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La science remplace ses rats de laboratoire par des lambeaux de peau humaine

Une société toulousaine a trouvé le moyen de recycler la peau abdominale d'anciens obèses.

Deux rats de laboratoire, en passe d'être remplacés par des lambeaux de chair humaine.

En plus d'être régulièrement dénoncé comme étant une pratique barbare, l'expérimentation animale a parfois été critiquée pour son manque d'efficacité scientifique. Tant et si bien qu'en février 2013, la Commission Européenne a définitivement interdit les expérimentations dans le secteur de la cosmétique. Cela signifie qu'au lieu d'utiliser les souris, rats ou autres lapins pour tester les milliers de produits brevetés chaque année, les sociétés cosmétiques européennes doivent désormais se tourner vers d'autres solutions.

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Parmi les alternatives à l'expérimentation animale, il existait depuis un certain nombre d'années des méthodes permettant de créer de la peau artificielle à partir de cellules-souches. Désormais, une entreprise française propose également aux laboratoires d'utiliser pour leurs tests de la vraie peau humaine, provenant des déchets de la chirurgie esthétique. En plus de fournir des échantillons de peau congelés, la société toulousaine Genoskin a développé une technologie brevetée, permettant de recréer les conditions naturelles d'une peau vivante. On a contacté Pascal Descargue, fondateur et président de la société, afin qu'il nous explique comment il s'y prend pour conditionner et vendre des déchets humains.

Pascal Descargue et son équipe. Photo : Nathalie Saint Affre/La Dépêche

VICE : Comment vous est venue l'idée de développer une telle technologie ?
Pascal Descargue : En 2006, j'ai fait une thèse sur une maladie de peau assez rare où j'utilisais des souris dans l'expérimentation. C'était intéressant, mais je me suis aperçu que la peau de la souris réagissait complètement différemment que la peau humaine. Je suis ensuite parti aux États-Unis pour continuer mes recherches sur la peau et je suis rentré en 2008, dans l'idée de développer des instruments de recherches dans le contexte humain. En 2011, j'ai créé Genoskin.

Était-ce pour vous un moyen de lutter contre les expérimentations animales ?
Sur le plan éthique, j'en suis venu à la conclusion qu'on ne pouvait plus utiliser des animaux. Mais c'est aussi une question de pertinence scientifique. La peau d'un animal n'a strictement rien à voir avec celle d'un être humain. Ça a tendance à devenir problématique, dans l'industrie pharmaceutique en particulier. Cela conduit parfois à des échecs cliniques que l'on ne constate que des années plus tard. Il fallait trouver des alternatives.

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VIDÉO : La Libye in vitro

Et selon vous, il n'y a aucun problème éthique à vendre de la chair humaine ?
Ce n'est pas ce que nous faisons, la loi française interdit strictement tout commerce du corps humain. Notre produit n'est pas de la peau à proprement parler, mais le gène qui nous permet de la conserver et de l'expédier dans le monde entier. C'est là que se situe notre valeur ajoutée. Nous fournissons un kit directement utilisable par les laboratoires. La partie intérieure de l'échantillon est prise dans une sorte de matrice qui permet de conserver les réactions naturelles de la peau. De cette manière, l'échantillon peur être cultivé pendant une semaine.

Comment obtenez-vous ces échantillons ?
Ils sont « donnés » par des personnes ayant subi une chirurgie plastique. Chaque donneur signe une feuille de consentement – accréditée par le Ministère de la recherche – et sait que sa peau ne sera utilisée qu'à des fins scientifiques. Toute cette procédure est bien entendu complètement anonyme. Nous avons des contrats avec plusieurs hôpitaux et cliniques dans le grand Ouest qui nous fournissent.

De quelle partie du corps provient la peau que vous utilisez ?
En général, ils proviennent de la partie abdominale. Ce sont des bouts de chair que l'on enlève à des personnes qui ont perdu beaucoup de kilos d'un coup. La peau de l'abdomen est particulièrement intéressante, elle est assez protégée des aléas extérieurs et n'a pas autant été abîmée par le soleil.

Quelle est la différence entre votre produit et les échantillons de peau synthétiques également utilisés pour la recherche ?
C'est une différence majeure. Il existe effectivement des modèles de peaux artificiels créés in vitro. Mais ils sont trop éloignés de la complexité réelle de la peau humaine. La peau forme une barrière très compliquée. Elle protège et en même temps dispose des caractéristiques particulières qui empêchent les fluides corporels de s'évaporer. Notre démarche est donc aux antipodes de cette méthode. Ce que nous proposons, c'est la possibilité d'effectuer des tests ex vivo , à partir de tissus extraits d'un organisme.

Pensez-vous que cette méthode peut avoir des applications en dehors du secteur cosmétique ?
Bien sûr. Dans le secteur de la dermatologie en particulier. Il existe un problème de renouvellement des médicaments dans ce domaine et de nouveaux tests vont devoir être entrepris. On espère aussi pouvoir mettre en place des modèles reproduisant certaines maladies comme le psoriasis, mais aussi avec des mélanomes pour aider à la recherche contre le cancer de la peau.

Merci beaucoup Monsieur Descargue.