Le créateur du tout premier site de rencontres chope toujours sur Internet

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Le créateur du tout premier site de rencontres chope toujours sur Internet

"Je suis toujours célibataire, ce qui est assez ironique. Mais j'ai eu quelques plans à trois."

Avant de créer le tout premier site de rencontres, Andrew Conru avait fondé l'une des premières entreprises qui concevaient des sites web pour le World Wide Web, alors balbutiant, en 1993. Il l'avait baptisée Internet Media Services, ce qui ne surprendra personne.

"Des gens m'appelaient et me demandaient 'C'est vous Internet ?', se souvient l'ingénieur, aujourd'hui âgé de 48 ans. Alors je répondais 'Ouais' et j'essayais de leur vendre nos services. On était la seule boîte dont le nom contenait le mot 'Internet' dans les Pages Jaunes."

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Internet a beaucoup changé en 25 ans, et Conru était au premier rang pour assister à ses transformations. Conscient de s'être trouvé "au bon endroit au bon moment", il a lancé Web Personals en 1993 tout en faisant son doctorat à Stanford, dans la même promo que "les gars de Yahoo et Google."

Conru a commencé par travailler sur le site de son petit département du Centre de design de Stanford, ce qui lui a donné l'idée de fonder Internet Media Services avec 10 à 15 employés à peine - tout cela à une époque où peu de gens savaient ce qu'était Internet.

Un an plus tard, Conru a lancé Web Personals, certainement le tout premier site de rencontres de l'histoire, dirigé par un groupe d'étudiants de Stanford et un lycéen aux yeux brillants. L'idée était venue à Conru alors qu'il ruminait une rupture dans sa chambre universitaire et qu'il cherchait un moyen de donner un nouvel élan à sa vie sentimentale - il faut dire qu'il était coincé dans un programme 100% masculin. "Ça semblait mal barré, et il fallait que je cherche autre chose", raconte-t-il.

Il a d'abord essayé les petites annonces dans les journaux, qui nécessitent de multiplier les abréviations pour que l'annonce tienne dans un petit carré, et même les rencontres par vidéo où les gens regardaient des VHS remplies de profils d'autres personnes et pouvaient ensuite les contacter. C'était "un processus très manuel", se souvient Conru.

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Web Personals, à l'inverse, proposait de grandes photos et une page de texte entière pour chaque profil. "C'est ce que l'on voit sur tous les sites de rencontres aujourd'hui, à part Tinder, constate-t-il. Eux ont choisi la démarche inverse, avec une seule photo."

Il a fallu deux mois pour bâtir Web Personals, codé en C++ et capable de traquer les utilisateurs de page en page - bien avant les cookies, à une époque où il était très difficile de suivre le comportement des utilisateurs (aujourd'hui, nous sommes tous habitués à ce que les pages web soient dynamiques, mais Conru souhaitait pouvoir suivre les visiteurs du site de page en page pour leur proposer des offres commerciales, étant donné qu'il a aussi inventé le panier d'achats en ligne.)

En 1994, Conru est parvenu à inventer un moyen de suivre un utilisateur naviguant de page en page, puis d'étudier ses informations via une base de données et ainsi de modifier les pages de façon dynamique (voir l'image ci-dessous, extraite du manuel utilisateur de l'entreprise).

"Nous tenons aujourd'hui pour acquis le fait que les sites web s'adaptent de manière dynamique en fonction de vos goûts et de vos habitudes, mais à l'époque, les sites n'étaient que des pages statiques et tout le monde voyait la même chose. C'était révolutionnaire d'avoir des pages dynamiques", explique Conru.

Au cours des 18 mois qu'il a passés à la tête du site, il affirme que 120.000 personnes s'y sont inscrites. "Je dirais qu'à peu près la moitié d'entre elles avaient une adresse email en '.edu', dit-il, ce qui suggère que le site était surtout populaire auprès des étudiants et employés d'universités. C'était le site de rencontres le plus importants, jusqu'à ce qu'il soit dépassé par Match.com en 1995."

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Conru a décroché quelques rencards grâce à Web Personals, même si à l'époque les rencontres sur Internet étaient un sujet tabou.

"Si vous racontiez à quiconque que vous essayiez de faire des rencontres ailleurs qu'à l'église ou via votre cercle d'amis, vous passiez pour un loser désespéré, voire même pour un mec louche", raconte-t-il.

"Le problème était double : d'une part, vous admettiez publiquement que vous cherchiez à rencontrer quelqu'un ; et d'autre part, que vous étiez un geek qui passait son temps devant son ordinateur. C'était la double peine. Il fallait être un peu bizarre pour traîner sur Internet, dans l'esprit des gens", ajoute-t-il.

