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Interviews

L’histoire du baron de la drogue et sympathisant nazi qui a révolutionné le trafic de cocaïne

Carlos Lehder était au trafic de cocaïne ce que Henry Ford était aux automobiles.

Image publiée avec l'aimable autorisation de Ron Chepesiuk

Carlos Lehder a eu un rôle important dans le cartel de Medellín, dirigé par Pablo Escobar au milieu des années 1970 – soit l'âge de pierre du trafic de cocaïne. Le célèbre syndicat du crime colombien utilisait diverses méthodes de transport, qui présentaient souvent de nombreux risques : l'une d'elles consistait à envoyer leurs mules une par une dans des pseudo voyages d'affaires. Mais Lehder a révolutionné leur manière de procéder, en mettant à disposition du cartel des petits avions qui pouvaient voler à basse altitude sans être détectés par les radars aériens. En conséquence, la quantité de cocaïne qu'Escobar pouvait envoyer par-delà les frontières s'est mise à grimper de manière exponentielle. Quand le procureur fédéral américain Robert Merkle a fini par se trouver devant Lehder au tribunal, il a déclaré que ce dernier était au trafic de cocaïne ce que Henry Ford était aux automobiles.

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En moins d'une décennie, Lehder est passé de petit dealer de marijuana à baron de la drogue, accumulant une fortune de plusieurs milliards de dollars au sommet de sa carrière – du moins, à en croire les rumeurs. Alors que sa richesse ne cessait d'augmenter, Lehder est devenu célèbre pour son comportement imprévisible, son hédonisme et son amour pour Hitler et John Lennon. En revanche, Lehder détestait les États-Unis et se vantait même d'y semer le chaos. Durant ses années de contrebande, il a acheté une île appelée Norman's Cay dans les Bahamas, afin de l'utiliser comme un lieu de transition entre la Colombie et la Floride pour l'importation de cocaïne – accessoirement, il y organisait des soirées placées sous le signe de la drogue et du stupre.

Au final, sa personnalité borderline l'a fait rentrer en conflit avec ses collègues. Il a fini par se faire attraper et extrader aux États-Unis en 1987. Des rumeurs stipulent que c'est Escobar lui-même qui a révélé à la police où se cachait Lehder, de crainte que ce dernier ne fasse capoter toute l'opération.

Lehder est incarcéré depuis 1988 et bénéficierait du programme de protection des témoins des US Marshals, qu'il aurait obtenu en acceptant de témoigner lors du procès du général panaméen Manuel Noriega, un autre baron de la cocaïne. Dans un nouveau livre de Ron Chepesiuk appelé Crazy Charlie : Revolutionary or Neo-Nazi, la vie du sympathisant nazi et baron de la drogue est étudiée en profondeur. Chepesiuk a passé des années à retrouver et questionner des procureurs, avocats, représentants de la loi et criminels incarcérés qui l'ont côtoyé afin de rassembler assez d'informations pour en faire une biographie. On a parlé à Ron pour en apprendre plus sur Crazy Charlie et le cartel de Medellín.

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Vidéo associée – L'héritage de Pablo Escobar :

VICE : Pourquoi avez-vous appelé le livre Crazy Charlie ?
Ron Chepesiuk : C'est le surnom qu'on donnait à Lehder lorsqu'il était actif en tant que criminel. Je n'ai jamais pu identifier clairement la source de ce surnom, mais au vu de son comportement excentrique, je pense qu'il lui va comme un gant. Il était impulsif, imprévisible et n'avait pas peur de ce qu'on pensait de lui. Le fait qu'il était un esprit libre a été un des facteurs qui m'ont poussé à écrire ce bouquin.

À quoi ressemblait la vie de Lehder avant qu'il ne devienne un membre actif du cartel ?
C'était un vrai loser. Il a grandi à Armenia en Colombie, puis est allé aux États-Unis dans les années 1960, où il a commis pas mal de petits larcins (vente de marijuana, vol de voiture) avant de se faire choper et renvoyer du pays. Au milieu de sa vingtaine, il ne savait pas trop quoi faire de sa vie. Il a ensuite rencontré George « El Americano » Jung, le trafiquant de cocaïne qui fut un acteur majeur du cartel de Medellín.

