Les flyers de soirées des années 1990 sont plus cool que vous

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Culture

Les flyers de soirées des années 1990 sont plus cool que vous

À une époque, il était possible de ramener des milliers de gens à votre soirée avec un pot de colle et des ciseaux.

Tous les soirs, des dizaines d'événements sont organisés dans les rues de New York, et chacun a besoin d'un peu de promotion. À la fin des années 1980, lorsque vous étiez le gérant d'un club, vous n'aviez pas forcément les moyens de faire ladite promotion de votre soirée à la radio ou de louer des espaces publicitaires dans la rue. Toutefois, vous aviez une possibilité : celle de passer plusieurs heures en compagnie d'une photocopieuse, d'une paire de ciseaux et d'un pot de colle, afin de réaliser vos propres flyers.

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No Sleep : NYC Nightlife Flyers 1988-1999 est un livre coécrit par le DJ Stretch Armstrong et l'historien du rap Evan Auerbach. Il s'agit d'un document fantastique qui compile un nombre conséquent de flyers de soirées imprimés durant l'âge d'or de la scène club new-yorkaise. Ces flyers sont tous issus de collections privées, appartenant à des propriétaires de clubs, des artistes ou des DJs. Nombre d'entre eux ont été conçus sans ordinateur, à la main, par des passionnés n'ayant jamais reçu la moindre formation en graphisme. Ce qui ne les empêche pas d'être objectivement beaux.

Pour faire la promotion de ses soirées du jeudi soir au MK, Armstrong avait pour habitude de superposer le logo de SuperFly sur ce qu'il nomme avec le recul des « éléments inattendus », tels que Mao Zedong, des bonnes sœurs, des flingues, une explosion atomique ou Fidel Castro.

Puis l'an 2000 est arrivé. À ce moment-là, Internet s'est répandu dans les foyers du monde entier, et forcément, il est devenu inutile et contre-productif de continuer à faire circuler des milliers de flyers quatre fois par semaine. Auerbach et Armstrong regrettent toutefois la disparition progressive de ces flyers. Tous deux considèrent que les flyers que l'on rencontre parfois aujourd'hui sont moins originaux, moins travaillés que ceux d'il y a 20 ans. Je les ai rencontrés pour discuter avec eux du livre, du clubbing à New York, et des compromis imposés par ce que l'on appelle la révolution digitale.

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Toutes les photos sont issues du livre « No Sleep : NYC Nightlife Flyers 1988-1999 » de DJ Stretch Armstrong et Evan Auerbach, publié chez powerHouse Books.

VICE : Pourquoi la culture club new-yorkaise était-elle si foisonnante à la fin des années 1980 ?
Stretch Armstrong : Avant que l'influence exercée par les clubs ne soit éclipsée par Internet, leur existence était extrêmement importante. En termes de musique, les références culturelles d'époque – Madonna, par exemple – empruntaient plein d'idées à la culture club underground, en y ajoutant une touche pop. Dans l'autre sens, des gens comme Deee-Lite venaient des clubs house confidentiels new-yorkais, puis devenaient crossover grâce aux DJs. Les morceaux de Run-DMC étaient ultra-dansants certes, mais avaient une crédibilité underground – l'image même de la ville de New York. À cette époque, presque l'intégralité de la musique était faite pour les DJs. C'étaient eux qui proposaient leur vision de la musique, et le public comme les gérants de clubs adoraient ça.

À une époque où la musique ne circulait pas dans les canaux mainstream, vous deviez aller vous-même en club pour avoir accès au dernier hit rap, house ou dancehall. Là-bas, toutes les expérimentations étaient possibles. Aujourd'hui, la dance music est devenue mainstream et le hip-hop est la nouvelle pop ; de fait, les DJs doivent obligatoirement tenir compte des demandes du public, ce qui les pousse parfois à régurgiter les mêmes playlists. Les clients sortent pour écouter des sons qu'ils connaissent déjà. Dans les années 1980, début 1990, il existait une vraie culture clash entre tous les genres musicaux. Les gens venaient en club pour savourer le goût de la liberté, oublier leur routine.

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Evan Auerbach : J'ai grandi dans le nord de la ville et suis plus jeune que Stretch, ce qui signifie que je n'ai pas eu la chance de me rendre à ces soirées. Néanmoins, j'ai commencé à collectionner ces flyers parce qu'ils m'évoquaient des souvenirs d'une période que j'ai vécue sans la connaître physiquement. Adolescent, j'adorais me rendre dans les endroits où il y avait des flyers – le disquaire Fat Beats, Eightball Records ou des shops comme le Transit, à Astor Place. J'en chopais un maximum. Je me souviens que je les ramenais ensuite chez moi, où je les étudiais pendant des heures.

Vous êtes-vous inspiré d'un modèle au moment de commencer le bouquin ?
Armstrong : Déjà, je ne voulais pas me lancer dans une pénible réflexion sur la nostalgie. Pour moi, c'est donnant-donnant. Nous avons certes pu tirer des bénéfices de la révolution digitale, mais nous ne devons pas oublier de considérer tout ce que nous avons dû abandonner ; le partage est certes plus facile de nos jours grâce à la technologie, mais nous devons aussi nous demander si nos rituels et nos interactions ont autant de sens qu'avant. Il en est de même pour les flyers des clubs et leur utilisation. Ils nous invitent à nous remémorer d'autres temps – des artefacts datant d'avant les appareils photo mais où le partage instantané était déjà possible et répandu.

