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LE NUMÉRO À FENDRE LE CŒUR

J’adore décevoir les allemands

Quentin Dupieux est notre dernière fierté nationale, apparue dans les années 1990. Bon ouais, y’a aussi les Daft Punk, mais ils n’ont pas de barbe, ne fument pas de clopes, et râlent 150 fois moins que ce mec.

Quentin Dupieux est notre dernière fierté nationale, apparue dans les années 1990. Bon ouais, y’a aussi les Daft Punk, mais ils n’ont pas de barbe, ne fument pas de clopes, et râlent 150 fois moins que ce mec. Il vient de sortir un nouvel album, Lambs Anger, qui défonce autant que les deux précédents. C’est de la house glitchée pour mecs pas chiants et pas allemands. C’était l’occasion d’aller lui toucher deux mots à propos de sa musique, du cinéma et de tous les trucs qu’il déteste. Au bout du compte, on n’a fait que parler de Steak et des kids qui viennent le voir jouer. Les vrais râleurs ne râlent que sur très peu de choses, finalement.

Vice : Les gens pensent que t’es vrillé, non ? Mr Oizo : Autant que moi j’ai l’impression que ce sont les autres qui sont complètement fous. Ouais ? En quoi ? Je trouve qu’il y a une véritable aliénation dans la vie normale. Vivre pour regarder la télé et avoir un job de merde, ça c’est la vraie folie. Au-delà de mon activité, je me trouve beaucoup plus équilibré et sain d’esprit que les tarés qui ont des jobs aliénants et qui matent la téloche. Tu parles des journalistes ? Non, je parle de la vie normale, du point de vue du mec qui bosse chez Leclerc, qui a une Mégane et qui regarde le foot. Pour lui, un musicien c’est complètement marginal, avec un côté motivant genre : « Ah oui oui oui le mec est un peu taré… » Je suis vachement plus équilibré que la moyenne. Mais tu joues sur le côté : « Je fais tout différemment », style si ton morceau est plutôt facile d’accès, tu feras tout pour le niquer. Je comprends même pas que des mecs s’essoufflent à reproduire des schémas qui existent déjà, à refaire la même chose encore et encore. Surtout que c’est très simple avec les outils qu’on a. Par exemple, imiter électroniquement la disco, c’est devenu tellement fastoche… Moi, j’aime bien la complexité. Steak, c’est sombre, bizarre, bancal. Ça ne me convient pas de faire un truc uniquement drôle. Je voulais pas juste filmer Éric et Ramzy avec des blagues, faire un truc sympa. Pareil, un morceau uniquement dark, je trouve ça ennuyeux. Ou même une personne tout le temps joyeuse, c’est ennuyeux. J’aime bien les trucs plus charnus, avec plusieurs lectures possibles. Donc, oui, je fais un truc d’ensemble, et après je me dis que c’est trop simple, donc j’essaie d’apporter encore autre chose et toi tu te dis : « Ah, il a abîmé le truc d’ensemble. » Mais je vais pas faire exprès de casser le morceau, c’est pas l’idée. On pourrait croire que j’ai des pépites dans mon ordinateur et que je les saborde, mais non. Si j’avais des pépites, je les sortirais. Si j’avais le vrai gros tube genre qui va faire que Britney Spears va me téléphoner, comme tous les cons je le fais, parce que c’est chouette c’est sympa. Et c’est pareil pour Steak. Si j’avais le potentiel pour faire une vraie comédie à la Ben Stiller, où c’est que « on va s’marrer »… Tu le ferais ? Ouais je le ferais, parce que c’est chouette. Après, je me dirais : « Putain j’ai fait une merde, quelle honte, j’ai fait une merde pour les blaireaux. » Dans la complexité de ce truc, je trouve que Steak c’est partiellement réussi. Pour la musique, c’est beaucoup plus simple. T’annonces rien. Le mec se dit : « Ah putain j’ai le nouveau morceau de machin », il met play, c’est une pulsation, il va ressentir un truc ou pas. T’es plus conditionné au cinéma. Tu te dis : « Bon y’a Éric et Ramzy, après y’a moi. » La façon dont le film a été présenté… Moi, j’en ai rien à foutre de faire un film sur la chirurgie esthétique. C’est un gadget, ça