Lehder a aussi été représenté dans le film Blow, qui s'inspire de la vie de Jung. Comment décririez-vous leur relation ?
Au début, ils s'entendaient plutôt bien. Ils avaient une relation de partenaires. Lehder avait besoin de George pour ses contacts aux États-Unis, et Jung avait besoin de Lehder pour ses contacts en Colombie. Ils se sont fait pas mal de fric tous les deux. Puis, leur relation s'est dégradée. Lehder était impitoyable en affaires, et il a fini par mettre la main sur les connexions de Jung. Une fois qu'il a obtenu ce qu'il voulait, il a rompu tout contact avec Jung. Il est ensuite parti de son côté avant de devenir une grosse pointure du cartel de Medellín. Jung lui en voulait pour ça. Il a même envisagé de tuer Lehder.

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Quel rôle avait Lehder dans le cartel de Medellín ?
Lehder a eu un rôle très important. Il a conçu le système de transport qui a engendré une importation massive de cocaïne vers les États-Unis – le plus grand marché au monde. Au passage, une épidémie de consommation a ravagé le pays à la fin des années 1970 et pendant les années 1980. Avant Lehder, les cartels et les trafiquants colombiens comptaient sur les mules. Ce n'est pas une méthode très efficace, d'autant plus qu'elle ne permet pas de faire passer de grandes quantités de drogues à la frontière.

Lehder a acheté une île, Norman's Cay, dans les Bahamas. En gros, il s'en servait comme un point de transition entre la Colombie et les États-Unis, en utilisant des petits avions pour faire passer la drogue en Floride. Avant cette époque, le voyage entre les deux pays était trop long pour être réalisé en un seul trajet. Ainsi, cela a permis au cartel de Medellín de faire passer non pas des kilos, mais des tonnes de cocaïne. Les routes empruntées à partir de Norman's Cay étaient opérationnelles entre 1978 et 1982 ou 1983, au moment où les États-Unis les ont fermées. Après ça, le cartel a trouvé d'autres moyens de faire passer de la drogue et Lehder est devenu moins important pour eux.

Pouvez-vous m'en dire plus sur l'île ? Que se passait-il là-bas ?
L'île était située à plus de 300 kilomètres des côtes floridiennes. C'était un endroit idéal pour faire de la contrebande. Des témoignages écrits attestent que Lehder l'a utilisée à des fins criminelles entre 1978 et 1982, mais je crois qu'elle servait toujours de point de passage au milieu des années 80. Lehder faisait ce qu'il voulait sur l'île parce qu'il avait les autorités bahamiennes dans la poche. Il faisait souvent venir des femmes pour des soirées de débauche.

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Quelle personnalité avait-il ?
Il était à la fois intéressant et complexe. J'ai parlé à des sources des deux côtés de la loi, et ils ont tous reconnu que Lehder avait du charisme. Il était très séduisant. Les femmes et les hommes étaient attirés par lui. Des rumeurs existent sur une possible bisexualité de Lehder. Il était hédoniste et je pense qu'il avait un problème de self-control. Mais quand il arrivait à se contrôler, ce qui devenait de moins en moins fréquent avec le temps, c'était une personne capable, voire brillante. Contrairement à la légende, il n'était pas violent. Quand j'ai terminé mon livre, je n'étais même pas sûr qu'il aie déjà tué quelqu'un.

On dit de lui qu'il avait des tendances nazies. À quel point ?
Wilhelm, le père de Carlos, était un sympathisant nazi et admirait Hitler. Wilhelm est parti s'installer en Colombie rurale avant la Seconde Guerre mondiale. Il était ingénieur civil et il a joué un grand rôle dans la modernisation du système de transport rural en Colombie. Pendant la guerre, l'ambassade des États-Unis gardait un œil sur lui à cause de ses tendances nazies. Je pense qu'en grandissant, Carlos a été imprégné par les idées antisémites et néonazies de son père. Par exemple, il niait l'existence de l'Holocauste. Beaucoup de choses montrent que Lehder était un néonazi. Il n'avait vraiment pas peur de faire part de ses opinions. Souvent, il couvrait Hitler de louanges et critiquait ouvertement les Juifs.

