Les cocktails à base de vodka ont longtemps régné sur le royaume des boissons. À la fin du XXe siècle, c’était même ces verres façon Technicolor qui dominaient la chaîne alimentaire. Tout le monde avait envie de faire la fête et d’être vu avec. Porte étendard de cette époque aujourd’hui révolue, le Cosmopolitan coopté par la série Sex and the City et son héroïne, Carrie Bradshaw. « Je voudrais un cheeseburger, des frites et un Cosmo s’il vous plaît », commandait-elle au McDo.
« Le Cosmopolitan est une simple vodka sour », confie Toby Cecchini, propriétaire de bar et barman. « Mais il a ce côté à la fois sympa et exaspérant – servi dans un verre à la fois sympa et exaspérant ». Même si l’origine du cocktail est difficile à retracer, nombreux sont ceux qui identifient Cecchini comme l’homme derrière le Cosmo.
Videos by VICE
LIRE AUSSI : Quand le barman du Ritz servait d’intermédiaire à la Résistance
En 1988, Cecchini avait 25 ans et était alors barman à The Odeon, l’Absolut Citron – la vodka qui a déclenché une petite révolution et une série d’imitations maison – apparaissait sur le marché. « On n’avait jamais rien vu de tel. On était là ‘Oh mon Dieu, c’est trop cool ! La saveur est dans la vodka !’ », se souvient-il en imitant cette naïveté réservée aux vingtenaires.
Un jour au boulot, Cecchini a vent d’une boisson populaire dans les bars ambiance « chaîne et cuir » de San Francisco. Baptisé le Cosmopolitan, il est composé d’un mélange de vodka bon marché, de grenadine Rose’s et de citronnade – le tout servi dans un verre en forme de V. Cecchini a alors l’idée de repenser le cocktail en utilisant l’Absolut Citron, du Cointreau, du jus de citron vert frais et du jus de cranberry Ocean Spray. Le résultat ? Un truc rafraîchissant, rouge et garni de zeste de citron.
Le Cosmo séduit rapidement le Lower Manhattan. « On était littéralement envahi par ce cocktail. Tous les barmen de la ville voulaient me tuer. Même moi je n’étais pas contre », raconte Cecchini. Un article du New York Times de 1999 déclare : « Le soir, New York se transforme en un marathon de cocktails sexy, fruités et colorés. Des boissons qui crient ‘vacances’. ».
Les fameux verres s’élèvent de la table comme de minuscules sapins de verre remplis d’alcool. Là se tient le Cosmo, translucide, rose et résolument urbain
Sex and the City est une série américaine qui a été diffusé à la télé américaine entre 1998 et 2004. J’ai grandi dans une maison de Seattle, on n’avait pas les chaines câblées et les maisons de mes potes étaient mes seuls refuges pour voir la série et observer le train de vie – particulièrement attrayant – des héroïnes qu’elle mettait en scène.
Car c’est grâce à Sex and The City que le Cosmo a pris son envol et quitté le cercle fermé des bars de Manhattan. La boisson apparaît pour la première fois au début de la deuxième saison. Carrie est en train de célébrer son anniversaire avec ses potes. Les fameux verres s’élèvent de la table comme de minuscules sapins de glace remplis d’alcool. Là se tient le Cosmo, translucide, rose : la quintessence d’un cocktail urbain. Mon moi de 11 ans supposait qu’il avait le goût d’un Hawaiian Punch, avec ce petit truc en plus de New York. Et qu’il était donc délicieux.
Depuis, le cocktail et la série HBO sont restés inextricablement liés. « Il a ce côté ‘soirée entre copines’, genre ‘Oh, et si on prenait des Cosmos!’ », explique Lucy Brennan, experte en matière de cocktails. Anna Dunn, barman basée à Brooklyn dont le CV inclut des adresses comme Diner ou Achilles Heel, me livre sa pensée dans un email : « Je suppose que Sex and the City a redonné un coup de fouet glamour au cocktail. Boisson rose. Robe soyeuse. Succès assuré ! », écrit-elle.
Avant sa renommée, le Cosmo avait déjà séduit les célébrités new-yorkaises. Mais c’est bien la série qui a aidé à sa diffusion, le transformant en star mondiale à part entière et en faisant une boisson adorée des masses. Puis, au fur et à mesure que Sex and the City disparaissait des écrans, le cocktail s’est peu à peu stabilisé.
Le boom du cocktail artisanal – qui rejette les ingrédients comme la vodka aromatisée au profit de « l’authenticité » – semble condamner la boisson
Même si les connaisseurs respectent le rôle indéniable du Cosmo – qui aura notamment aidé à catalyser une nouvelle ère du cocktail et une façon originale de boire, c’est un accessoire plutôt rare aujourd’hui. « Franchement, qui commanderait un Slurpee ? Cela ne plaît plus vraiment aux gens », remarque Brennan.
Le boom du cocktail artisanal – qui rejette les ingrédients comme la vodka aromatisée au profit de « l’authenticité » – semble condamner la boisson. Même Sex and the City semble avoir participé à la chute de popularité du cocktail. Ce qui était hier synonyme de sophistication est devenu selon les normes actuelles plus une parodie qu’un idéal.
J’ai décidé de me familiariser avec mon sujet en invitant une amie chez Pépé le Moko, un bar à cocktail de Portland. Elle n’est pas super motivée : « Le Cosmo, c’est ce qu’on a l’habitude de boire pour se mettre une caisse sans trop de calories quand on a une infection urinaire ». La serveuse arrive et ma commande est accueillie avec un sourcil levé à peine perceptible.
LIRE AUSSI : Quand votre machine à laver devient une usine à cocktails
Le Cosmo est servi dans une coupe de Champagne et garni d’une écorce d’orange. J’imagine que ce n’est pas du tout ce que Cecchini avait prévu. Je grimace en posant mes lèvres sur le bord du verre, m’attendant presque à être empoisonnée. Je prends une gorgée. Puis une autre. Attendez une minute, mais ce truc est vraiment délicieux.
Mon acolyte se soumet au même test à contrecœur mais est obligé d’acquiescer. Soudain, tout est clair : la boisson en elle-même n’a jamais changé – elle reste un rafraîchissement un peu flirty. Par contre, nous avons changé, dépassant l’insipide quotidien de Sex and City qui avait façonné notre perception de la boisson.
Le Cosmopolitan est un chouchou, c’est la coupe de cheveux de Rachel, un truc qui vous transperce la langue. On s’extasie avec nostalgie sur sa « célébrité » mais, malgré les rumeurs, la boisson n’est pas encore fait son retour. Peut-être parce qu’elle n’est jamais vraiment partie aussi.