Les images ont disparu depuis longtemps, mais cette capture réalisée grâce à Wayback Machine montre bien ce qu'était la homepage : un symbole d'une époque où Internet était plus simple.

***

Cela fait désormais 20 ans que Conru fait des rencontres par Internet, et il ne s'est jamais marié. "Entre 20 et 30 ans, vous décrochez beaucoup plus de rencards que quand vous avez passé 40 ans, dit-il. C'est dur, mais les gens de 25 ans cherchent à s'amuser et à faire des expériences. C'est beaucoup plus dynamique et sérieux quand vous avez 40 ou 50 ans."

Sur le profil de Conru sur AdultFriendFinder, on peut lire qu'il collectionne les affiches de films des années 1930, et qu'il a déjà participé à un plan à 3. "Plus d'une fois, en fait, sourit-il. J'ai eu la chance de mener une vie assez riche ; je suis à l'aise avec toutes sortes d'expériences sur le plan sexuel."

Conru, qui possède une adresse e-mail Yahoo ("ça me vieillit, non ?", demande-t-il) et n'aime pas Snapchat ("je n'arrive pas à faire des screenshots des photos porno qu'on m'envoie assez vite"), ne prévoit pas de se caser - il a fini par accepter que le modèle traditionnel du mariage et des enfants n'était sans doute pas pour lui.

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"Je suis toujours célibataire, ce qui est assez ironique", dit-il.

"J'ai toujours fait profil bas sur mon propre compte ; je ne dis jamais 'hey, je possède la boîte.' Même quand je vais sur d'autres sites de rencontres, je ne me la joue jamais. J'espère que les femmes avec qui je discute m'apprécieront pour ce que je suis, pas pour l'aspect financier. Parfois ça fonctionne, et parfois non."

Il frémit quand on l'appelle "l'ingénieur de l'amour." Mais vu qu'il porte des lunettes et une chemise à col sur presque toutes les photos, forcément, il a l'air d'un geek.

"Je devrais avoir un torse velu, des chaînes en or, de la gomina ?", demande-t-il par téléphone depuis son domicile de Seattle. Tous les gens sont différents, et je mérite qu'on s'intéresse à moi autant que les autres."

Après avoir dirigé Web Personals pendant un peu plus d'un an, il a vendu le site à Telepersonals pour 100.000 dollars. Un an plus tard, une fois libéré de la clause de non-concurrence, il lança un autre site de rencontres, FriendFinder.com, en 1996.

Au moment où il termina son doctorat, en 1997, Conru était à la tête de 30 employés au sein de FriendFinder. "Je dis souvent en rigolant que j'aurais dû me retirer et devenir milliardaire", dit-il.

Conru en 2015.

L'un de ses principaux défis lors du lancement, c'était de trouver des gens qui accepteraient d'être très mal payés. "On n'avait pas d'argent, donc on embauchait presque n'importe qui, raconte Conru. La plupart des gens hésitaient à travailler pour une entreprise qui proposait des contenus pour adultes. On avait interdit le mot 'porno' au bureau et on parlait uniquement de 'contenu adulte'. C'est un peu plus facile aujourd'hui d'embaucher des gens, mais ce n'est toujours pas évident."

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À un moment, il a même embauché un SDF de 20 ans qui dormait dans le bâtiment où étaient situés les bureaux de l'entreprise. Conru lui a appris à rédiger des e-mails de service après vente, et l'a autorisé à dormir sous son bureau tant qu'il ne retirait pas ses chaussures.

"Il est resté un an, et il fini par épouser une collègue, ils sont partis vivre à Denver, raconte Conru. Il puait des pieds, c'était une horreur."

Sur FriendFinder, certains utilisateurs postaient des photos dénudées ; Conru a donc créé AdultFriendFinder.com, un site beaucoup plus orienté rencontres coquines, avec des femmes en (très) petite tenue sur la page d'accueil.

"On l'appelle la soupape d'évacuation, dit-il. 'Vous voulez baiser ?' Et le lien les envoyait directement vers Adult Friend Finder."

Une fois atterri sur le site pour adultes, vous avez l'impression d'être dans 50 Shades of Grey - un peu comme Grindr, mais pour les hétéros (quoique pas exclusivement). À l'heure actuelle, on y trouve surtout de jeunes couples, des femmes quinquagénaires en porte-jarretelle, des jeunes filles attachées à des lits et un flot continu de photos de bites. Les utilisateurs peuvent y poster des photos et des vidéos, mais pour les voir, il faut payer 5$ par mois.

