Monstres de Tully, dragons et baleines à dents : le paléo-art à son sommet

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Monstres de Tully, dragons et baleines à dents : le paléo-art à son sommet

Le boulot de Danielle Dufault consiste à dessiner des dinosaures toute la journée pour vulgariser les dernières découvertes en paléontologie. Elle nous présente le meilleur du paléo-art en 2016.

Le paléo-art est cette discipline qui consiste à interpréter des données scientifiques produites par les paléontologues afin de reconstituer des scènes vivantes telles qu'elles auraient pu exister il y a plusieurs millions d'années. Je suis moi-même "paléo-artiste", c'est-à-dire que je travaille comme illustratrice technique au département de paléontologie du Royal Ontario Museum à Toronto, au sein du laboratoire David Evans. Mes journées de boulot consistent à photographier, illustrer, reconstituer, interpréter les spécimens reçus par mon labo, afin d'aider le public à imaginer à quoi ils pouvaient bien ressembler.

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Chaque année, la façon dont nous nous représentons la faune préhistorique est remise en question par de nouvelles découvertes. Si nous parvenons à scruter le passé de plus en plus finement grâce à des outils et des méthodes toujours plus performants, les scientifiques ont encore bien du mal à se la représenter. Et à chaque nouveau spécimen extrait du sol, une foule de nouvelles questions se bousculent dans la tête de nos chers paléontologues.

Parce que la paléontologie travaille avec des données extrêmement incertaines, elle s'appuie depuis de nombreuses années sur un domaine qui n'a a priori pas grand chose à voir avec elle : l'art. En effet, c'est bien l'illustration, la peinture, le dessin, qui nous permettent aujourd'hui de visualiser facilement l'actualisation des données paléontologiques en nous exposant un monde préhistorique réaliste et cohérent.

Or, 2016 a été une année extrêmement prolifique en termes de nouvelles découvertes et de créatures fantastiques. Voici une sélection des meilleures illustrations paléo de l'année.

Tongtianlong limosus par Zhao Chuang

J'apprécie tout particulièrement les illustrations qui racontent une histoire, en particulier quand elle coincide avec ce que nous savons de la vie et de la mort de l'animal représenté. Ici, il s'agit hélas d'une histoire un peu tragique : ce spécimen d'Oviraptor s'est embourbé dans une tourbière et le temps l'a préservé dans la posture paniquée qu'il avait au moment de sa mort.

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L'artiste a représenté l'anatomie de l'animal avec une grande précision. L'environnement est si réussi que l'on sentirait presque l'odeur de la mousse et de la terre humide. Quant aux recherches qui se cachent derrière cette image, elles sont caractérisées par une démarche taphonomique, c'est-à-dire qu'elles se concentrent sur les conditions et les processus de la fossilisation.

Rativates evadens par Andrey Atuchin

Cette espèce, baptisée Rativates evadens, a vécu il y a environ 76 millions d'années dans le parc provincial Dinosaur de l'Alberta, au Canada. Les ornithomimides sont connus pour leur ressemblance avec les autruches, et plus spécifiquement, avec les ratites (un groupe d'oiseaux qui comprend également les émeus et les kiwis). Pour cette raison, ils sont considérés comme les théropodes les moins sexy du règne animal. Pourtant, Andrey Atuchin a ici réussi à rendre cette créature crédible, élégante, intrigante, sans lui donner des airs d'autocollant Panini.

Spiclypeus shipporum par Mike Skrepnick

À titre personnel, je suis une grande fan des ornithischiens (les dinosaures à cul de lézard), parce qu'ils ne ressemblent à rien de connu. Ils se distinguent ainsi des saurischiens, d'où sont issus nos oiseaux modernes (même si on trouve des bestioles extrêmement bizarres de leur côté également).

Mike Skrepnick s'est ici attaqué à une nouvelle espèce d'ornithischien découverte dans le Montana et datant du Campanien. À elle seule, elle réunit toutes les excentricités anatomiques de ce groupe : protubérances, cornes, ornements bizarres, il y en a pour tous les goûts.

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Tullimonstrum gregarium par Sean McMahon

La créature étrange que vous voyez ci-dessus est connu sous le nom de monstre de Tully. Un nom plutôt bien inspiré pour un animal possédant un petit corps de poisson, des yeux rivés sur des antennes elles-mêmes fixées au milieu du dos, et une espèce de trompe munie de griffes. Pourtant, ce truc a existé, il y a 307 millions d'années environ. Ces monstres sont des cousins éloignés des vertébrés, puisqu'ils présentent une branche intermédiaire entre vertébrés et invertébrés, à une époque où l'évolution était encore dans une phase, disons, expérimentale.