Auerbach : J'ai trouvé pas mal d'inspiration dans ma collection de flyers en elle-même, mais également dans pas mal d'articles d'époque sur le rap. Je me souviens avoir contacté Stretch et quelques autres gars pour leur demander si je pouvais scanner leurs flyers et les poster sur upnorthtrips.com – où Stretch et moi avons posté beaucoup de trucs. Il aimait l'idée d'en faire plus qu'une simple collection numérique pour deux ou trois nerds. Au début, No Sleep recensait exclusivement des flyers de rap. Puis, Stretch m'a montré qu'une autre culture, celle des clubs, était aussi largement présente à cette époque – et très liée à celle du rap.

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Ces flyers n'ont jamais eu vocation à être conservés, et c'est ce qui rend le livre si intéressant. De votre point de vue, était-il important de les documenter d'un point de vue historique ?
Armstrong : À l'époque, voir son nom sur un flyer était signe de succès – pour les DJs comme pour les patrons de clubs. Au moment où ces flyers paraissaient, les gens ne connaissaient même pas les noms mentionnés. Le truc fou, c'est que beaucoup de ces noms sont par la suite devenus des personnalités très influentes, des piliers de la culture contemporaine.

Auerbach : Je crois que je connaissais déjà l'impact historique de ces gens depuis mon point de vue de fan, mais au fil de l'élaboration du livre, j'ai réalisé une connexion beaucoup plus profonde entre tous ces noms et l'histoire du hip-hop et de la house. Les flyers constituaient en réalité une pierre angulaire de ce monde-là, en de nombreux points : la danse, l'art, le design, la mode, etc. Tous ces trucs étaient concentrés dans le même espace, sur ces petits morceaux de carton distribués dans les endroits où il fallait être à New York.

En 1995, pensiez-vous que les flyers seraient un jour considérés comme de l'art au sens strict du terme ?
Armstrong : À cette époque, et grâce au développement des technologies d'impression, la production de flyers a pu se faire de plus en plus vite et à grande échelle. Lorsque les ordinateurs se sont démocratisés, c'est allé d'autant plus vite. C'est à ce moment que les flyers sont devenus plus voyants, plus présents, et à mon sens, beaucoup moins beaux et uniques que par e passé. C'est aussi là que j'ai peu à peu arrêté ma collection.

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Auerbach : J'ai vraiment été surpris lorsque, dans ma recherche de contributeurs pour le livre, je suis tombé sur nombre de gens pour qui l'objet flyer possédait une vraie valeur. Évidemment, certains les avaient rangé dans une boîte à chaussures Nike au fin fond de la baraque de leur mère, ou sous le lit de leur chambre d'ado, mais tous les conservaient encore précieusement. Ils n'étaient d'ailleurs pas forcément à l'aise avec l'idée de les laisser entre les mains d'un inconnu. J'ai dû les amadouer, les réconforter pour qu'ils me laissent les numériser et les faire figurer dans le livre. Je voulais montrer à quel point ces flyers étaient précieux pour plein de gens.

Parmi ces flyers, y a-t-il des objets de collection ?
Armstrong : Oui, notamment les flyers des Club Kids et de Michael Alig sont très prisés, de même que les flyers hip-hop des années 1970 et du début 1980. À mon avis, d'ici quelques années, les collectionneurs jetteront leur dévolu sur ceux du milieu puis de la fin des années 1980.

Quand avez-vous commencé à devenir vous-mêmes nostalgique à propos de ces flyers ?
Armstrong : Le processus a été lent. Tous ces trucs reposaient quelque part sur mon étagère, et c'était à moi de voir ce qui était bon à jeter ou ce qui avait le mérite d'être conservé. C'est ironique mais les réseaux sociaux – et surtout Instagram – ont joué un rôle majeur dans ce partage de vieux artefacts. C'est Instagram qui nous a encouragés à creuser dans notre passé et à faire le tri. En travaillant sur notre docu [le documentaire Stretch and Bobbito : Radio That Changed Lives], mon attention s'est également portée sur les années 1980 et 90. J'ai dû me pencher longuement dans mes archives et là, j'ai redécouvert un nombre incroyable de flyers de cette époque.

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Auerbach : J'ai toujours été quelqu'un de nostalgique. Je conserve tout : les cartes de baseball, les comics, les mixtapes de rap ou les magazines. J'ai eu de la chance d'avoir possédé ces choses et de ne pas les avoir jetées.

Quels sont vos flyers préférés dans le livre ?
Armstrong : Je ne veux pas avoir l'air d'un anti-technologie de base, mais mes préférés sont les pus basiques – un peu d'encre noire sur un carton rigide, un design simple, rempli de telle façon à discerner tous les mots en un seul coup d'œil. Et surtout, ceux réalisés par des gens totalement inexpérimentés.

Auerbach : Au début, j'étais instantanément attiré par les flyers liés à l'histoire du rap. Ceux recouverts de poussière, granuleux, crade – j'adore cet aspect lo-fi, mauvaise qualité. Cependant, plus je travaillais sur le livre, plus je me suis mis à apprécier le talent artistique de certains designers, notamment ceux qui ont fait les flyers de Mars/Trip. Toutes ces couleurs, tous ces motifs étaient très en avance sur leur temps.

Luke Winkie est sur Twitter.