Le site appartient à la société-mère "Friend Finder Networks", qui possède AsiaFriendFinder.com, SeniorFriendfinder.com et le site de rencontres chrétien BigChurch.com, ainsi que le site BDSM Alt.com. Au total, les sites de Conru comptent 528 millions d'utilisateurs dans plus de 200 pays.

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"On l'appelle la soupape d'évacuation. 'Vous voulez baiser ?' Et le lien les envoyait directement vers Adult Friend Finder."

"Il y avait clairement une demande, un besoin, estime-t-il. J'ai appris au fil des ans qu'il fallait savoir répondre aux besoins des clients, et pas forcément faire ce que vous avez envie de faire."

Penthouse a racheté FriendFinder Networks en 2007 pour 500 millions de dollars, avant de s'introduire en bourse en 2008. Ils espéraient lever 460 millions de dollars, mais n'en ont recueilli que 220 millions en 2010, quand Conru a racheté la boîte dont il est redevenu le PDG en 2013.

Quoi qu'il en soit, Conru se souvient que les premières années d'Internet étaient à la fois beaucoup plus tranquilles et bien plus fun.

"Comme la technologie était beaucoup plus simple, c'était comme si on jouait à un jeu vidéo, en fait, dit-il. On construisait des choses, on les lançait, on voyait si les gens aimaient, on lisait les retours et on regardait les chiffres. Les chiffres, c'était un peu le score. S'ils grimpaient, cela voulait dire que vous aviez proposé quelque chose qui plaisait aux gens. C'est une relation intime avec les clients, vous pouvez mesurer assez facilement et directement leur degré de satisfaction."

L'année dernière, AdultFriendFinder a été victime de hackers, et des pasteurs ainsi que des membres du Congrès se sont retrouvés parmi les 3,5 millions d'utilisateurs exposés par l'incident. "Nous travaillons dur pour protéger les intérêts de nos clients, dit Conru. Un utilisateur sur 1000 a été affecté."

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Conru a grandi dans une ferme de l'Indiana, où il codait des quizz sur la Bible sur son Commodore VIC-20 et faisait du porte-à-porte pour son église évangélique. Ses parents ont donc dû être étonnés de voir leur fils devenir le "baron du porno de Palo Alto."

"Mes parents sont contents que j'aie fait de mon mieux, et fiers que j'aie aidé beaucoup de gens, assure-t-il. Ils ne m'en ont jamais voulu, ils ont juste été surpris."

Reste que le débat fait rage pour déterminer qui a inventé les sites de rencontres - si vous faites une recherche Google, vous verrez que la réponse est Gary Kremen, fondateur de Match.com.

"C'est plutôt vrai, admet Conru. Gary et moi sommes amis depuis les tout débuts."

Il se souvient d'être entré parfois dans le bureau de Kremen, qui était couvert de graphiques et de chiffres.

"Il disait 'D'ici jeudi prochain, on va vous éclater !', c'était une sorte de blague", raconte Conru.

Match.com a été fondé en 1993, mais n'est devenu accessible qu'à partir de 1995 sous forme de beta gratuite.

"Lancer un site, ce n'est pas l'affaire d'une seule personne, poursuit Conru. Gary et moi avons sans doute eu l'idée chacun de notre côté, mais en ce qui concerne le lancement concret d'un site de rencontres, on avait trois ou quatre mois d'avance sur Gary. Alors, qui a inventé le concept ? Beaucoup de gens ont des idées, mais en termes d'exécution, j'ai été le premier."

"J'ai confiance en l'humanité pour continuer à nouer des relations authentiques et sincères."

Conru se souvient qu'Internet était alors très marginal - les seules personnes en ligne étaient des intellectuels, des professeurs d'université et des artistes.

"Pour avoir Internet chez soi, il fallait déjà faire partie d'un certain type de personnes, explique-t-il. Du coup, vous alliez forcément rencontrer quelqu'un d'aussi original que vous, mais c'était plus dur qu'aujourd'hui."

Au cours des 10 dernières années, il a vu l'opinion publique évoluer. "À mesure que de plus en plus de gens trouvaient l'amour sur Internet, c'est devenu de plus en plus normal", estime-t-il.

Quand on lui demande s'il pense être l'ancêtre de Tinder, il décline toute responsabilité. "Je n'ai été qu'une simple étape sur ce long chemin", dit-il.

"C'est une niche de gens qui cherchent des rencontres très superficielles - je pense que plus vous en savez sur quelqu'un, plus vous êtes à même de savoir si vous voulez vraiment construire une relation avec cette personne. J'ai confiance en l'humanité pour continuer à nouer des relations authentiques et sincères."

"It's a niche of people looking more superficial matchmaking—I believe the more info you know about someone, within reason, the better decision you can make as to who you want to be with. I'm hopeful for humanity for true and real relationships."