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Mode

Un guide pour survivre à la Fashion Week de Paris

Stress, clopes, fêtes, re-stress et sommeil : bienvenue dans l'enfer de la fête du vêtement.

Photo via Flickr

Chaque saison, c'est la même chose : la faune et la flore de la mode se déchaînent à l'automne dans les rues de New York, Londres, Milan et Paris. Les maisons présentent alors leur collection prêt-à-porter de l'été à venir tandis que des journalistes à l'air soucieux assistent aux défilés front row, bercés par les pas rythmés de mannequins excessivement maigres.

Chaque année, les nouvelles muses des podiums feront parler d'elles toute la saison, les acheteurs du monde entier feront tourner le business, les stylistes ne dormiront plus, les stagiaires seront invariablement maltraités, les bloggeurs en feront trop et les photographes courront une nouvelle fois derrière les looks absurdes de gens tout aussi absurdes. Ce truc, ça s'appelle la Fashion Week et sa machinerie infernale vient de commencer ce mardi à Paris.

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À partir de là, si vous êtes journaliste, ou pire, journaliste mode, vous savez à peu près où vous vous apprêtez à mettre les pieds : vous êtes certain qu'au cours des neuf prochains jours, vous tomberez sur des gens toujours en retard, qui dormiront peu, seront successivement angoissés et trop sûrs d'eux, constamment suivis par des gens eux-mêmes suivis par d'autres gens, et tous, sachez-le, tireront la gueule – surtout lorsqu'ils vous adresseront la parole. Ça, c'est ce qu'il faut savoir pour démarrer. Ensuite, il y a deux, trois trucs plus complexes et moins évidents qu'il faut également prendre en compte. Ça, il faut le demander aux gens qui, chaque saison, participent à la Fashion Week.

On a donc sollicité plusieurs intervenants rompus à l'exercice, parmi lesquels Paula Goldstein, rédactrice en chef de Refinery29 et Cécile Winckler, cofondatrice du magazine Unemployed, afin qu'ils nous expliquent comment vivre parmi tous ces gens prétentieux dans ce qui ressemble à un immense parc d'attractions pour riches. Et pourquoi pas, travailler au milieu d'eux. Ah, et comment faire pour marcher dix jours d'affilée sur des talons de 18 centimètres, aussi.

Photo : Michael Bunel

NE PAS PANIQUER
Autour de vous, il y a des centaines d'hyperactifs hautement impliqués par l'une des semaines les plus importantes de l'année, au cours de laquelle ils seront en conséquence supérieurement actifs. Tous sont paniqués. Ça veut dire que si vous cédez aussi à la panique, c'est terminé (pour vous). Comme nous l'explique Paula, « il faut suivre le mouvement. Ce qui implique : ne surtout pas stresser et ne pas penser à tout ce qu'on doit faire. » En gros, il s'agit de mettre son cerveau en suspend alors qu'on a des tonnes de choses à couvrir, vérifier et encore plus de gens auxquels parler. Ne pas trop réfléchir, devenir un peu con. Ce sont aussi les recommandations de Cécile : « faut pas penser, sinon tu meurs. » Une habilleuse de défilé qui a tenu à conserver l'anonymat pour ne pas se faire virer nous confie que « les gens en backstage sont si stressés que je m'abrite seule, dans ma bulle, pour ne pas angoisser moi aussi au moment d'habiller les filles ».

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NE VOUS FRINGUEZ PAS POUR L'OCCASION
La véritable problématique de la mode, si on lui enlève toutes les fioritures – qui représentent quand même 90 % du truc – ça reste le vêtement. Mais un conseil : n'en faites pas trop sur le t-shirt Petit Poney assorti au serre-tête ananas parce que dans le fond, tout le monde s'en fout. À la limite, peut-être que vous apparaîtrez sur un blog de photo de mode chinois suspect. Mais à la limite. Chopez-vous plutôt un look classique. En fait, c'est ce que tout le monde fait. En fait, ça risque même de donner aux connaisseurs alentour l'illusion que vous êtes un mec/une nana super pointu(e) alors qu'en vrai on parle « d'un tee-shirt blanc et d'un pantalon noir, comme l'indique Cécile. Un genre d'uniforme communiste. » Plus sobre et basique vous serez, plus vous aurez de chances de vous faire remarquer au milieu d'un nombre inquiétant de délires esthétiques caractérisés. N'oubliez pas que tous les systèmes de valeurs sont inversés durant ces folles semaines. Le laid est beau, le simple est super, super complexe.

