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FRANCE

J’ai essayé de comprendre pourquoi vos potes sont plus populaires que vous

Comme très souvent, c’est un peu de votre faute.
Paul Douard
Paris, FR

Comme beaucoup d'autres jeunes français, votre dernier moment de gloire remonte à votre arrivée au second tour des élections de délégués de classe en 4ème. Depuis, vous sombrez dans l'oubli dès que vous n'êtes plus dans le champ de vision de vos amis. Ce n'est pas faute d'avoir essayé de vous montrer. Vous avez envoyé une proposition de sujet à VICE sur votre prise d'ayahuasca – restée sans réponse –, vous avez fait une blague sur Alain Soral à une fille sur Tinder – restée sans réponse – et vous avez demandé une augmentation à votre patron – elle aussi restée sans réponse. La vie est globalement triste et injuste.

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Au milieu de votre fastidieuse existence se trouve très souvent votre meilleur pote : tout sourire avec son nouveau pantalon bordeaux et son sweat « Je le ferai demain », il vous invite à une énième soirée à laquelle tout le monde semble exagérément ravi de participer. Tous l'adorent et seraient prêts à faire du covoiturage pour prendre ne serait-ce qu'un verre avec lui, alors qu'ils estiment habituellement que faire cinq arrêts de métro un mercredi soir pour venir chez vous est un poil trop contraignant. Dans cette sombre tragédie, vous vous demandez pourquoi le monde semble être attiré par lui, quoi qu'il fasse – au moment même où votre existence ne semble être remarquée que par Lyla, le golden retriever qui attend devant votre boulangerie.

Ne pas être populaire signifie être confronté à des personnes qui monopolisent l'attention, ce qui vous relègue souvent au rang de sous-fifre ayant pour seule mission d'apporter les gobelets en soirée. Mais comment expliquer cette popularité que vous semblez condamné à admirer chez les autres ?

Clairement, la réussite – ainsi qu'elle serait définie par le comité éditorial de la revue Challenges – peut au premier abord expliquer une certaine admiration. Notre société admire les esthètes. Forcément, si votre ami parle six langues, a passé son été avec une tribu d'Indiens et s'apprête à publier son premier roman, vous ne risquez pas de vous mettre en avant avec votre CDD de six mois dans une start-up de deux personnes. Les gens sont impressionnés par des choses tangibles qu'ils peuvent visualiser, et personne ne sait ce que font réellement les gens qui bossent dans une start-up. Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS avec qui j'ai pu discuter de ce qui rend les gens populaires dans leur vie et à leur travail, m'expliquait que « ceux qui sont bien considérés sont ceux qui acceptent de prendre des risques, de sortir de leur zone de confort et de s'aventurer. » Mais une réussite sociale ne suffit pas à expliquer une certaine popularité, puisque bon nombre de sous-merdes incultes arrivent à s'élever au rang de chef de groupe. Pour cela, il faut donc comprendre comment fonctionne un groupe de potes au XXIe siècle.

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Photo via Flickr

Au sein d'un groupe lambda, il y a deux catégories de personnes : les conformistes et les déviants. Dans les conformistes, on trouve celui qui estime être le leader, mais aussi son acolyte qui est toujours d'accord avec lui ainsi que celle ou celui qui n'a jamais d'avis. Comme l'expliquait dans ses travaux le psychologue hongrois Ferenc Mérei, les conformistes sont toujours les plus populaires car ce sont ceux qui vont le plus vite se plier aux normes du groupe. Leur but est de se sentir accepté le plus vite possible, contrairement au déviant qui chercher plutôt à montrer sa personnalité. L'être humain est un animal grégaire, comme l'affirmaient les chercheurs Baumesteir et Leary, et ce besoin de reconnaissance est pour certains une motivation fondamentale au même titre que manger ou dormir. En cas d'échec, ces personnes souffrent d'anxiété, de maladies mentales et vont parfois jusqu'à se suicider. Ces gens vont donc tout mettre en œuvre pour plaire. Danièle Linhart m'explique : « Ces gens acceptent les règles du jeu et essayent de les utiliser pour obtenir le plus grand bénéfice pour eux-mêmes. Ils ne laissent jamais paraître leurs émotions. C'est une confusion des intérêts. »

Accepter les règles du jeu pour gagner en popularité revient à faire de ces personnes des purs produits de la société de consommation. Prenez par exemple « la fille cool » – celle que nous rêvons tous de la voir passer sous un tramway. Elle a beaucoup trop d'amis, ne sort qu'avec des DJ et l'afflux régulier d'argent de la part de ses géniteurs la plonge dans une profonde remise en question sur le sens de sa vie. Mais elle n'est que ce modèle hyper sexualisé de la fille solaire et libérée que tous les magazines féminins essayent de vendre à leurs lectrices mineures. Même chose pour ce trentenaire qui n'achète que des caleçons Calvin Klein. Si ces personnes peuvent sembler détestables, elles ne font qu'épouser des codes qui pourraient leur permettre de « s'élever ». Ce conformisme est une voie facile puisqu'il permet une intégration rapide au groupe en faisant ce que tout le monde attend de vous : être cool. À partir de là, personne ne peut vous reprocher quoi que ce soit.

