On vit dans l’ère de l’expérience utilisateur. Je ne sais pas trop comment on est arrivé là mais désormais ce qui prime c’est de vivre une expérience et d’en rendre compte au reste de l’humanité. Que cela soit dans un restaurant, un parc d’attractions, une boutique de sapes ou une discothèque, on vous attend avec votre petit smartphone magique à la sortie pour savoir si vous mettez 5 étoiles, un emoji vomi ou un petit coeur noir (parce que vous êtes trop cool) pour décrire les quelques heures que vous venez de passer. C’est aussi le cas pour les festivals de musique, qui rassemblent désormais, et ça tombe bien, toutes les activités précitées et qui peuvent se targuer d’être devenus avec le temps des « temples du lifestyle » – mon Dieu.
Si ce terme de festival est donc devenu plupart du temps un argument marketing, alors qu’il pouvait signifier encore quelque chose il y a quelques années, il reste tout de même quelques événements qui n’ont pas envie de vous proposer des ateliers couronnes de fleurs et des tournois de balle au prisonnier sur la plage. Parmi eux, il y a le Mofo qui pourrait ressembler au Keith Richards des festivals. Il craque de partout mais reste toujours l’assurance d’un bon moment, sincère et convivial. On a donc pris un moment pour discuter avec sa programmatrice Anaïs Garcia, avec un morceau inédit de Strasbourg en guise d’amuse-bouche juste ci-dessous.
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Noisey : Mofo est un festival qui a eu des moutures très différentes. Comment tu te retrouves à en être sa programmatrice aujourd’hui ?
Anaïs Garcia : J’ai d’abord repris l’organisation de la soirée Sale et Sauvage (orientée rock garage) avec un ami, suite à une demande de la direction de Mains d’Oeuvres. Je n’étais pas très à l’aise à l’idée de reprendre le projet de quelqu’un mais on a demandé à Elsa qui l’avait créée et elle nous a donné son accord. Il y avait une envie de toute l’équipe là bas de refaire Mofo. Il y a d’abord eu un autre programmateur et je me suis occupé de la coordination et ensuite j’ai repris son poste quand il est parti.
Et reprendre ce projet des années après tant de changements de personnels et de formules, ça ne t’a pas embêté ?
Non parce que c’était le festival que je préférais à Paris, celui dont je me sentais le plus proche. Quand ça s’est présenté, j’étais super fière. Je n’avais pas l’ambition que ça soit aussi bien que le festival à ses débuts, déjà parce que le budget est moitié moins important. Mais je pensais être tout à fait capable de renouer avec l’âme du Mofo et ce que ça voulait dire pour les gens.
Tu peux me décrire l’esprit du festival qui te semble si important justement ? Votre baseline dit « le plus petit des grands festivals »…
On a changé et décidé de prendre un nouveau slogan à chaque édition. L’année dernière, on a eu pas mal de soucis avec la mairie et on voulait insister là-dessus. On avait donc dit « festival bipolaire, sans bail et sans complexe ». On voulait mettre le doigt sur nos problèmes avec la ville d’où le « sans bail ». Cette année, on a parlé de « festival en eaux troubles », surtout pour dire qu’on ne cloisonne pas les styles. Pour revenir à cet esprit, je ne suis pas sûre. Je n’aime pas le terme indé, qui ne veut plus rien dire je trouve. On essaie de faire quelque chose un peu à côté. Mais maintenant il y a tellement de festivals. Tu montes un petit festival et tu programmes seulement des groupes français et tu sais que ça va marcher. On essaie de faire quelque chose d’un peu différent de notre côté.
Les producteurs privés investissent beaucoup en ce moment dans les petits festivals.
Oui il y a clairement un business du festival indé et du concept qui va avec. Après en étant en janvier, on se disqualifie d’emblée de la saisonnalité des festivals. Même si ce n’est pas facile de faire venir les groupes à cette période.
Comment as-tu constitué la programmation justement ?
Je fais la prog’ seule mais je demande beaucoup de conseils, à Max-Antoine (qui fait le projet Tropical Horses) ou aux gens de la Station avec qui je bosse. J’ai envoyé près de 200 propositions, sans rien m’interdire. J’ai contacté Mount Kimbie parce que je trouvais que c’était très Mofo même si ça n’a pas marché. Au niveau style, je ne fais pas trop gaffe et ensuite j’essaie de mettre un peu d’ordre dans tout ça. Mais ça reste quand même axé guitares. Et puis on a aussi initié des projets de création avec les outils de résidence offerts par Mains d’Oeuvres : un avec Laurence Wasser et un autre avec Grand Huit, Terrenoire et Pabloïd.
Il n’y a pas de calcul qui irait un peu dans la facilité ou simplicité, par exemple organiser une soirée techno avec deux ou trois DJ’s ?
Ce n’est pas du tout ma démarche. Comme on s’est fixé des prix bas, on n’a pas vraiment la pression de remplir. On ne cherche pas la formule ou on ne se dit pas : « Tiens qu’est ce qui marche en ce moment ? ». L’idée c’est plutôt de mettre la lumière sur des groupes qui n’ont jamais joué en France ou des coups de coeur. Et c’est ce qui a marché l’année dernière.
