Qu'est-ce qu'on fout encore avec des stéthoscopes en 2016 ?

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Qu'est-ce qu'on fout encore avec des stéthoscopes en 2016 ?

L'instrument le plus utilisé par les médecins a été inventé à l'époque où l'on soignait les gens avec des sangsues.

Peu d'instruments symbolisent autant la médecine occidentale que le stéthoscope. Les écoles de médecine en offrent souvent un à leurs nouveaux étudiants, en même temps qu'une blouse blanche. En tant qu'instrument médical, il est relativement polyvalent et peu coûteux, permettant ainsi aux médecins de détecter toute une gamme de problèmes à l'intérieur du corps grâce à un appareil dont le prix n'excède pas quelques centaines d'euros.

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C'est aussi un outil vieux de 200 ans.

Les technologies médicales ont fait des progrès extraordinaires au cours des dernières décennies, et pourtant les médecins restent attachés à un outil inventé une époque où on "traitait" encore les malades à grands renforts de sangsues. En 1816, on disposait de peu d'autres moyens de "voir" ce qu'il se passait à l'intérieur du corps, mais aujourd'hui nous avons accès à des appareils d'imagerie absolument incroyables. Pourquoi les docteurs s'obstinent-ils à nous examiner à l'aide de tubes en caoutchouc datant du 19ème siècle ?

« Le problème, c'est que les gens sont très attachés aux stéthoscopes. C'est un peu notre carte de visite, explique le Dr. Jagat Narula, cardiologue à l'hôpital de Mount Sinai et partisan de la disparition du stéthoscope. C'est un sujet sensible. »

Le stéthoscope a été inventé en 1816 par René Théophile Hyacinthe Laënnec, un médecin français qui cherchait un moyen d'écouter le cœur d'une femme « enrobée ». Laënnec avait observé des enfants qui s'envoyaient des messages en collant leur oreille à l'extrémité d'un long morceau de bois et en en frottant l'autre extrémité avec une épingle (une sorte de version 19ème siècle du téléphone à ficelle, en somme). Cela lui donna l'idée d'un appareil qui, reliant l'oreille du médecin au corps du patient, amplifierait les sons émis par sa cage thoracique.

Mais on écoute les sons émis par le corps pour établir des diagnostics – c'est ce qu'on appelle l'auscultation, littéralement – depuis l'Antiquité. En des temps plus reculés, les médecins se contentaient de presser leur oreille contre le dos, le torse ou l'abdomen des patients à la recherche de signes de problèmes, comme par exemple des gargouillements, des sifflements ou des palpitations. Le stéthoscope, en tant qu'outil, avait pour vocation de faciliter cet exercice.

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« À l'époque, on ne disposait d'aucun moyen de regarder à l'intérieur de la poitrine, explique Narula. En écoutant, on obtenait des informations précieuses. »

D'ailleurs, comme le souligne Narula, stéthoscope signifie littéralement « voir à l'intérieur de la poitrine ». Et pendant longtemps, surtout quand les stéthoscopes ont commencé à s'améliorer, l'outil est devenu une sorte de première étape imposée pour l'établissement d'un diagnostic. Ensuite, petit à petit, on a développé des technologies permettant de voir réellement ce qu'il se passait à l'intérieur du corps : les rayons X en 1895, l'électrocardiogramme en 1902, les ultrasons dans les années 1950, et l'imagerie à résonance magnétique (IRM) en 1977.

Certes, ces technologies permettaient aux médecins d'établir des diagnostics plus précis, mais elles coûtaient trop cher et trop intrusives pour être utilisées de façon routinière. Quand quelqu'un vient vous voir en se plaignant d'être essoufflé, vous n'allez pas simplement l'envoyer passer une IRM sans faire un premier examen au préalable.

« Si vous faites passer une IRM à un patient, vous obtiendrez des images de son cœur extrêmement détaillées. Rien n'échappe à une IRM, explique le Dr. Zachary Goldberger, cardiologue. Mais en même temps, si quelqu'un vient vous voir en se plaignant de douleurs à la poitrine, un rapide examen au stéthoscope peut s'avérer très précieux. »

Mais de nouvelles technologies pourraient bien rendre le stéthoscope obsolète. On pense particulièrement aux appareils à ultrasons portables, qui deviennent de plus en plus compacts, puissants, et faciles à utiliser, offrant ainsi aux médecins la possibilité de voir l'intérieur du corps de leurs patients directement dans leur cabinet. En cardiologie, si un médecin entend quelque chose d'anormal en auscultant un patient à l'aide d'un stéthoscope, il l'enverra sans doute faire un échocardiogramme pour en savoir plus. D'après Narula, les appareils à ultrasons portables pourraient simplifier ce processus.

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« Il y a peu de problèmes qu'on ne peut pas détecter grâce aux ultrasons, explique Narula. Grâce aux appareils portables, le médecin peut lui-même voir ce qui ne va pas et qui aurait pu lui échapper, et il peut ainsi épargner à certains patients un échocardiogramme qui devient superflu. »

Mais si les ultrasons n'ont pas encore remplacé le stéthoscope, c'est qu'il y a de bonnes raisons, qui n'ont pas seulement à voir avec la réticence au changement. D'abord, ces appareils coûtent entre 5000 et 10.000€ (contre moins de 200€ pour un stéthoscope). Et ils ne sont pas encore assez perfectionnés pour permettre aux médecins de saisir autant de choses qu'avec un stéthoscope, si l'on en croit le Dr. Valentin Fuster, cardiologue et chef de service au Mount Sinai, et éditeur du Journal of the American College of Cardiology. Dans un éditorial publié ce mois-ci, Fuster donne une liste de six exemples survenus en 48 heures dans sa clinique où un stéthoscope a permis de "voir" quelque chose que les ultrasons avaient manqué.

« Ceux qui disent que "le stéthoscope est mort" ont totalement tort. À vrai dire, avec ses nouvelles fonctions digitales, le stéthoscope se porte mieux que jamais », écrit Fuster.

Il souligne que la formation nécessaire à l'utilisation des nouveaux appareils portables est longue et dure, et que les médecins doivent être capables de travailler quand ils sont privés de ce type de technologie – par exemple quand ils sont à l'étranger, même si mon esprit envisageait déjà un scénario post-apocalyptique. Dans tous les cas, les médecins doivent savoir examiner un patient sans assistance digitale.

Goldberger avance aussi un autre argument : la proximité physique entre le docteur et son patient requise par le stéthoscope est une denrée rare à une époque où les médecins sont souvent surmenés et débordés.

« Utiliser un stéthoscope, c'est-à-dire nos mains, est un bon moyen pour nous d'établir un lien avec les patients. C'est tout le sens de la médecine, affirme Goldberger. Il faut continuer à insister sur l'importance de l'examen physique lorsque nous échangeons avec des apprentis médecins. On donne généralement un stéthoscope aux étudiants en médecine lors de leur premier jour. Ce n'est pas seulement un moyen d'écouter les bruits du cœur. »

Nous n'avons peut-être plus besoin du stéthoscope pour savoir ce qu'il se passe à l'intérieur de notre corps, mais les médecins ont de bonnes raisons d'y tenir. 200 ans après son invention, il reste le moyen le plus pratique et le moins coûteux d'établir un diagnostic dans la plupart des cas. Et cette longévité mérite d'être saluée. Clairement, la visite chez le médecin serait très différente sans les frissons provoqués par le contact du stéthoscope froid sur la peau.