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Culture

Vietnam étaient les Joy Division néo-zélandais

Ils n'ont jamais changé de nom pour se faire accepter et ils rééditent leur premier excellent disque, 30 ans après.

En 1985, le label de Nouvelle-Zélande Jayrem Records sortait l'unique disque de Vietnam, un mini-album de post-punk sombre issu de la scène de Wellington. Le quatuor n'a duré que trois ans, tournant partout en NZ avant de se relocaliser en Australie et, forcément, de splitter. Reconnu pour son intensité, son aura unique et ses lyrics inspirés, le disque est longtemps resté introuvable, et c'est curieusement un label espagnol, Burka For Everybody, qui vient d'avoir la bonne idée de le rééditer.

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Le bassiste et clavier Adrian Workman, le batteur Leon Reedijk, le guitariste Peter Dransfield et le chanteur Shane Bradbrook ont commencé à jammer dans leur garage, dans une des banlieues ouvrières de Wainuiomata en 1982, à l'ouest de Wellington.

Nourri par l'isolation inhérente aux banlieues et le post-punk britannique, Vietnam composait des morceaux à la fois sombres et mélodiques qui reflétaient typiquement le malaise adolescent et le climat politique de la Nouvelle Zélande à l'époque, celle de l'affaire du Rainbow Warrior et du boycott des Springboks en protestation contre l'apartheid sud-africain.

Après plusieurs concerts au sein du circuit des pubs locaux, le groupe a participé à un concours nommé « Battle of the Bands » où ils ont joué un set explosif conclu par une reprise de Martha and the Muffins, « Echo Beach », à la sauce kiwi, terrassant les autres groupes « pros » en compétition.

L'un des juges ce soir-là, qui n'était autre que la présentatrice de l'émission Radio With Pictures, a continué à soutenir de groupe tout au long de sa carrière et à diffuser leur clip pour « Victory ». Juste après la sortie de ce mini-album, Workman a migré à Sydney, suivi par Dransfield l'année d'après. Après plusieurs tentatives de ressusciter le groupe sous différentes formes, chacun est parti de son côté en 1988. Mais l'annonce de la réédition de l'album a poussé le groupe à remettre le couvert, et il se reformera pour un unique concert dans son fief, le 18 février prochain. On a demandé à Adrian Workman de nous parler du climat de l'époque et de l'impact de Joy Division et U2 sur son groupe.

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Noisey : À quoi ressemblait Wainuiomata à la fin des années 70?
Adrian Workman : La ville a probablement connu son pic entre le milieu et la fin des années 70, en terme de plein emploi et de population. Pour moi, c'était un super endroit où grandir comparé à la vie dans les grandes villes. « Wainui » était une ville prolo et fier de l'être, et avait un grand sens de la communauté.

Au début des années 80, l'économie nationale était un vrai bourbier et Wainui, comme de nombreuses autres villes, a été frappée de plein fouet, au fur et à mesure que les usines fermaient. Comme n'importe quel ado, j'étais agité, et vivre dans la vallée me paraissait souvent oppressant. Il n'était pas rare de voir des groupes de jeunes blasés traîner dehors ou dans les parcs le week-end. Il y avait une tension très palpable aussi, qui s'ajoutait à l'ambiance générale. La plupart des week-ends, des fêtes étaient organisées, et j'ai pu grâce à elles découvrir de la musique géniale. Je me suis fait également des amis de longue date à cette période et la vallée a produit son lot de  success stories.

On a beaucoup écrit au sujet de la scène de Dunedin, regroupée autour de Flying Nun Records, et la scène de Wellington alors ? Elle était branchée sur le punk et le post-punk?
Quand nous nous sommes formés en 1982, la scène punk locale avait déjà bien déviée depuis ses racines de 1977. Il y avait plus de diversité et le post-punk se répandait de plus en plus. C'est là-dedans qu'on s'est reconnus. Les pubs étaient encore frileux à l'idée de booker des groupes, la plupart des concerts étaient organisés dans des lieux alternatifs comme les centres sociaux. C'était une scène en effervescence, mais aussi très volatile. Les concerts étaient souvent entachés par la violence, due à différentes factions de la communauté punk qui se retrouvaient toutes au sein d'une même salle. Mais les groupes se soutenaient mutuellement en général, partageaient leur matos, et faisaient la promo pour les concerts des autres.

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Vous aviez été surpris du résultat du concours Battle of The Bands en 1984?
On avait quasiment raccroché à l'époque, parce qu'on avait déjà fait des tas de concerts dans un laps de temps très court, et on était un peu épuisés. Mais ce soir-là, on a joué le concert de notre vie.

