consulter une vidéo réalisée pendant l'atelier drag-king, allez sur le site de Rachel Hipszman.

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