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LE NUMÉRO BRÉSILIEN

Circuit electric

Si l’on te demande de citer des musiciens brésiliens, il y a de fortes chances pour que tu cites les starlettes electro-pop du moment, à savoir CSS, Bonde do Rolê ou Gui Boratto.

Le premier disque de Damiao, la pochette d’un disque obscur de Gabriel Araujo (big up à experimentaletc.blogspot.com), une performance de Lygia Clark et une compile de Baile Funk

Si l’on te demande de citer des musiciens brésiliens, il y a de fortes chances pour que tu cites les starlettes electro-pop du moment, à savoir CSS, Bonde do Rolê ou Gui Boratto. La dictature militaire n’a pourtant été renversée qu’en 1985 et l’insouciance des gadjos de la classe aisée singeant les ghetto kids des favelas reste récente – il y a encore vingt-cinq ans, ces rigolos auraient été fissa au mitard. Ça me fait tout de même bien chier que le pays le plus grand et le plus peuplé d’Amérique latine en soit réduit à incarner l’Empire de la Croupe Luisante et de l’Hédonisme Jet-set, alors que la réalité est autrement plus hardcore – entre la ségrégation sociale et le ratiboisement de la forêt amazonienne, c’est pas fun pour tout le monde. C’est sans doute pour cela que la culture brésilienne est imprégnée à la fois d’esprit contestataire et de flegme sensuel, de mysticisme vaudou et de joie de vivre. En voici un panorama subjectif, via une sélection de denrées précieuses des années soixante jusqu’à aujourd’hui.

LYGIA CLARK – DE L’ŒUVRE À L’ÉVÉNEMENT (MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE NANTES, 2005)
Cette éminente artiste brésilienne née en 1920, chef de file du néo-concrétisme, a surtout été reconnue pour son travail sur le corps, notamment ses performances liées à la perception sensorielle, impliquant le spectateur dans un processus rituel tout chelou. Si tu veux t’initier au langage du corps pré-booty et connaître les joies de la « bave anthropophagique », commence par mater son boulot. HAROLDO DE CAMPOS – UNE ANTHOLOGIE (AL DANTE, 2006)
Haroldo de Campos est l’initiateur d’une « pensée de la dévoration critique du legs culturel universel, élaborée non pas à partir de la perspective soumise et réconciliée du “bon sauvage” mais selon le point de vue désabusé du “mauvais sauvage”, dévoreur de blancs, anthropophage ». Si je te dis que ce grand monsieur est le pilier du mouvement de poésie concrète des années soixante-dix et le fondateur du groupe Noigandres, tu vas encore faire un comment de merde ou t’en branler complètement, alors je préfère en rester là. OS MUTANTES – OS MUTANTES (1968)
Avec Caetano Veloso, Gilberto Gil, Gal Costa et Tom Zé, ce groupe phare du mouvement tropicaliste est incontournable. Si tu n’as jamais écouté leur premier album enregistré en 1978, tu peux te rattraper avec leurs hymnes psyché-pop « Ou Panis et Circensis » et « Bat Macumba ». JORGE ANTUNES – SAVAGE SONGS (WORKS FROM 1961-1970) (POGUS, 2004)
Antunes est un compositeur électroacoustique phénoménal, l’un des pionniers de l’electro au Brésil. Avec les bécanes qu’il fabriquait (filtres, modulateurs et autres générateurs d’ondes), ce précurseur a composé des pièces hallucinantes, de la techno expérimentale bien avant la lettre. TOM ZÉ – TODOS OS OLHOS (1973)
La merveilleuse pochette m’a longtemps laissé perplexe. Vérification faite, il s’agit d’une bille de verre prisonnière d’un croupion épilé. Cet allumé de génie fut relancé par David Byrne dans les années quatre-vingt-dix. À 74 ans, ce multi-instrumentiste pète la forme et continue de produire une samba expérimentale servie par des textes sarcastiques. Cet irréductible révolutionnaire apparaissait récemment sur scène vêtu d’une combinaison de DJ avec platine intégrée au torse. « Lorsque les artistes créent, ils le font pour s’élever de la masse. Moi, je crée pour essayer d’atteindre le même niveau que la masse. » Un total DO. DAMIAO EXPERIENÇA – PLANETA LAMMA (1974)
Daminhão est un illuminé génial, croisement entre Lee Perry et Sun Ra. Cet authentique pimp des rues de Rio a produit plus de trente disques, odes à l’insurrection en marge de l’industrie musicale. Sa musique, qu’il a commencé à produire en taule, est un mélange surréaliste de bruits bizarres, de percussions, de guitare à une corde et de mantras dans un dialecte imaginaire en provenance de la planète Lamma, prophétisant que le Brésil ne sera jamais libre. NANÁ VASCONCELOS – SAUDADES (1976)
Alors là, chapeau bas et respect éternel. Ce percussionniste et joueur de berimbau émérite a collaboré avec des types de la trempe de Don Cherry et a signé des bijoux de jazz-candomblé. Saudades me met en transe à chaque fois que je l’écoute, c’est un pur joyau inclassable et intemporel. SÃO PAULO UNDERGROUND – THE PRINCIPLE OF INTRUSIVE RELATIONSHIPS (AESTHETICS 2007)
Avec un sous-titre pareil, tu vas me dire, encore un truc de relou qui revendique l’influence de Deleuze sans rien y avoir bité. La différence, c’est que cette musique n’est pas faite par des petits cons prétentieux mais par des musiciens sacrément couillus, j’ai nommé le post-rocker de Chicago Rob Mazurek et l’électronicien de São Paulo Mauricio Takara. V/A PROIBIDÃO C.V: FORBIDDEN GANG FUNK FROM RIO DE JANEIRO (SUBLIME FREQUENCIES 2008)
V/A RIO BAILE FUNK BREAKS (MAN RECORDINGS, 2008)
Comme je suis pas bégueule, je recommande chaudement ces deux compilations de Baile Funk. La première est la plus roots du lot, éditée par l’excellent label Sublime Frequencies, un label world anti-world, c’est-à-dire qu’il ne cède pas au racolage exotique pour bobos en mal de bamboula vibe. Le seconde est une battle de DJ conduite par les Maîtres du Genre, à savoir DJ Sandrinho de Rio, Daniel Haaksman de Berlin et DJ Beware de Honk Kong, et ça chauffe grave. GABRIEL ARAUJO – DIA DE VENTO (2009)
Ce truc-là répertorié nulle part m’est arrivé dans les mains je ne sais trop comment, et j’ai trouvé la pochette géniale, même si je m’attendais plutôt à du kraut-drone-esoterico-psych-noise-lo-fi. En fait, c’est un genre de folk touffu et planant à la guitare acoustique, avec des réminiscences bossa nova et des bidouillages électroniques. C’est doux mais jamais chiant, nos amis les opiomanes devraient adorer. Je crois même que je préfère la pochette au contenu, mais ça vaut quand même le détour. EVA REVOX