prend quoi, même pas 4 minutes. Les mecs n’ont même pas un visage atroce, ils sont un peu beaux, tirés, c’était pas du tout le propos. Mais du coup c’est ça qui ressort du film. Mais parce que les mecs ont mis Éric et Ramzy avec un bandage sur l’affiche, puisque c’était le seul truc identifiable. Le film était un peu bizarre et tordu, c’était invendable de toute façon. Je te suis plus trop, là. Bah, Éric et Ramzy viennent vers moi. Ils pourraient continuer à faire les Astérix et les machins. Ils ont des propositions, bon peut-être de moins en moins, mais à l’époque, c’était n’importe quoi, ils avaient des propositions de film à 15 millions d’euros. Eux, ce qu’ils voulaient, c’était faire un film artistique, ils avaient l’impression d’être souillés par le système. Ils sont quand même un peu plus malins que ce qu’on imagine, ils venaient pas pour faire un blockbuster. Je suis content que vous pensiez qu’il y avait du blé parce qu’il y en avait pas. On nous l’a présenté comme un blockbuster. Moi, j’étais embarrassé quand j’ai vu que les mecs le vendaient comme ça. Mais tu lâches tout, parce que ce sont eux qui ont signé le chèque, toi t’es le petit artiste, et si tu leur dis : « Non, l’affiche est trop putassière », ou encore : « Non, la bande-annonce est à chier… » Tu leur as dit ça aux producteurs ? J’essaye d’être honnête. Comme au début de mon album, je préviens celui qui va écouter, y’a des morceaux bien et des morceaux moins bien, et y’en a qui vont juste être ok. C’est de l’humour, mais c’est aussi, et avant tout, la réalité. Moi, cette espèce de côté dégueulasse, les mecs qui manipulent le peuple, je déteste. Je suis un type spontané, naïf, et encore un tout petit peu pur. Quand je fais Steak, je suis pas en train de me dire : « J’encule les beaufs. » Je suis dans la démarche artistique, j’perds trop de temps à me branler parce que j’adore filmer. Quand j’ai vu comment les mecs étaient en train de mentir au public, j’étais embarrassé. Après, ça m’a pas empêché de dormir, j’m’en fous, j’ai fait le film, j’ai même eu une bonne critique dans les Cahiers du Cinéma. Éric et Ramzy sont supers contents parce qu’ils ont eu l’impression de revenir à un truc artistique alors qu’ils faisaient de la chiasse. Maintenant voilà, je fais pas partie de ceux qui se foutent de la gueule du monde de manière vicieuse. T’en fais un peu des tonnes là, non ? Écoute non, pour les producteurs c’était un coup de poker. Je leur ai vendu un film sans script. On est allés les voir avec Éric et Ramzy, on leur a dit : « Bon voilà on veut faire un film donnez nous 4 millions d’euros. » Il faut savoir que c’est rien, 4 millions. Moi je ne travaille que pour ma jouissance. Je fais de la musique, je me dis pas : « Je vais casser le morceau rien que pour faire chier DJ Medhi. » Et quand je fais Steak je suis dans un geste artistique. Le script était pourri, parce qu’on a eu seulement le temps d’un été, donc il a fallu que je me speede. Je l’ai torché, j’avais même pas la fin. Pourquoi les films Pixar sont super ? Parce qu’ils sont complètement synthétisés par ordinateur, tu peux pas te rater. Moi c’est l’inverse, j’aime bien le ratage, c’est humain. Dans Steak on voit pas bien où tu veux en venir. J’entends que t’as pas aimé Steak. Mais un film ne doit pas forcément aller quelque part… Si tu parles de fiasco ou de ratage, c’est que forcément t’as loupé ta cible… Les vingt minutes extrêmement réussies dans Steak me comblent, plus que d’avoir fait un petit film qui tient la route. C’est une tentative un peu tordue, un peu scabreuse, où je cultive la non-efficacité. La notion d’efficacité, et ça s’applique à la musique aussi, c’est un truc qui va à l’encontre de l’art, c’est une formule. Y’a des milliers de mecs qui copient les Daft Punk, mais ce ne sera jamais les Daft Punk, il n’y a pas ce processus intellectuel derrière. Moi, je suis pour