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J’ai été perquisitionné dans le cadre de l’état d’urgence

Comment une quinzaine de flics et de militaires armés ont fait irruption chez moi, croyant que j'étais un terroriste.

Photo via Flickr

Le soir des attentats du 13 novembre à Paris, François Hollande a annoncé la mise en place de l'état d'urgence sur l'ensemble du territoire français. Prévu initialement pour une durée de 12 jours, l'état d'urgence a été prolongé par le Parlement, comme la loi le prévoit, pour une durée de trois mois, soit jusqu'au 26 février 2016. Vendredi 22 janvier, le Premier ministre Manuel Valls a déclaré à la BBC que l'état d'urgence devait rester en place « jusqu'à ce que Daech soit éradiqué ».

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L'état d'urgence est un article de loi, qui donne à l'autorité policière des droits dont elle ne bénéficie pas en temps normal. Ainsi, les flics peuvent notamment débarquer chez vous, de jour comme de nuit, sans mandat issu d'un juge, « s'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics » (selon l'article 11 de la loi relative à l'état d'urgence).

C'est ce qui est arrivé à Bruno* (le prénom a été modifié), un jeune homme de 23 ans en passe de devenir éducateur spécialisé, qui habite chez ses parents dans un hameau paumé de Haute-Savoie. Il fait partie des quelque 3 189 personnes perquisitionnées dans le cadre de l'état d'urgence. On s'est retrouvés dans un café au cœur de la capitale du département, à Annecy, afin qu'il me raconte son histoire. Voici ce qu'il m'a dit.

Ça doit faire environ deux ans que je suis musulman. J'ai une éducation familiale assez ouverte sur tout ce qui peut avoir trait à la religion ou à la spiritualité. Vers 18 ans, j'ai commencé à me poser des questions sur le sens de la vie, et je me suis rendu compte que j'ai toujours été un peu sensible à l'Islam, sans le savoir vraiment. Mes parents m'ont offert le Coran, et j'ai décidé d'approfondir la littérature de cette religion. J'ai découvert qu'il y avait plein de voies dans l'Islam, notamment le soufisme, qui est un peu l'extrême opposé du salafisme. Le soufisme, c'est assez mystique. On ne se fonde pas uniquement sur la forme que peuvent avoir certaines phrases dans le Coran, mais aussi sur leur compréhension, leur remise en contexte… c'est une approche plus spirituelle qui me parlait. J'ai donc fait mon petit bonhomme de chemin dans cette voie, et je me sens bien là-dedans.

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Mes amis savent que je suis musulman, tout comme ma famille proche. Dans mon village, personne ne le sait, car ce n'est pas quelque chose que je crie sur la voie publique. Je n'ai rien à cacher, c'est simplement intime. Au-delà du fait que certaines personnes ne comprendraient pas ce choix, on est aussi dans une situation où il faut faire attention, malheureusement, à ce que tu dis et à qui tu le dis.

Quelques jours avant que les flics ne débarquent chez moi, j'étais au téléphone avec un ami, et j'ai vu par la fenêtre qu'une bagnole de la gendarmerie passait lentement devant chez moi. J'habite dans un hameau où il y a 500 habitants, et ce genre de truc est assez rare. J'ai dit à mon pote « Ça y est, je vais y avoir le droit », un peu en rigolant.

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Et puis une semaine plus tard, vers 5 h 45 du matin, j'entends des grands coups sur la porte. Je me réveille, mon chien gueule, ça réveille aussi mon père, qui regarde par la fenêtre et voit une quinzaine de militaires et de flics en arme en train d'encercler la baraque. J'entends « Gendarmerie, ouvrez ! », je descends et je les laisse entrer. Ils m'ont tout de suite fait monter dans ma chambre, en me demandant si j'avais des armes, des drapeaux de Daech ou autres objets tendancieux. Je leur réponds que non, évidemment. Ils ont fouillé toute la maison, du grenier jusqu'à la cave, et particulièrement ma chambre, où ils ont pris en photo tous mes bouquins sur l'Islam. Je ne sais pas vraiment pourquoi ils ont fait ça. Peut-être qu'ensuite, des imams guident les flics sur le contenu de tel ou tel livre, pour savoir si on lit des trucs qui tendent vers l'extrémisme.

