Selon Bruce Dickinson lui-même, sa page Wikipedia est constituée de « 50 % de conneries ». Elle commence pourtant plutôt bien : le londonien y est décrit comme « chanteur, compositeur, pilote de ligne, escrimeur, entrepreneur, auteur et animateur radio britannique. » Jusque là, tout va bien. On peut ensuite lire qu’il est « le chanteur du groupe heavy metal Iron Maiden, célèbre pour l’étendue de son registre vocal et l’énergie qu’il dégage sur scène. » Rien à redire. En fait, c’est quand on rentre dans le détail que les choses se corsent : à 59 ans, Dickinson a accumulé nombre d’exploits et d’aventures parfois franchement rocambolesques, que les fans ont tendance à exagérer ou à raconter un peu n’importe comment. Le frontman d’Iron Maiden m’explique cependant qu’il a la flemme d’aller corriger ces erreurs et invite, au contraire, les biographes en herbe à « balancer tous les mensonges et les contre-vérités qu’ils veulent. Faites vous plaisir ! »
Quand je lui dis que le public le considère comme un surhomme, il soupire, exaspéré : « Parce que c’est raconté de telle façon qu’on a l’impression que c’est mon quotidien. Les gens s’imaginent que je me lève le matin, que j’affronte une douzaine d’adversaires à l’escrime, que je prends mon 747 pour aller faire une interview, et que j’écris un bouquin entre midi et deux. Vous êtes cons ou quoi ? Personne ne fait ça ! »
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Je suis assise en face de Bruce Dickinson dans une des salles de conférences du siège social d’HarperCollins, à Manhattan. Quelques minutes auparavant, il débarquait en trombe dans la pièce, en costume trois-pièces, et attrapait un jean et une chemise posés sur un fauteuil, avant de ressortir aussi sec. Il est réapparu quelques secondes plus tard, ajustant une veste à motifs sur ses épaules et me saluant, m’expliquant qu’il revenait du New York Stock Exchange, d’où il avait pu s’éclipser juste à temps pour notre interview. Il semblerait que c’est là la manière qu’a Bruce Dickinson de faire du tourisme : vite, bien, et avec une considérable dose de style. Je ne suis pas surprise – de ce que j’ai pu tirer de la lecture de son autobiographie What Does This Button Do ?, récemment publiée chez HarperCollins, et du récent album live de son groupe, The Book Of Souls: Live Chapter, issu de leur épique dernière tournée mondiale – c’est plus ou moins la façon dont il fonctionne dans la vie en général.
Même s’il a écrit une poignée de romans satiriques et le scénario du film d’horreur Le Diable dans le Sang, Dickinson n’est pas vraiment un auteur au sens traditionnel du terme, mais ce qui est sûr, c’est qu’il sait raconter des histoires. Tout au long de son livre, il enchaîne réflexions et anecdotes hilarantes, souvent à ses dépends, sur sa jeunesse débridée à Londres, en quête de gloire heavy metal, et, plus tard, sur sa vie de pilote accompli et d’homme d’affaires. Un exemple : le dernier chapitre du bouquin, qui traite de son combat contre le cancer de la langue, et raconte en détail le diagnostic, le traitement et son triomphe final sur cette tumeur « de la taille d’une balle de golf », est tout simplement intitulé « Fuck Cancer ».
Pendant notre entretien, Dickinson répond à mes questions du tac au tac, mais posément, ne me lâchant jamais du regard, dégageant une agréable impression d’intensité, plus amicale qu’intimidante (le fait qu’il ne soit pas, comme il le dit lui-même, particulièrement grand, y contribue sans doute). Devenu un professionnel aguerri de l’interview promo, il est capable de répondre de manière totalement désinvolte à n’importe quelle question.
Noisey : Pourquoi cette autobiographie, maintenant ?