Jusqu'à ce jour, quand je réécoute cette session live, j'en ai encore des frissons, pas parce que le set est parfait, loin de là, mais à cause de l'énergie ! Le jeu de batterie de Leon nous a emmené à un autre niveau. On était une bande d'ados inconnus opposée à des formations chevronnées. Les potentiels vainqueurs du concours étaient un groupe rock très lisse qui étaient également les organisateurs de ce concours national ! Ils ont joué un set bien arrogant avant nous et je n'oublierai jamais leurs visages après notre descente de scène. L'histoire dit qu'il y avait trois juges, dont leur manager, et ce sont les deux autres qui nous ont désigné comme gagnants haut la main. Pete a recroisé un de ces juges récemment, qui lui a révélé qu'il devait nous évincer du podium ce soir-là pour conserver son job. On n'aurait jamais du gagner. Voilà pourquoi School of Rock de Richard Linklater est mon film musical favori.

Dans quelles mesures Joy Division a influé sur votre son?
On n'a jamais suivi de tracé établi dans notre musique. J'écoutais Joy Division, évidemment, Shane aussi je pense. En tant que bassiste, j'ai été très influencé par le jeu de Peter Hook et de Simon Gallup de The Cure.

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L'utilisation des effets et la façon dont ils ont contribué aux mélodies a été une révélation pour moi. Lyriquement, les deux groupes me parlaient aussi, ils capturaient la pesanteur et le désespoir de cette période. J'ai eu mon moment privilégié avec Robert Smith autour d'une bière, après un concert de Cure à Wellington en 1984, on avait discuté politique et de choses et d'autres. Après cette rencontre, les similitudes entre la Nouvelle-Zélande de Robert Muldonn [ membre du Parti National et premier ministre du pays entre 1975 et 1984] et l'Angleterre de Thatcher et leur influence sur la musique m'ont vraiment paru évidentes.

Votre album est sorti quelques temps après Sunday Bloody Sunday de U2. Est-ce que leur pop politisée a eu un impact sur Vietnam?
Ouais, on a bien sûr été influencés par U2, d'une manière ou d'une autre. La Nouvelle-Zélande adoptait relativement rapidement les nouveaux groupes qui débarquaient, et U2 ont toujours été destinés à devenir un groupe important. Je me souviens écouter  Boyen 1980, et être soufflé par la production de Steve Lillywhite. J'ai vu U2 à Wellington, en 1984 également, et ça reste l'un de mes 5 concerts préférés de tous les temps. Ils étaient tellement au taquet, et c'était bien avant les séquenceurs et ce son surgonflé qu'ils allaient adopter un peu plus tard.

Votre album est également sorti quelques mois après l'affaire du Rainbow Warrior [ le sabordage d'un navire de Greenpeace au large de Mururoa par les services secrets français]. Quelle fut la réaction de la scène punk locale?
Pas énorme, je crois. Je pense que le punk et le post-punk de l'époque s'étaient engagés de façon tellement virulente durant la tournée des Springboks [ l'équipe nationale de rugby d'Afrique du Sud] en 1981 (plongeant la Nouvelle Zélande dans le chaos pendant plusieurs mois) qu'il n'y avait plus beaucoup d'essence dans le moteur pour d'autres combats après ça. Tout ça a conduit à l'éclatement pur et simple de la scène de Wellington.

En revanche, il y a eu une réaction très forte de la musique mainstream et indigène. En particulier de la part des pionniers du  Pacific reggae. Herbs a écrit de nombreuses chansons contre les essais nucléaires dans l'océan Pacifique. Leur titre de 1982, « French Letter » avait grimpé assez haut dans les charts, et un autre single intitulé « Nuclear Waste » était sorti en 1985. Des groupes plus connus comme Split Enz s'étaient également refermés pour jouer à des concerts de protestation.

Vous avez déménagé à Sydney un mois après la sortie de votre EP. Pourquoi?
J'étais déjà sur le départ à la fin de l'année 1984. Tout se bousculait dans ma vie personnelle et c'était une lutte perpétuelle. Pete et moi avons alors négocié pour que je reste quelques mois supplémentaires afin d'enregistrer des morceaux. Pete s'est bien démené et a surpris tout le monde en obtenant une bourse d'art qui nous a permis de financer le studio et de choper un deal avec Jayrem. Vietnam n'a plus rejoué après la sortie du EP. Aujourd'hui, je n'ai toujours pas digéré cette décision d'avoir quitté le groupe, mais il y avait malheureusement d'autres facteurs en compte.

À quel moment as-tu remarqué que les gens s'intéressaient de nouveau au groupe?
Il y a à peu près 5 ans, quelqu'un a posté la vidéo de « Victory » sur YouTube, et quelques temps après, Frankie Teardrop, un blogger de New York a chroniqué notre disque sur son site. Les tags « lost kiwi classic » ont commencé à circuler et une aura énigmatique a enveloppé Vietnam, due à notre absence totale d'Internet. J'ai entamé une conversation avec Frankie et on est devenus potes depuis. Je lui ai envoyé une copie « mint » du EP pour Noël l'année dernière et il peut désormais jouer « Victory » dès qu'il mixe dans les clubs new-yorkais.

Vietnam sera disponible dès le 1er février chez  B.F.E. Records.