Microleo attenboroughi par Peter Schouten

Les dinosaures c'est cool, mais les mammifères ne sont pas mal non plus. Cette année encore, ils ont été des stars du paléo-art. Et ce n'est pas ce petit lion marsupial qui dira le contraire. L'animal, dont les dents hyper-spécialisées fascinent les scientifiques, vivait en Australie au début du Miocène, il y a environ 18 millions d'années, et a été baptisé en hommage à David Attenborough.

Echovenator sandersi par A. Gennari

Les cétacés possèdent une histoire évolutive particulièrement fascinante, dont nous connaissons assez bien les détails pour savoir comment ils sont devenus des animaux marins après avoir été des animaux terrestres. Cette illustration a attiré mon attention car elle présente à la fois une vue en contre-plongée saisissante, et des informations essentielles sur l'animal. En outre, le propos de l'illustration technique est bien de communiquer et de vulgariser. Ici, la stratégie de chasse de cette baleine dentée de l'Oligocène, trouvée en Caroline du Sud, est parfaitement représentée, tout comme l'évolution de l'appareil auditif de sa lignée.

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Psittacosaurus sp. by Bob Nicholls

Le psittacosaure, un petit dinosaure ornithischian trouvé au sein de la formation de Jehol en Chine, n'est pas une espèce découverte récemment. Cependant, c'est la première fois que des paléontologues mettent à jour un spécimen aussi bien conservé que celui-ci.

Non seulement la bestiole est très choupi, mais elle est également recouverte de tégument (les tissus qui recouvrent les organes), ce qui est très rare en paléontologie. Les scientifiques ont ainsi obtenu un échantillon de la peau et des plumes de la queue sur lequel la mélanine était, par chance, parfaitement préservée. Sa couleur et ses motifs ont ainsi pu être reconstitués. Bob Nicholls a donc créé une sculpture pour le représenter, car un simple rendu 2D n'aurait pas permis de rendre compte au mieux de l'aspect du dinosaure.

Spinosaurus aegyptiacus et Sigilmassasaurus brevicollis parSergey Krasovskiy

Le spinosaure a fait beaucoup parler de lui au cours des deux dernières années. Depuis sa découverte initiale, son anatomie a été plusieurs fois révisée ; cependant, un papier publié cette année donne des preuves convaincantes qu'il s'agissait d'un thérapode quadrupède semi-aquatique.

Les proportions de ses membres déduites de l'observation de plusieurs spécimens ont suscité de vifs débats. Cette nouvelle étude suggère cependant qu'il n'existait pas une, mais deux espèces de spinosaurides coexistant dans les lits rocheux du Kem Kem, au Maroc. Le biote de cette région est connu pour sa diversité, sa richesse, et sa taille.

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Le coelurosaure, par Chung-tat Cheung

Cette année, nous avons été fascinés lors que l'avant-bras (ou l'aile) d'un petit théropode a été retrouvé dans l'ambre, parfaitement conservé. Aussi incroyable que soit cette découverte, nous pouvions encore la rapprocher de créatures familières : après tout, de nombreux dinosaures ailés s'agitent encore aujourd'hui au sein des écosystèmes terrestres.

Fin 2016 en revanche, une nouvelle découverte a retourné le cerveau de tous les fanas de paléontologie : une queue de théropode entière, couverte de plumes, conservée dans l'ambre. On peut supposer que le jeune dinosaure, chassant dans les bois par une journée ensoleillée, s'est trouvé englué par la sève épaisse d'un arbre, et a été forcé de laisser sa queue derrière lui.

Apatoraptor pennatus par Sydney Mohr

Regardez-moi ce magnifique caenagnathide, qui se pavanait il y a 70 millions d'années au beau milieu de la Hell Creek Formation dans le Montana. Outre sa petite queue en plumeau et ses cuissots mignons, il arbore un magnifique cou orangé tout droit sorti de l'imagination de Sydney Mohr. On s'attendrait presque à entendre des roseaux bruisser tout autour d'un lac.

Les théropodes de Hell Creek par Danielle Dufault

Pour terminer, une petite célébration de la richesse de la faune de Hell Creek, une formation rocheuse qui ne cesse de nous fournir des théropodes de toutes tailles et de toutes formes. Qui sait ce que l'on y trouvera en 2017 ?