Bruce Dickenson : Eh bien, ça fait 10 ans qu’on me demandait de l’écrire et j’ai toujours répondu non. Où est-ce que vous voulez que je trouve le temps de faire ça ? Je ne suis pas encore fini. Je pense qu’on ne fait qu’une seule autobiographie – ce qui vient après, ce sont des livres d’Histoire. Celle-ci, c’est la bonne. Je me suis dit que c’était le bon moment pour faire une pause. Quand il y a eu le truc du cancer de la gorge, je me suis dit, bon, je n’ai pas encore prévu de raccrocher les crampons, mais, là, c’est un tournant – c’est presque comme si je remettais les compteurs à zéro. Quand tu es passé par ce genre d’étape, c’est beaucoup plus facile de revenir en arrière.
C’est cool que tu l’aies écrit tout seul. La plupart des rock stars ont tendance à faire ghostwriter leurs biographies.
Ça ne risquait pas d’arriver avec moi.
Pourquoi ?
Parce que je n’aime pas ça. Ce n’est pas ta voix. Ça se voit instantanément, quand quelque chose a été écrit par quelqu’un d’autre. Il y a toujours un moment où ils vont glisser un truc foireux issu des souvenirs de quelqu’un d’autre, ou verser dans l’hégémonie avec des passages qu’on croirait tout droit sortis d’un dossier de presse.
Ils zappent souvent les moments compromettants.
J’en ai zappé quelques-uns moi aussi, mais uniquement parce qu’ils impliquaient d’autres personnes – et c’est mon autobiographie, pas celle de mes proches ou des personnes que j’ai croisé. Je ne voulais pas raconter des trucs privés sur d’autres sans leur autorisation.
C’est une façon très honorable d’aborder les choses.
Eh bien, c’est un livre très honorable, je crois. Si je veux révéler des choses sur moi, ça me regarde. Pas de problème. J’ai le droit. J’imagine que c’est un peu comme être comédien. Si un comédien Noir veut faire des blagues sur les Noirs, il en a un peu plus le droit qu’un Blanc qui raconterait des blagues sur les Noirs. On peut discuter des nuances, mais le principe général est là. C’est ma vie, donc si je veux raconter des trucs sur ma vie, c’est mon problème, mais on ne peut pas révéler gratuitement des trucs sur la vie des autres.
Ta vie est une chevauchée sacrément épique, mais les passages sur ton enfance font vraiment partie des plus édifiants. J’ai trouvé ça intéressant que tu racontes ce que c’est de faire sa scolarité dans un internat chic quand on vient d’un milieu ouvrier. On a l’impression que c’est là que tu as compris que ta vie serait, finalement, une suite de moments où tu te dirais à toi-même : « O.K., maintenant, on va se sortir les doigts et y aller. »
Je ne suis pas sûr que cette histoire figure dans le bouquin, parce qu’on en a enlevé 40 000 mots à la relecture. Jack, l’éditeur, voulait qu’on puisse le lire comme un roman, et j’étais plutôt de son avis ; on a viré des passages entiers du texte, genre huit pages en tout. Et donc il y a une histoire, qui n’y est plus, je crois, sur la fois où je suis allé fait du karting, et j’avais un kart vraiment pourri. C’était un truc d’occasion, mais genre occasion d’occasion – le châssis était pourri, et les pneus complètement usés. Je n’avais absolument aucune chance de gagner une course ; il n’allait tout simplement pas assez vite. Tous les autres gamins avaient des parents pleins aux as, et je me sentais honteux et stupide de rouler sur cette vieille merde. Mon père m’a juste dit : « Va au bout. Contente toi de finir la course, parce que tous ces gamins vont se rentrer dedans, ils vont sortir de la piste. Contente toi de finir la course et attends de voir ce qu’il se passe. » J’ai fait, hmm, OK. J’ai fini la course. Et tu sais quoi, à la fin de la journée, ils sont arrivés et ils ont dit « Ce petit a eu les points qu’il faut, tiens, voilà ta coupe. » J’ai gagné parce que je suis allé au bout de la course, contrairement aux petits prodiges. Il y a une leçon de vie là-dedans.
