Vendredi dernier, deux décisions rendues coup sur coup par le tribunal de Bobigny semblent avoir ouvert une nouvelle ère : celle de la fin de l’impunité sur Internet pour les gros (gros) relous. La journaliste Nadia Daam et l’ancienne actrice porno Nikita Bellucci, ont vu leurs cyber-harceleurs condamnés à de la prison (avec sursis pour le premier et ferme pour le second). Pour la faire courte, un jeune homme de 21 ans avait appelé à « tuer sans scrupules » la journaliste, alors que Bellucci avait reçu plusieurs messages à base de « je vais te violer et te laisser pour morte sur la chaussée, chiennasse » ou encore « ils sont toujours pas venus tes flics, ils bougeront leur gros cul que quand tu seras morte ».
Dans un tout autre domaine, ce même vendredi, la 16ème chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris condamnait quatre administrateurs et modérateurs du premier forum djihadiste français, Ansar Al-Haqq, à de la prison ferme.
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Alors que la justice peinait à prendre en compte ce qui se jouait sur Internet, les magistrats semblent enfin avoir pris la mesure du phénomène. Pour décrypter cette évolution, on a passé un coup de fil à Maître Dalila Madjid, avocate spécialiste du droit de l’Internet.
VICE : Quel regard portez-vous sur les décisions prises vendredi dernier ?
Dalila Madjid : La justice commence à prendre en compte ce qui se passe sur Internet. Auparavant, c’était un monde complètement abstrait pour les magistrats. Puis, au fur et à mesure, ils se sont aperçus que ce nouveau support prenait de plus en plus de place et qu’il fallait le prendre au sérieux. La justice commence ainsi à comprendre qu’il faut traiter avec la même sévérité les infractions commises sur Internet que celles commises in real life. La violence psychologique et morale d’une menace de mort est la même, qu’elle soit véhiculée sur Twitter ou de vive voix.
Pourquoi cela a pris autant de temps ?
Cela s’explique en partie par la formation des magistrats, qui n’ont pas été formés, pour la plupart, au droit de l’Internet. Puis, il faut aussi indiquer que les magistrats ne sont pas tous jeunes, donc pas forcément au fait des dernières avancées. Pour illustrer cette méconnaissance d’Internet, j’ai actuellement des affaires avec des youtubeurs. Et bien, cela a été compliqué d’expliquer cela au juge, parce qu’il ne connaissait même pas Youtube, encore moins le mot « youtubeur ». J’ai dû faire tout un laïus sur Youtube en préambule. J’ai eu aussi le cas d’une youtubeuse qui a été dénigrée sur Instagram d’une manière anonyme. Les juges ne savaient pas non plus ce qu’était Instagram quand j’ai plaidé l’affaire. Facebook, ils en ont entendu parlé, mais Instagram c’était une découverte lors de la plaidoirie.
Existe-t-il des outils juridiques pour faire face à ce nouveau type d’affaires ?
On a déjà les outils pour repérer les Internautes fautifs. Par exemple, dans le cas d’affaires de pédo-pornographie, on pouvait bien retrouver les personnes concernées grâce à leur adresse IP. Mais pour les cas d’harcèlement, on avait le sentiment que la justice ne s’en souciait pas vraiment. Au plan pénal, on peut donc dire que les outils existent et qu’il n’y a pas de réel vide juridique. Dans le cas de Nadia Daam, la menace de mort est une infraction pénale. Donc quelque soit le support, par téléphone, texto, sur un post-it ou par mail, le résultat est le même.
Mais ce n’est pas le cas pour tous les pans du droit…
Oui, par exemple le code du travail ou du commerce ne sont pas à jour sur ces affaires-là. Récemment, on a eu le cas de chaînes YouTube de parents qui filment leurs enfants. Et bien là, le code du travail ne prévoit rien sur le travail des enfants sur des chaines YouTube. On a certes le statut des enfants du spectacle, qui travaillent dans des cirques ou encore les enfants mannequins, mais rien sur les enfants youtubeurs. Il y a donc un vide juridique pour ce type de situations précises.
Le droit va-t-il évoluer ?
Oui, il va y être contraint. Mais comme je l’indiquais en amont, Internet devrait être une matière classique pour les avocats et les magistrats… Aujourd’hui, il faut hélas se spécialiser. Moi j’ai fait un troisième cycle en droit des multimédias et systèmes d’information. Et puis, je continue de me former avec mes clients qui ont des problématiques liées à divers champs d’Internet.