La Police de la police

Des policiers anti-émeutes lors de la manifestation pro-palestinienne à Barbès en juillet dernier. Photo : Glenn Cloarec/VICE.com

Apparu courant février, Vengeance.org est un blog se présentant comme un « annuaire d’informations sur les forces de l’ordre à Rennes et dans les alentours ». Sans surprise, la police bretonne a peu apprécié le lancement de ce nouveau site.

Mettant en pratique le slogan « la police nous surveille, surveillons la police », le site a déjà publié les noms, prénoms, photos, fonctions et parfois numéros de téléphone et adresses d’une cinquantaine de policiers, d’agents de la DGSI (les renseignements intérieurs) et de surveillants de prison d’Ille-et-Vilaine. Y figure aussi des images de véhicules et leurs plaques d’immatriculation utilisés par la BAC, la brigade cynophile et la PAF (Police aux frontières). Si certaines photos d’agents des renseignements semblent avoir été prises pendant leurs heures de travail, la plupart des informations ont été collectées sur les réseaux sociaux et dans les Pages blanches.

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Contactée par VICE, la préfecture de Rennes a indiqué avoir saisi le ministère de l’Intérieur pour que le site soit fermé. De plus, une procédure judiciaire pour « atteinte à la vie privée et au professionnalisme de fonctionnaires » a été engagée – néanmoins, si le blog n’était plus accessible hier, il l’était de nouveau il y a quelques heures.

Joint également, Frédéric Gallet du syndicat Alliance Police-Nationale de Rennes expliquait que tous ses collègues dont l’identité a été dévoilée allaient porter plainte.

La pratique n’est toutefois pas nouvelle. Le site Copwatch Nord-Ile-de-France, qui avait divulgué des informations de même nature en septembre 2011, s’était vu frapper d’interdiction par le Tribunal de grande instance de Paris dans un verdict rendu le 14 octobre 2011. Réapparu au début de l’année suivante, il était à nouveau interdit le 10 février 2012. En revanche, le site copwatch.fr, qui collecte essentiellement des témoignages d’individus ayant eu affaire aux foudres des forces de l’ordre, ne tombe lui pas sous le coup de la justice.

Le copwatching, qui consiste à observer les pratiques policières, est apparue à Berkley aux États-Unis en 1990, avant de se répandre dans tout le pays, puis en Europe et en France.

Capture d’écran de Veangeance.org

L’apparition de ce blog – avec surtout un tel intitulé – n’arrive pas dans un contexte dénué d’actualité. Cette publication résonne avec la journée mondiale contre les violences policières, prévue ce week-end, et fait suite aux manifestations de Nantes et Toulouse du 22 février, organisées en hommage à Rémi Fresse, tué à Sivens par un tir de grenade offensive en octobre dernier. Ces manifestations s’étaient soldées par l’interpellation et la condamnation de plusieurs manifestants, dont certains ont été condamnés à de la prison ferme.

Néanmoins, c’est surtout le procès des deux policiers impliqués dans la mort de Zyed et Bouna, qui se déroulera du 16 au 20 mars prochain au tribunal de Rennes, dix ans après les faits, qui marque le calendrier. Les deux jeunes adolescents étaient mort électrocutés – et un troisième avait été grièvement blessé – après s’être réfugiés dans un transformateur EDF pour échapper à la police. Cet événement avait déclenché une série d’émeutes, dont on se souvient encore tous aujourd’hui.

La justice avait d’abord prononcé un non-lieu contre les policiers impliqués, avant que la cour de cassation l’annule en 2012 et que le tribunal de Rennes les inculpe pour « non-assistance à personne en danger ».

La section bretonne du syndicat Alliance a vite fait le lien entre les deux événements : « C’est évidemment lié à l’affaire de Zyed et Bouna. Ces derniers temps, il y eu a pas mal de tags anti-flics, anti-juges et anti-État à fleurir dans la région, explique Frédéric Gallet. Il n’y a pas eu d’agression depuis la publication du blog, mais c’est déjà arrivé que des collègues se fassent frapper ou menacer – notamment par des tags plutôt explicites à base de “sale keufs” et de “à bas les keufs” sur leur maison. »

Aussi, « Vengeance » n’en est pas a son premier coup : « Le site avait été activé il y a quelques années, puis mis en sommeil, et là, il refait surface », détaille le syndicaliste, qui explique aussi que les agents de la DGSI fichés sur le blog ne sont « pour la plupart plus en poste ».

Faisant foi du vieille adage « connais ton ennemi et connais-toi toi-même » de Sun Tzu, l’identification de policiers, d’agents des renseignements, des bagnoles de la BAC et des mâtons semble évidemment être de nature militante. Ainsi, ces informations peuvent permettre à leurs auteurs et aux militants d’extrême gauche auxquels ils s’adressent de s’assurer qu’ils ne sont pas infiltrés par des agents des renseignements ou suivis par une voiture banalisée lors de leurs actions.

Interrogée sur une éventuelle défiance grandissante des populations envers la police, la préfecture explique que ce blog, « expression d’une minorité radicale, ne reflète pas les sentiments de la majorité de la population, qui est consciente du travail difficile effectué par les forces de sécurité pour maintenir l’ordre, garantir les libertés et protéger les personnes et les biens ».

L’enquête venant de débuter, le bureau du procureur de la République de Rennes indique ne pas connaître le nombre précis de plaintes déposées dans cette affaire ni avoir déterminé les chefs de poursuites. Il envisage toutefois des inculpations pour « menaces et infractions à la réglementation sur l’accès aux données numériques ». Il pourrait s’appuyer sur l’article 226-22 du code pénal, relatif à la divulgation d’informations susceptibles de porter atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée. Mais avant un éventuel procès, il faudrait que les enquêteurs réussissent à identifier les auteurs du blog, ce qui semble peu probable.

@vella_ale