Ça semble assez prophétique, quand on pense à ce que tu as fait par la suite.
Si tu te barres du court de tennis, tu ne risques pas de gagner. Ça ne sert à rien de balancer tes jouets par la fenêtre de la voiture parce que tu es contrarié, ou que tu as passé une journée de merde. Finis la course.
Tu sais, il y a un truc dans le chapitre « Fuck Cancer » qui m’a vraiment frappée. Quand on te l’a diagnostiqué, tu as simplement dit « Bon, je vais le vaincre. » Et puis tu t’y es mis, et tu l’as fait !
Oui, je l’ai fait, moi plus un tas de produits chimiques, de radiations et de docteurs géniaux ! Et ma femme a été absolument fantastique aussi. Elle m’a fait prendre des tonnes de compléments, en plus de ce qui m’était prescrit, pour renforcer mon système immunitaire et m’aider à supporter les effets secondaires de mon traitement. Mon cancérologue a été génial également – je suis allé le voir et je lui ai dit « Écoutez, je vais prendre plein de compléments sortis de nulle part, tous plus étranges et magnifiques les uns que les autres. » Et il m’a répondu « Vous m’en voyez ravi, assurez-vous simplement qu’ils ne contiennent pas de métaux lourd [heavy metal en anglais]. » Je lui ai fait « Vous vous foutez de moi ? » Et il m’a répondu, « Non, non, si vous prenez des doses supplémentaires de métaux lourds, ça va foutre en l’air votre traitement. » Du coup, pas de metal pendant mon combat pendant le cancer.
Sérieux ? C’est presque trop beau pour être vrai.
Il faut avoir une bonne dose d’humour noir pour supporter un traitement contre le cancer. Si c’est le cas, tu as au moins une chance de survivre. J’ai réalisé que j’avais droit à des allocations d’invalidité à cause du cancer – n’importe qui atteint de cancer est techniquement handicapé –, du coup, le premier truc auquel j’ai pensé, c’est « Hé, je vais pouvoir avoir un badge bleu, mortel ! ». J’ai donc déposé mon dossier, et au moment où j’ai reçu le formulaire, je me sentais mieux, j’ai dû le remplir et répondre, malheureusement, en disant la vérité. Ils demandaient, « Est-ce que vous avez des difficultés à monter des escaliers ? » Et j’ai répondu « Ahhh, il y a trois semaines, j’aurais pu vous répondre oui, je suis épuisé en permanence, mais aujourd’hui, malheureusement, ça ne me pose plus de problèmes. Merde. » Voilà, c’était plié ! Je me suis vraiment dit – tu regardes Doctor Who ?
Vite fait, oui.
Tu sais ce que c’est, un Dalek ?
Oui.
Les Daleks, c’était quasiment les maîtres de l’Univers, mais grâce à ce questionnaire, j’ai réalisé que les Daleks devraient en fait avoir droit à leur petits badges bleus d’invalides, eux aussi. Parce qu’ils ne peuvent pas marcher.
C’est d’autant plus ironique que pour réussir à vaincre ce truc, tu as du prendre plein de drogues et recevoir tous ces produits chimiques dans ton corps, alors que tu n’as jamais vraiment été branché drogues, même à l’époque où tu étais jeune, sauvage et cinglé.
J’attendais beaucoup de la morphine, et j’ai été tellement déçu. J’étais juste un peu dans les vapes. En plus, tu as l’impression que ton arrière-train se ferme à clé… Je me suis juste dit, c’est déprimant, qui est-ce qui a inventé ce truc ? Ça ne me donne pas envie de me couper une oreille. Ça ne me donne pas envie de peindre des tulipes avec des couleurs flippantes. Qu’est-ce que c’est que cette merde ?