L’année dernière Mofo était dans la tourmente (financière et politique avec la mairie qui menaçait de ne pas renouveler le bail de Mains d’Oeuvres ). J’ai l’impression que Mains D’Oeuvres est un lieu un peu mouton noir depuis un moment maintenant. On en garde des bons souvenirs mais le lieu est un peu décrépi…
Moi j’aime ce lieu. Je trouve ça dingue d’avoir des équipements comme ça, des studios de musique, de danse, des bureaux, des journalistes. Mais ça grouille presque trop et le lieu a du mal à suivre. J’ai aussi hésité à faire le Mofo car plein de bookers ne voulaient tout simplement pas que leurs groupes viennent jouer à Mains d’Oeuvres, notamment à cause des soucis financiers du lieu. J’ai envie de le sauver mais je n’y arriverai pas. Mais le Mofo doit se faire dans ce lieu. On galère, on n’a pas de sous mais je reste fascinée par cette aura. À une époque, c’était le lieu le plus cool de Paris.
Oui à la même époque que le Batofar, qui de manière assez ironique a connu un peu la même destinée…
En ce moment je travaille à la Station qui a le vent en poupe et en même temps je travaille à Mains d’Oeuvres qui galère. Et j’aime bien cet entre deux.
C’est aussi un lieu un peu précurseur du fait d’organiser des choses en banlieue, avec les Instants Chavirés notamment. Tu bosses à la Station actuellement. Tu penses que la clé de la liberté est extra muros ?
Ça a des avantages mais ça dépend de l’évènement. Tu organises un concert un samedi soir à Mains d’oeuvres ou à la Station tu sais que tu auras moins de monde qu’au Supersonic. À la Station en été tu as l’impression d’être dans le meilleur lieu de Paris, car cet espace extérieur génial ne serait pas possible dans Paris. Et puis les gens rappliquent aussi quand il y a une soirée club.
Le revers de la médaille dans ces soirées c’est aussi que le lieu underground devient le défouloir des Parisiens qui ont l’impression que comme c’est loin et pas cher ils peuvent se permettre de tout ruiner.
Je suis chargée d’exploitation à la Station donc je peux te le dire c’est aussi cette liberté qu’on laisse aux gens qui fait que ça marche. Parce que dans les faits vu la tronche du lieu, tu peux presque tout te permettre. À Mains d’Oeuvres ce n’est pas le cas, et de toute façon il n’y a pas d’événements de nuit. Il y a évidemment la programmation mais aussi le fait que plein de communautés se sentent à l’aise à la Station. C’est un lieu de liberté.
Est-ce que ce terme de festival a encore un sens pour toi ?
Pour moi non. Dans le cas de Mofo je n’y toucherai pas car ce n’est pas « mon » festival. Je ne l’ai pas créé. Mais ce terme ne veut plus rien dire. Il y a tellement de festivals qui te propose un kiff de vie, une expérience sur trois jours etc. Moi ce qui m’importe surtout c’est que les gens découvrent des choses, pas juste qu’ils « vivent » un truc. À Mains d’oeuvres de toute façon, ça n’a pas beaucoup de sens vu le lieu. Ce qui m’embête avec tous ces nouveaux festivals comme Cabourg Mon Amour, où tu vas marcher dans la forêt ou je ne sais quoi et après tu vas écouter un concert, c’est que la musique devient accessoire. Mofo c’est seulement de la musique et ça me va très bien comme ça.
Vous refusez toute cette partie lifestyle, couronne de fleurs, qui cartonne dans beaucoup de festivals.
C’est pas du tout mon truc. On fait attention à la bouffe, on essaie de proposer quelque chose de bien. Et on met en avant des labels. Mais le terme de festival c’est comme le terme d’indé dont je parlais, tout ça n’a plus de sens car c’est devenu une étiquette marketing.
Tu es la première programmatrice dans l’histoire du festival et on constate d’ailleurs qu’il y a de plus en plus de femmes à ces postes en France. Tu peux nous donner ton sentiment là dessus?
Dans mes boulots avant, le climat a toujours été égalitaire, aux Balades Sonores, chez Rouge Vinyle, à Mains d’Oeuvres, à la Station. J’ai toujours eu cette chance-là. Après à ma manière j’essaie de faire avancer les choses justement en m’investissant dans Comme Nous Brûlons ( « festival féministe, queer et incandescent »), où je côtoie d’autres femmes ultra militantes. J’espère que les choses vont aller dans le bon sens. Je suis déjà ravi de ce qui se passe en ce moment. A Mains d’Oeuvres, les équipes sont composées à 80% de femmes. Ca s’est fait naturellement et tout le monde était ravi qu’une femme soit à la programmation pour la première fois. Mon engagement personnel s’exprime de manière plutôt discrète je crois. J’aurais d’ailleurs aimé que la programmation soit plus féminine mais les agendas des artistes ont fait que des choses n’ont pas marché et qu’on se retrouve avec plein de groupes de mecs. Ce serait ballot de me le reprocher mais je pourrais comprendre qu’on le fasse.
Primavera titre son festival cette année « The New Normal » avec une programmation totalement paritaire. On peut y voir une avancée et en même temps un calcul marketing surtout qu’ils programment davantage de femmes mais dans des styles musicaux très commerciaux (r’n b, pop FM…).
Oui, ils surfent sur une mode. Mais c’est une question difficile. Je voulais Colleen mais au final elle n’était pas dispo et je n’allais pas m’interdire de booker un groupe avec des hommes. J’ai vraiment un problème avec l’idée de quota. J’espère juste que les choses vont évoluer dans le bon sens naturellement et sans calcul.
Le MOFO festival se déroulera du 24 au 26 janvier à Mains d’Œuvres, avec notamment Louder Than Death (KIng Khan + Magnetix), Dopplereffekt, Jerusalem in my Heart, Société Étrange, Maria Violenza, Ellah A Thaun, Bear Bones Lay Low, etc. Toutes les infos sont disponibles ici.
Adrien Durand est sur Twitter.