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Ça a duré environ une heure. Ils ont fouillé mon ordinateur, regardé mon historique, mon disque dur. Avec le recul, je trouve que c'était assez léger comme perquisition, à tel point que je me suis demandé si les flics y croyaient vraiment. Ils m'ont demandé si je me renseignais sur la situation en Syrie. Je leur ai répondu qu'en effet, je m'intéressais beaucoup à ça, mais pas pour aller rejoindre Daech, simplement pour comprendre. Ils ont également voulu savoir où j'avais acheté mes livres et où j'étais parti en voyage récemment. En tout cas, les mecs ont été relativement cool : ils n'ont pas défoncé de porte et ils n'étaient pas violents, ni dans leurs propos ni dans leur attitude.

Je n'ai rien à me reprocher, mais les flics ont quand même réussi à me faire culpabiliser. Après la perquisition, même mes parents ont été un peu soupçonneux envers moi.

Ce qui est « marrant », c'est que je remplis totalement les clichés que peuvent avoir certains convertis radicalisés : je suis parti seul en Turquie, je suis allé en Israël, en Palestine, j'ai tenu une correspondance avec une Marocaine… De temps en temps, j'aime bien couper les ponts et partir en vadrouille tout seul avec mon sac à dos. Parfois je pars avec les potes, parfois avec mes parents ou ma copine – et il m'arrive de partir seul, c'est comme ça. Je pense que dans ce contexte, le fait de partir seul dans des pays qui craignent m'a porté préjudice.

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Ce qui a également pu me mettre dedans, c'est que l'année dernière, j'étais surveillant dans un collège. Je m'étais mobilisé, avec des parents d'élèves, pour protester contre l'expulsion d'une famille albanaise. Les flics m'ont dit qu'ils m'avaient repéré à l'époque, même si je ne vois pas bien le rapport avec le terrorisme. Enfin, à côté du collège dans lequel je travaille, il y a une mosquée. J'y vais souvent, entre midi et deux. A priori, on a dû me signaler à la police. C'est peut-être l'imam ou alors des flics croyants allant prier, qui en profitent pour regarder les nouvelles gueules.

Bref. Selon moi, je n'ai rien à me reprocher, mais les flics ont quand même réussi à me faire culpabiliser. Après la perquisition, mes parents ont été un peu soupçonneux envers moi, ils m'ont demandé qui je fréquentais. Sur le mandat de perquisition, il était inscrit que j'étais soupçonné d'être en lien avec des types impliqués dans le terrorisme. J'aimerais bien savoir qui sont ces gens-là, mais les flics ne m'ont rien dit. Je me suis assis et je me suis retrouvé à me dire « putain il faut que je fasse gaffe à ce que je fais ». En réalité, je n'ai pas à faire gaffe plus qu'avant, sachant que je ne fais absolument rien de mal. Dans mon cas, la perquisition s'est assez bien déroulée, mais je doute sincèrement que ça soit le cas partout.

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J'ai toujours été hyper critique vis-à-vis de l'extrémisme, je suis soufi, et ça me tombe quand même dessus. Je récolte ce que je n'ai pas semé. Avec mes parents, on s'est sentis obligés de dire à nos voisins qu'il y avait eu un cambriolage. Je te laisse imaginer l'image que ça peut donner dans le village : « Ouais, y'a eu une perquisition administrative, trois fois rien… ». On a donc pris les devants : on est allé voir nos voisins, on leur a dit qu'on avait vu des cambrioleurs, on a appelé les flics et parce que c'est l'état d'urgence, ils ont envoyé plus de monde que d'habitude.

En partant, les flics m'ont dit : « on garde un œil sur vous ». Est-ce que ça veut dire que je suis sur écoute ? Est-ce qu'ils regardent ce que je fais quand je vais sur Internet ? C'est un peu bizarre comme sensation, et j'accepterais difficilement ça sur le très long terme. Avec le prolongement de l'état d'urgence, les perquisitions sont parties pour durer au moins encore pendant plusieurs semaines, si ce n'est plusieurs mois. Je comprends la situation actuelle en France, et je pense que les flics ne font qu'obéir aux ordres en ratissant le plus large possible, mais ça me fait quand même un peu chier que mon pays me soupçonne d'être un danger public.

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