En parlant de la vieille époque, il y a un paquet de photos géniales de vos débuts, dans le bouquin, et sur la moitié d’entre elles, tu es torse nu et tu portes des leggings en lycra. Pourtant, à l’époque, vous descendiez des jerrycans de bière chaque jour. Comment est-ce que vous faisiez pour rentrer dans ces leggings ?
Parce qu’on avait 23 ans. C’est aussi simple que ça. Quand tu as 23 ans, tu peux t’envoyer toute la bière que tu veux et continuer à ressembler à un anorexique surexcité. Après, ça change. Tu es obligé de faire un peu plus d’exercice ou bien tu peux essayer de choper un cancer de la gorge, ça marche bien, niveau perte de poids. Mais je ne le recommanderais pas.
Une autre info sur cette époque qui m’a vraiment faite marrer, c’est de voir à quel point tu étais agacé par l’étiquette « NWOBHM » [ New Wave Of British Heavy Metal].
C’est un nom tellement débile ! Ça a été inventé par une bande de journaliste bourrés au comptoir du pub – « On va appeler ça la nouvelle vague de heavy metal anglais. » Hein ? Quoi ? Maiden existait depuis 1975 ! Ce mouvement a été inventé par des journalistes de l’hebdomadaire Sounds, pour avoir un coup d’avance sur leurs rivaux du New Musical Express qui, eux, s’étaient fait les porte-étendards du punk. Il y avait un autre magazine, le Melody Maker, qui était pas mal et qui rassemblait des tas de petites annonces à la fin. Avant Internet, tous les musiciens d’Angleterre achetaient le Melody Maker pour consulter les annonces et trouver un chanteur, un guitariste, un batteur.
C’est hyper intéressant cette histoire sur la NWOBHM, surtout quand on considère le fait que, d’une certaine manière, le punk était une arnaque marketing.
Clairement, Malcolm McLaren [le manager des Sex Pistols] était un opportuniste, avec du flair, qui a, en gros, utilisé ses connaissances en art et en mode pour packager ce qui n’était rien d’autre qu’un mélange assez basique de pub rock et de heavy metal et lui donner une identité et une orientation différentes. Les Sex Pistols étaient un groupe de rock très standard. Glen Matlock était le seul à être doué musicalement dans l’histoire, et c’est lui qui écrivait toutes les chansons. C’était des riffs de guitare heavy metal, arrangés par Glen Matlock, qui était un grand fan des Beatles, avec, par-dessus, John Lydon, très malin lui aussi, avec son rictus, son personnage et ses textes acides. Tu mets tout ça ensemble, tu les fais passer sur la BBC ou je ne sais où, et BAM – tu as la nouvelle sensation du moment.
Dans ton livre, tu décris le moment où tu as vu Iron Maiden pour la première fois, depuis le côté de la scène, et que tu as su que tu allais chanter pour ce groupe. Comment pouvais-tu en être à ce point certain ?
Je ne sais pas. Je l’ai su. Il n’y avait ni logique ni calcul là-dedans. C’était juste une réaction émotionnelle. L’émotion que j’ai ressentie en les voyant était tellement forte, je me suis dit, « Wow, mon Dieu ». Il ne faut pas oublier que Samson [le groupe de Dickinson à l’époque] étaient vraiment dans le même giron. On partageait souvent l’affiche. J’ai pensé, « C’est exactement là que ma voix doit être. » J’arrivais à l’entendre – je pensais vraiment pouvoir faire quelque chose de ma voix, avec eux, et vice-versa… Ils étaient fantastiques.
On dirait presque que c’est ta volonté qui a provoqué tout ça.
Je pense que beaucoup de gens provoquent les choses par la seule force de leur volonté. La première chose à faire, dans n’importe quel domaine, quand tu veux que quelque chose se produise, c’est d’en rêver, d’en avoir des visions. Il faut en faire un truc tangible, même si c’est intangible. Et ensuite, tu peux passer à la deuxième étape. Si tu es sincèrement persuadé qu’un truc va arriver, tu commences à t’en approcher à tout petits pas, de manière inconsciente. Mais il faut d’abord en rêver.