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Ce qui va suivre sera dur à entendre, mais c'est pourtant la stricte vérité. Si votre meilleure copine est plus populaire que vous, c'est un peu de votre faute. Kurt Lewin est un psychologue allemand à l'origine de la théorie sur « la dynamique des groupes » dans laquelle il met en avant que l'homogénéité des membres d'un groupe est primordiale, c'est-à-dire qu'il est impossible qu'un groupe fonctionne si tout le monde se ressemble. Même dans un groupe d'emo adepte des soirées World of Warcraft et cimetières, il y a une hiérarchie. Lorsqu'un groupe se forme, tous ses membres agissent et réagissent face aux uns et aux autres. Ainsi, les membres du groupe ont tendance à se spécialiser dans une tâche précise, et à endosser un rôle selon leurs motivations. Si vous vous sentez en retrait, incompris et jamais écouté, c'est sans doute parce qu'inconsciemment vous l'avez choisi – ou que vous l'acceptez.

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Pire, non seulement vous l'acceptez, mais en plus de cela, vous avez un rôle déterminant dans la popularité de votre pote. Les travaux du psychologue Roger Mucchielli ont montré que le rôle du déviant est primordial. Comme cette personne est très souvent narcissique, elle a besoin de vous comme d'un miroir. Vous êtes celui qui le pousse à toujours faire plus. En fait, tout ça c'est grâce à vous. Vous pouvez être fier.

Si vous êtes globalement foutu sociologiquement parlant, la science vient vous mettre le coup de pelle derrière la tête. Oui, sachez que le cerveau des gens populaires ne fonctionnerait pas comme le vôtre. Une étude menée en 2015 par l'université Columbia a montré que le système nerveux des gens populaires ne réagit pas de la même façon que le vôtre face à certaines stimulations. La popularité serait en fait quelque chose d'inné, une fin contre laquelle vous ne pouvez pas lutter. De plus, la popularité d'une personne serait aussi un cercle vertueux qui s'entretiendrait de lui-même – un peu comme des nantis de la popularité, en somme. Lors du test publié dans la revue spécialisée Proceedings of the National Academy of Sciences, ceux dont le système nerveux percevait le mieux la popularité des uns et des autres sont aussi ceux qui étaient les plus populaires au moment du test. Cela signifie que leur cerveau se concentre « naturellement » sur ce qui fait la popularité aujourd'hui, contrairement au vôtre qui s'attarde à lire cet article (et donc à comprendre quelque chose qu'ils savent déjà). Cela est un peu dur à avaler, car cela revient à vous dire que vous passerez le reste de votre vie dans l'ombre des barmans tatoués et des personnes qui dînent après 21h30. Mais un cerveau qui fonctionne différemment ne témoigne pas forcément d'une plus grande intelligence. Par exemple, le cerveau des gens solitaires tourne lui aussi de manière différente.

Au-delà de ces problèmes de dynamique de groupe à la limite du complexe, il faut bien comprendre que notre société individualiste veut des gens populaires, des leaders et des self-made-men. Selon Danièle Linhart, « le management moderne aime les gens qui jouent sur un mode personnel et individualiste plutôt que pour l'intérêt collectif. Leur propre développement personnel passe avant tout. On ne cherche pas des gens effacés. On cherche des gens comme Donald Trump, en fait. » Oui, le management en entreprise reprend les mêmes principes que ceux qui font un groupe. Du coup, si vos potes sont plus populaires que vous, c'est évidemment qu'ils se servent du groupe pour assouvir leurs intérêts personnels et narcissiques. « Ils veulent se prouver qu'ils sont bons. Ce sont un peu des sportifs de haut niveau qui n'hésitent pas à chercher la performance pour eux-mêmes et être récompensé » termine Danièle Linhart. Mais là où la popularité débarque, c'est parce que leur individualisme devrait finalement porter ses fruits au reste de la communauté, c'est-à-dire vous – et vous pourrez alors leur dire merci.

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