TROUVEZ-VOUS DES POTES
Chaque jour est un combat, chaque défilé une bataille que vous n'êtes pas obligé de remporter, mais à laquelle il vous faut, au minimum, participer. Le mieux pour affronter la jungle peuplée de nombreuses et dangereuses bandes, c'est d'avoir soi-même sa bande. Genre, votre bande de potes, celle avec qui vous rigolez tout le temps pour rien et qui vous permet d'impressionner la foule lorsque vous débarquerez dans un after-show complètement soûl. Cécile elle, ne se déplace qu'avec « ses amis, comme les formations romaines qui avançaient ensemble, boucliers au-dessus de leurs têtes, pour se protéger des flèches de l'ennemi. » Il s'agit donc bien d'une tactique de guerre transposée à la mode. Et ça marche pas mal. Assez en tout cas pour que Paula elle aussi plébiscite « les dîners entre amis, au moins tous les trois jours, mais surtout pas les soirs où vous avez prévu de dormir. » Parce que contre toute attente, on ne badine pas avec le sommeil pendant les défilés. On verra ça plus tard.

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BOUFFEZ TOUT CE QUE VOUS POUVEZ LE MATIN
La règle d'or, selon Paula Goldstein, consiste à ne jamais skipper un petit-déjeuner. Peu importe l'alcool que vous avait ingéré la veille. Précisément pour ça, même. « Le petit-déjeuner est indispensable, même lorsqu'il est dégueulasse dans votre hôtel », m'a-t-elle expliqué. La raison principale tient à cette preuve manifeste de bon sens : « on ne déjeune pas pendant les défilés, et les dîners servis pendant les soirées ne sont pas réputés pour leur opulence », et on la croit volontiers si l'on considère le physique des filles du milieu.

Constance Féral, rédactrice mode junior à CR Fashion Book, le magazine fondé par Carine Roitfeld, s'estime « contente si elle a le temps de déjeuner ». Marie Fofana, mannequin new face à l'agence Ford, court les castings en traversant la ville de part et d'autre en métro, book à la main, et insiste aussi « sur l'importance du petit-déjeuner pour ne pas mourir de faim à 11 heures. »

C'est la règle numéro 1, le truc de base que vous savez depuis ce jour où vous avez décidé que vous aimiez tellement les vêtements que vous vouliez travailler pour eux. C'est la mode, et dans la mode : tout le monde est en retard.

CLOPEZ LE RESTE DU TEMPS
Quand vous êtes un professionnel de la mode, ce qui est uncool depuis environ 30 ans, c'est de manger. Ce qui est cool en revanche, c'est d'être healthy. C'est ce que fait Amélie Pichard, créatrice de la marque éponyme – qui a par ailleurs collaboré avec Pamela Anderson pour sa dernière ligne de chaussures vegan. Amélie donc, s'alimente dans « les restos-cafés vegan et bio » de Paris afin de mélanger au mieux selon elle « trucs sains et cigarettes ». Car pendant la PFW, tout le monde clope. Tendance hard-line. Constance notamment, qui m'a confié « fumer beaucoup ». On a recueilli une autre confession d'un serveur de café très fréquenté pendant la semaine des défilés et qui ne souhaite pas être nommé : « je bois du café, puis du thé vert parce que je culpabilise du café, puis je fume des clopes et encore des clopes. Surtout quand je me fais engueuler par des clients parfois odieux. Après, je fume encore plus. » En résumé : mangez des graines pour tenir et fumez des clopes pour mourir.