Tu sembles avoir une telle confiance en toi… Est-ce que tu te souviens d’un moment où tu as douté de ta capacité à accomplir quelque chose ?
Mon Dieu, ouais.
Vraiment ? Ça ne se voit vraiment pas du tout dans ton livre.
Après la fin de Skunkworks [un side project formé durant les années 1990], je me suis mis à acheter le journal tous les matins, pour trouver un boulot. Je m’étais donné à fond. Qu’est-ce qu’il me restait à faire ? Peut-être qu’il fallait juste que je sorte de l’arène. Quand tu en as marre d’être dompteur de fauves, c’est le moment d’arrêter.
Il y a des passages assez éprouvants à lire. Notamment celui où vous pénétrez dans la Bosnie occupée pendant la guerre en utilisant un passage dans les montagnes, pour faire un concert.
Il existe un documentaire là-dessus, qui s’appelle Scream For Me Sarajevo, réalisé par un mec du coin, sans que j’en sache quoi que ce soit. Il y a environ quatre ans, ce type a commencé à rassembler les témoignages de tous les gens présents au concert, et ces interviews, à mes yeux, sont l’aspect le plus percutant du film. Elles sont hyper directes, en noir et blanc pour la plupart. Juste des gens qui racontent leurs histoires et comment ce concert a changé leur vie. Ils te foutent les larmes aux yeux. Il a trouvé le camion avec lequel on est entrés. Il existe encore. Ils ont réussi à le démarrer. Ils ont trouvé le mec qui nous a fait entrer. Ils ont trouvé des images du concert. Tous les personnages impliqués dans le truc, ils les ont trouvées et les ont mis dedans. Pour le 20ème anniversaire de l’événement, tout le groupe est retourné à Sarajevo et on a fait des interviews ; je n’y suis pas allé parce que j’étais sous traitement pour mon cancer à l’époque et je ne pouvais pas en parler. J’ai du refuser, mais j’y suis retourné l’année suivante, et j’ai fait quelques petites interviews pour le documentaire. Ça va sortir en février.
Dans le répertoire d’Iron Maiden, il y a beaucoup de morceaux vibrants sur la guerre, les batailles, la victoire. Le fait de te retrouver comme ça au beau milieu d’une zone de guerre a-t-il changé ta manière de raconter ce genre d’histoires ?
Il y a une grande différence entre ce que j’appellerais la « fiction épique » et la réalité. On donne plutôt dans la première catégorie, même si on aborde aussi les choses de manière plus réalistes, parfois. « The Trooper », par exemple, ça ne se finit pas bien. Le mec meurt à la fin. Il rend son dernier soupir à la fin du morceau. « Afraid To Shoot Strangers » aborde le thème de manière très ambivalente, alors qu’ « Aces High », c’est carrément tous flingues dehors, très flamboyant. On jongle avec les deux extrêmes.
Mais pour en revenir à la Bosnie, j’ai écrit un morceau là-dessus, « Inertia », sur l’album de Skunkworks.Ça parle de cette sensation d’inertie, de résistance au mouvement. Le refrain, [il chante] « Inertia. No wish to move at all. Everything is a stone wall. Inertia. History lets you die. » [« Inertie. Pas le moindre désir de bouger. Tout n’est que murs de pierre. Inertie. L’Histoire te laisse crever. »] Tu vois ? [il chante] « Ragged pile of silent accusers. Smell the blood of strangers here. No eyes. No ears. No smell. No taste. The mouth of the maggot is full of this place. Murdered conscience. The pressure is crushing heads like paper lanterns now. Unbreakable grip. A dead hand driving us forward to the end. » [« Un tas d’accusateurs silencieux en haillons. Renifle ici l’odeur du sang des étrangers. Pas d’yeux. Pas d’oreilles. Pas d’odorat. Pas de goût. L’asticot se repaît de cet endroit. Conscience qu’on assassine. La pression écrase maintenant les têtes comme des lanternes en papier. Poigne d’acier. Main de mort qui nous mène à notre perte.] Ça, c’est la guerre.
