Ali, les falafels et l'exil

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Ali, les falafels et l'exil

À Zaatari au nord de la Jordanie, dans le deuxième plus grand camp de réfugiés du monde, Ali cuisine et vend des falafels en attendant de pouvoir rentrer chez lui, en Syrie.

Ali étale un beau pain plat. D'un geste rapide et précis, il installe douillettement une poignée de petits disques aux pois chiches et aux fèves et les écrase du bout des doigts. Puis les parsème de morceaux de tomate, de salade et de pickles de betteraves. Il arrose le tout d'une bonne dose de tahini, cette si onctueuse crème de sésame, avant de replier le sandwich et de le tendre à un jeune homme impatient de goûter son butin.

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La petite échoppe d'Ali dans le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie. Toutes les photos sont de Thomas Louapre.

Ali, 37 ans, a dû quitter son pays, la Syrie. Aujourd'hui, il vit, cuisine et vend des falafels à Zaatari, le deuxième plus grand camp de réfugiés du monde, planté dans un désert de poussière, au nord de la Jordanie. Ouvert pendant l'été 2012, Zaatari accueille désormais près de 80 000 Syriens fuyant la guerre. Alors, depuis longtemps, les habitants organisent leur existence exilée.

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Abou Achraf, l'ami d'Ali, moule et fait frire les falafels dans sa friteuse mobile.

En plein cœur du « Saudi Market », l'une des artères principales du camp, la vie bouillonne. Vélos, camions et grappes de piétons se partagent la voie, longeant une enfilade de petites boutiques installées dans des préfabriqués. Ici, on trouve de tout : poussettes, fruits, légumes, chaussettes, ampoules, parfums, robes de mariées… Selon les estimations du HCR (Haut Commissariat pour les Réfugiés), le camp de Zaatari compte environ 2 500 de ces échoppes.

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Ali met toujours une bonne dose de crème tahini dans ses préparations.

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Parmi elles, le commerce d'Ali ne désemplit pas, du petit matin au début de soirée, et tout particulièrement le vendredi. Les meilleurs falafels du district ? « Grâce à Dieu, mes falafels sont connus ! », sourit doucement le patron. Chaque matin, il arrive à l'aube pour préparer cette pâte composée de pois chiches, de fèves, d'un savant mélange d'épices et de quelques petits secrets. Pas de frigo dans la maisonnette, il faut donc refaire la mixture fraîche chaque jour.

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Le moule à falafels d'Ali.

Devant l'échoppe, Abou Achraf, 46 ans, l'ami et employé, s'occupe de faire dorer les falafels à toute allure, dans sa friteuse mobile. « Notre organisation est rôdée », rigole l'homme aux yeux clairs magnétiques. Derrière son comptoir, Ali reçoit les clients venus chercher du foul, ces fèves longuement mijotées et bien assaisonnées, du tahini, du houmous, des sandwichs falafels, ou les délicieuses boulettes croustillantes – et moelleuses à l'intérieur – tout simplement saupoudrées de sumac, cette épice acidulée couleur grenat. Et le chef réfugié cuisine comme il peut, parfois aidé par un groupe électrogène.

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La restauration, et plus précisément l'art des falafels, était déjà le métier d'Ali en Syrie, dans le coin de Deraa. D'ailleurs, la seule chose qu'il ait pu emporter avec lui en partant, c'est son moule à falafel, qui sert à donner le bon calibre aux petits disques de pâte avant de les plonger dans l'huile bouillante. « La cuisine ? Un jour, j'ai eu l'occasion d'essayer, et j'ai aimé », explique celui qui ne touche pas vraiment aux casseroles à la maison.

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En arrivant à Zaatari, il y a près de 2 ans, il a acheté cette « caravane », aussitôt nommée « Tout ce qui est bon », et a obtenu une autorisation de sortie du camp pour acheter du matos de cuisine. Il déniche ses produits frais sur les marchés de Zaatari, eux-mêmes approvisionnés par les camions de commerçants jordaniens. « Ici, dans cette rue, je suis entouré de Syriens. C'est un peu comme si j'étais en Syrie… Mais dehors, je me sens étranger », dit Ali.

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Alors Ali n'attend qu'une seule chose : rentrer chez lui, avec sa femme et sa fillette, née dans la maternité du camp. « Il n'y a pas d'avenir à Zaatari. On est juste à la frontière, mais quelle sorte de vie on a ? On espère retrouver notre pays bientôt », affirme le patron. En attendant, il continue à exercer son métier, lui rappelant un peu sa vie d'autrefois. Mais « ici, les fèves et les pois chiches sont bien moins bons qu'en Syrie ». Avant, Ali allait chercher ses fèves à Alep, « les meilleures du pays ».

Thomas Louapre est un photographe indépendant basé à Nantes et Paris. Retrouvez toutes ses photos sur son portfolio.