l’art. C’est naïf de croire que le cinéma peut être une zone de liberté artistique, mais j’y crois à fond et mon prochain film sera 100 fois plus écrit que Steak. Mais peut-être que t’auras le même feeling après coup. Je voudrais revenir à ce truc d’efficacité, là. Tu t’es remis à faire des DJ set, ça contredit pas un peu tout ce que tu viens de dire ? Ah si, si, complètement. En fait ça te fait chier de faire danser les gens. Ben c’est à moitié jouissif et à moitié insupportable. Mais c’est facile, tu as en face une jeunesse complètement à bloc, il suffit de mettre un morceau connu et les gens sont contents. Il n’y a absolument aucun enjeu. C’est un peu comme une mission. Là où j’ai pas l’impression de faire la pute, c’est quand je fais n’importe quoi aux platines. Je mets des trucs super hard, la seconde d’après je mets Prince, puis un truc de SebastiAn pour que les gens crient, et après du noise d’Error Smith pendant deux minutes. Je m’y retrouve. Tu fais semblant de râler, mais t’adores que les jeunes s’amusent sur ta musique. Ça me conforte dans ma position par rapport à l’époque, qui est très molle. À la limite ça me ferait peut-être plus de bien si on me sifflait. T’as été critiqué sur Moustache, les gens ont dit que t’étais allé trop loin dans le délire noise, mais le dernier est limite plus pop, plus acceptable. C’est à cause des critiques ? Non, c’est juste que refaire un truc c’est l’ennui absolu. J’aurais pu faire un album de hip-hop crado saturé, par exemple. Donc oui, le truc d’autiste, mon album Moustache… J’étais là devant mon ordi, complètement surtendu, à fumer 300 clopes et à bosser des petites portions de musique, je l’ai fait, c’est très bien. Là, j’avais envie de me lever le matin et de faire que des trucs fastoches parce que je l’avais jamais fait et finalement, c’était très bien aussi. Tu parles comme un mec qui va chez le psy. Je suis un très bon psy. Y’a encore cinq ans j’étais victime de moi-même… Ton discours semble confus, même pour toi…  Il y a encore quatre ans je pouvais essayer de faire de la musique alors que je n’étais pas dans le bon état, mais j’insistais. Et ça faisait des trucs qui n’étaient pas super jouissifs. Là, tous les matins j’étais dans de bonnes dispositions, mais je vois pas en quoi ça a l’air confus. Disons que tes positions sont compliquées. Mais non, résume tout ce que je fais au geste artistique, ça deviendra très simple. Assimile ça à une proposition, à de l’anticonformisme. Tout se ressemble. Oui, Aphex Twin c’était génial, mais le mec a fait 3 000 fois les mêmes morceaux, au bout d’un moment c’est fatigant, le mec n’a que ça à dire en fait. J’aime bien les trucs en écho, les contraires… J’aime bien que les Allemands soient déçus, je m’imagine que j’ai plein de petits fans hargneux qui adoraient mon côté tout breaké, et qui pensent que là c’est trop fastoche. Ça n’existe pas la neutralité. À propos de « Positif », est-ce qu’il y avait une relation avec le sida ou pas du tout ? C’était une sorte de mythe qui courait sur le Net. J’ai vu les faits se dérouler. J’ai vu SebastiAn le jouer à Cannes, personne le connaissait ce morceau, il n’avait tourné nulle part. Des gens qui ne l’avaient jamais entendu, à la première écoute, dès la première phrase : « Vous êtes des animaux », tout le monde a hurlé les paroles. C’est ça le truc, cette espèce d’efficacité rebelle cynique misanthrope, ça fonctionne complètement, les gens sont contents. Pour revenir à ce rapport au sida, moi je trouve ça cool que les gens dansent sur un morceau qui parle de la mort. Ouais, mais de toute façon vous allez crever donc bon… Quand j’ai trouvé le titre, « Positif », c’était juste cool, ça faisait évidemment référence au sida, à la mort, vous trouvez ça cool mais y’a un côté très tragique dans ce morceau. J’aime bien les pulsions négatives.  Mr Oizo, Lamb’s Anger, chez EdBanger/Because