Un autre truc qui m’a frappée dans le bouquin : tu racontes avoir visité des camps de concentration, avoir visité Sarajevo. Tu jouais dans un groupe de rock pendant les années Thatcher. Et pourtant, tu ne parles quasiment pas de politique.
Il n’y a vraiment pas grand chose à dire sur la politique de cette période qui n’ait pas déjà été dit par des observateurs beaucoup plus instruits que moi. Je suis musicien. Est-ce que j’ai des opinions politiques ? Oui. Est-ce qu’elles ont leur place dans une autobiographie ? Non. Elles ne sont pas plus importantes que celles de n’importe qui dans la rue. Si vous voulez parler de vos opinions politiques, devenez politiciens ! Adhérez à un parti ou à ce que vous voulez. Allez-y franchement et dites : « Je veux que vous faire entendre mes opinions politiques et vous expliquer pourquoi vous devriez y adhérer. » Mais moi, je n’ai pas ça en stock. Je n’ai pas de boule de cristal. Je ne suis pas un expert en la matière. Si tu veux entendre mon avis sur la politique, je veux bien te le donner, mais quel intérêt ? Je suis juste un citoyen parmi des millions d’autres, et j’ai un seul vote à donner, comme tout le monde. Le fait que je sois célèbre ne justifie rien.
Mais je peux me situer quelque part. Je suis à droite du centre, mais pas très loin. Disons-le comme ça. Je ne suis pas du tout un socialiste, mais je crois en une belle approche humaniste de la façon dont notre société devrait fonctionner. Je pense que le profit permet d’évaluer la manière dont un business ou une société sont menés. L’avidité n’est que la preuve de sa corruption et de sa fertilité. C’est pour ça qu’une grande partie des années Thatcher a été catastrophique, mais en même temps, l’expérience de cette période a transformé le Royaume-Uni. Parce qu’à la fin des années 70, on était foutus. Le pays était rincé. À la fin des années 80, il ne l’était plus. Entre les deux, c’était complètement autre chose, et je ne cautionnais pas tout, mais tous les politiciens font des erreurs.
Je me dis, en écoutant ce que tu dis sur la politique à un niveau plus personnel, que les gens peuvent venir à un concert d’Iron Maiden sans se poser de question. Les deux dernières fois que je vous ai vus, tu as expressément dis, « On est là pour tout le monde. Tout le monde est le bienvenu, pas de différence. »
Absolument, mais à mes yeux, c’est totalement indépendant d’une quelconque affiliation politique, gauche ou droite. Quand on s’approche des extrêmes, les gens excluent. Quand tu te positionnes quelque part au milieu de ça, les gens incluent. Je pourrais être d’accord avec certains points. En Amérique, je serai désespéré. J’aurais un pied côté démocrate, un pied côté républicain. Parce que je suis d’accord avec certains républicains et je suis d’accord avec certains démocrates. Je dois aller où ? Je suis un anticonformiste. Je me fais un avis sur chaque question, une par une. Ça ne colle pas nécessairement à la ligne d’un parti, tu vois ce que je veux dire ?
On dirait que c’est de plus en plus compliqué de ne pas se faire aspirer par l’un ou l’autre des extrêmes, ces temps-ci.