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Comment s'est-il retrouvé de mèche avec un mec comme Pablo Escobar ?
Escobar n'a jamais eu de relation facile avec Lehder, à cause de sa personnalité changeante. Escobar voulait toujours être discret. Au départ, quand Lehder a eu l'idée de passer par Norman's Cay, Escobar l'a trouvé très utile et tolérait sa présence lors des opérations. Mais avec le temps, Lehder a perdu de son importance aux yeux du cartel et il est devenu un fardeau plus qu'autre chose. Escobar en est arrivé à un point où il ne respectait même plus Lehder. Franchement, je suis surpris qu'il ne l'ait pas fait assassiner. On dit même que c'est Escobar qui a balancé Lehder, ce qui a permis aux autorités de le choper et de l'extrader aux États-Unis. Cependant, Escobar a nié ces rumeurs dans une lettre rendue publique.

C'était l'un des premiers gros chefs de cartels à être capturé puis extradé, non ?
Avant la capture puis l'extradition de Lehder, la Colombie n'envoyait pas de trafiquants aux États-Unis quand ils demandaient leur extradition. Mais, après Lehder, il y a eu environ des centaines de trafiquants extradés. Le phénomène est devenu tellement commun que les médias américains ne les relataient pas toutes. À l'époque, le procès de Lehder était le plus gros procès d'un narcotrafiquant de toute l'histoire des États-Unis.

A-t-il fini par témoigner contre quelqu'un d'autre?
Beaucoup de ses camarades ont témoigné contre lui lors de son procès à Jacksonville en Floride, en 1988, mais il n'a jamais vraiment dénoncé qui que ce soit. Il a été un témoin majeur lors du procès du général Manuel Noriega, le dictateur panaméen en 1992. Les États-Unis ont envahi le Panama en 1989 et ont ramené le général chez eux pour le juger. Lehder espérait obtenir une sorte d'aménagement de peine. On racontait qu'il voulait être emprisonné en Colombie ou en Allemagne. Lehder a été condamné à perpétuité sans aménagement de peine possible, plus 135 ans. Selon certaines sources, sa peine a été réduite à un total de 55 ans en 1992, en échange de son témoignage contre Noriega.

C'est vrai que Lehder est dans une prison fédérale et qu'il bénéficie d'un programme de protection des témoins ? On n'a pas l'habitude de voir ce genre de choses.
Il fait partie de ce qui est connu sous le sigle WITSEC, le programme de protection fédérale proposé par le département de la Justice des États-Unis et géré par le service des US Marshals. Il a été conçu pour protéger les témoins avant, pendant et après un procès. Trois ans après la condamnation de Noriega, Lehder a écrit une lettre à un juge fédéral du district de Jacksonville, se plaignant que les États-Unis n'avaient pas tenu leur promesse de le transférer dans une prison allemande. La lettre était une sorte de menace. Quelques semaines plus tard, Lehder a été déplacé dans la nuit de la prison de Mesa Unit en Arizona, d'après des témoignages de prisonniers. Je suis certain qu'il est encore protégé par le WITSEC.

Vous pensez qu'il est où aujourd'hui ?
Il y a eu beaucoup de théories conspirationnistes sur les endroits où il pouvait se trouver. Certaines sont vraiment ridicules. L'une d'elles avance même qu'il est sorti de prison et qu'il travaille pour la CIA. Mais cette théorie a été démontée il y a quelques années lorsque l'avocat de Lehder s'est montré dans un tribunal américain pour porter plainte contre le gouvernement [pour le compte de son client]. Il ne fait aucun doute qu'il est en prison et qu'il y restera jusqu'à la fin de ses jours.

Crazy Charlie est sorti aujourd'hui. Vous pouvez commander le livre ici.

Seth est sur Twitter.