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Photo via Flickr

SOYEZ SYSTÉMATIQUEMENT À LA BOURRE
En fait, celle-ci devrait figurer en tête de liste. C'est la règle numéro 1, le truc de base que vous savez depuis ce jour où vous avez décidé que vous aimiez tellement les vêtements que vous vouliez travailler pour eux. C'est la mode, et dans la mode, tout le monde est en retard. D'abord parce qu'aucun show ne commence à l'heure. Jamais. Ensuite, parce qu'arriver à l'heure (n'imaginez même pas être en avance, potentiellement on ne vous laisserait pas rentrer) ça voudrait dire que vous n'êtes pas pressés, et dans la mode : sans pression, point de salut. Donc venez bien tard, prévoyez 20 à 30 minutes, c'est la moyenne. Arrivez systématiquement avec un air affairé, voire débordé.

NE FAITES PAS LA FÊTE
Si vous travaillez vraiment dans la mode, c'est-à-dire si vous gagnez votre vie grâce à ce job, vous le savez déjà. Pour les autres, préparez-vous à entendre un secret que vous auriez préféré ne jamais connaître : dans la mode, personne ne sort. Parce que ça veut dire que vous n'êtes pas une it-girl mais quelqu'un qui habille les it-girls et que, par conséquent, vous devez vous lever le matin. Et, qu'a priori, il n'y aura pas de chauffeur qui viendra vous chercher comme Anna Wintour. Donc, vous vous couchez tôt. Surtout en période de Fashion Week. Vous ne buvez pas et vous dormez parce que le lendemain, pendant que des gens qui n'ont rien à voir avec la mode cuveront leur soirée, vous, vous serez : au boulot. C'est ce que m'a confié Guillaume Salmon, l'attache de presse de Colette, un concept-store parisien dont vous avez déjà dû entendre parler : « on a beaucoup de travail pendant cette période. Donc, comme je récupère moins bien qu'avant, j'évite de sortir quand ça ne concerne pas directement Colette. » Pour Constance, c'est la même chose : « je me lève tôt, alors je ne sors pas du tout. »

À LA PLACE, DORMEZ
Dormir, c'est comme se nourrir : pendant les défilés, vous devez l'expédier. Saskia Lawaks, photographe de mode, nous avoue faire « des siestes dans les transports avec une grosse écharpe en guise d'oreiller » quand elle ne s'endort pas chez elle à Paris, entre deux événements. Pour elle et beaucoup d'autres « le temps libre est précieux ». Paula aménage également son temps de sommeil : « tu dois dormir au minimum 6 heures tous les 3 jours. Sinon, tu meurs. » Le manque de sommeil et le stress permanent font rarement bon ménage, et peuvent en effet vous conduire à une forme de surmenage particulièrement violente. Cécile, de son côté, a son petit cocktail pour tenir quand elle ne dort pas : « Alka Seltzer, eau, champagne mais pas ensemble – parce que l'Alka Setzer plus le champagne ça explose, comme le Mentos dans le coca. »

MARREZ-VOUS, LA FASHION WEEK A ÉTÉ CRÉÉE POUR ÇA
Pour ne pas perdre définitivement ce qui vous servait de cerveau au bout de neuf jours de travail intensif et de rituels dûment répétés, mieux vaut se doter d'un truc : d'un sérieux sens de l'humour. Saskia nous raconte qu'on ne tient pas dans ce milieu si « on ne rit pas des 45 minutes d'attente pour un show, ou de quand une fille un peu fragile s'évanouit backstage, ou de quand une hystérique de la mode se colle à un designer pour faire un selfie de force, ou qu'on te donne les noms des bloggeuses et leur nombre en K de followers quand tu demandes "quels seront les VIP qui assisteront au défilé". » Globalement, tout est si absurde que vous aurez envie de rire de tout, mais en toute sincérité, sachez aussi que vous marrer pourra également vous sauver d'une éventuelle dépression. Celle-là même que je m'apprête à combattre à coups de champagne et d'aspirine dans les jours à venir.