C’est beaucoup plus difficile, mais le centre, c’est là où doivent se situer les sociétés saines. De temps à autres, quand elles vont dans le mur, elles ont besoin d’un petit électrochoc. En espérant qu’elles ramènent les choses aux centre. Ce qui m’inquiète, c’est de me retourner sur l’Histoire, et de voir comment, quand le centre se désintègre, ça mène toujours à la polarisation, laquelle, à son tour, entraîne son lot de désagréments. C’est arrivé de manière cyclique en Europe. Le seul endroit où ça n’est pas arrivé, en vérité, c’est au Royaume-Uni. On a eu un dictateur, Oliver Cromwell. Il est resté en place plus longtemps qu’il n’aurait dû, et on s’est débarrassé de lui, puis on a demandé au roi de revenir, ce qui peut sembler bizarre. Mais quand on a ramené le roi sur le trône, on lui a dit, « Tu peux être roi parce qu’on t’aime bien, mais si on ne t’aime plus, tu ne pourras plus être roi. »
Ça fait des siècles qu’on a cet étrange système de pouvoirs et contre-pouvoirs. L’autre truc qu’on a jamais eu, c’est une Constitution écrite. Quand je dis « écrite », je veux dire gravée dans le marbre. J’ai l’impression que les Constitutions écrites mènent toujours au drame, parce qu’elles excluent la possibilité du changement. Tout est couché sur papier, et les modifications potentielles sont tellement normatives et prohibitives que rien ne change jamais.
Ce n’est pas un document évolutif.
Ce n’est pas un document évolutif du tout. Il peut se prêter à l’interprétation dans une certaine mesure, mais ça reste quand même terriblement normatif. Pour moi, c’est un fardeau.
Il n’y a qu’à voir comme ça marche bien aux USA…
Ça engendre des divisions parce que les gens finissent par se polariser. La NRA et tous ces trucs – ça engendre des divisions. Certaines choses ne devraient pas quitter le centre.
Comment est-ce qu’on en arrive là, d’après toi ?
Je ne sais pas, je ne suis pas américain. Ce n’est pas mon cirque. Pas mes singes [Rires].
On parle souvent de toi comme d’une espèce de surhomme, avec tous tes intérêts différents, tes talents, tes compétences. Si tu devais te présenter à quelqu’un que tu rencontres pour la première fois, qui ne connaît aucun de tes groupes, tu te décrirais comment ?
J’évite de dire que je suis dans Iron Maiden si je peux, parce que ça provoque simplement [une réaction] ingérable – les gens perdent tout leur bon sens. Ils arrêtent de poser des questions sensées. Ils veulent juste tout savoir de toi, ils ne te racontent plus rien sur eux-mêmes, et ça n’est plus une vraie conversation. En général, je réfléchis donc à ce que j’ai fait le jour même, un truc assez banal, et je fais genre, « Eh bien, aujourd’hui, j’avais deux trois trucs à faire dans le nord, j’ai fait l’aller-retour en train. J’avais des rencards avec des libraires ; et toi, c’était comment ta journée ? » Et puis ensuite, quand la relation se développe, que tu as bu quelques bières, on peut en venir petit à petit aux autres trucs que j’ai pu faire. Mais tu dois d’abord te définir en tant qu’être humain, pas en tant que grosse rock star gonflable.
C’est vraiment une bonne manière d’éviter d’être perçu comme une caricature.
C’est inévitable quand quelqu’un se pointe et se met à dire, « C’est lui ! » À ce stade-là, tu es un peu niqué. J’essaie d’être aussi invisible que possible. Pas comme quand je fais des interviews… [il tire sur sa veste qui, en effet, est plutôt voyante] Cette veste n’est pas trop invisible, hein ?
J’ai fait une conférence dans un théâtre, pour le bouquin, et quelqu’un m’a demandé, « Si tu pouvais choisir, quel superpouvoir aimerais-tu avoir ? » D’instinct, j’ai répondu l’invisibilité, pour pouvoir monter sur scène, gueuler un bon coup, puis retourner backstage et être invisible. Et je serais heureux en étant invisible, jusqu’au moment où je retournerais sur scène. Je serais vraiment heureux si je pouvais être invisible. L’autre truc que j’ai choisi, c’est la téléportation, pour pouvoir sortir de scène et me retrouver assis dans mon pub de West London, une pinte à la main. On me dirait : « Tu transpires un peu, tu reviens de la salle de sport ? » « Ouais, soirée un peu chargée. »
Kim Kelly est sur Twitter.