Culture

L’art du selfie, de Rembrandt à Weiwei

Bien avant que les selfies n’envahissent le monde, on se représentait sous le biais de l’appellation sans doute aujourd’hui un peu désuète « autoportrait ». Il servait d’étude, d’expérimentation, de trace, de témoignage ou de confidence pour tout bon artiste. La place de l’autoportrait dans l’histoire de l’art, des prémices à aujourd’hui, n’est certes pas un sujet neuf, mais il mérite toujours autant d’intérêt. La Scottish National Portrait Gallery d’Édimbourg, en Écosse, y consacre toute une exposition : « Facing the World : Self-Portraits from Rembrandt to Ai Weiwei ».

Six cent ans d’histoire sont ainsi balayés à travers 150 œuvres sélectionnées, où apparaissent les grands noms de l’art — Matisse, Courbet, Rembrandt, Warhol, Ai Weiwei ou Marina Abramović. Le but est double : présenter quelques-uns des meilleurs exemples d’autoportraits à travers le temps, et s’interroger sur l’évolution de la représentation de l’artiste par lui-même. Le cliché de l’artiste torturé est-il finalement vrai ?

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Henri Matisse, La Leçon de peinture ou La Séance de peinture, 1919

Difficile de ne pas s’interroger en effet sur les révélations psychologiques de l’auteur qu’une œuvre puisse déceler. L’absence de sourire sur la plupart des autoportraits dit-elle vraiment quelque chose de tous ces artistes ? Quand l’artiste britannique Tracey réalise un autoportrait abstrait, morose et quelque part violent, cela nous renseigne-t-il sur sa psyché ?

Tracey Emin, Me at 10 (from Family Suite), 1994

Imogen Gibbon et Michael Clarke, les deux commissaires de l’exposition, estiment que la prévalence de l’autoportrait dans l’histoire des arts s’explique en partie par la facilité et la notion d’héritage qu’il implique : « En tant qu’artiste, le modèle le plus facilement accessible que vous puissiez avoir c’est vous-même. Si vous voulez représenter un corps humain ou l’âme humaine, vous avez juste à prendre un miroir et montrer ce que vous y voyez », disent-ils à The Creators Project. « Toujours en tant qu’artiste, si vous créez des œuvres d’art, dont certaines vont vous survivre, pourquoi pas créer une image de vous-même qui durerait pour toujours ? »

Rembrandt, Autoportrait, c.1657

Les commissaires pensent également que l’autoportrait peut être un véhicule nécessaire à l’expression de la volonté de l’artiste : « Quand c’est fait honnêtement, ça offre un aperçu des pensées et des sentiments de quelqu’un. Si vous regardez les aquarelles de John Bellany, présentes dans l’exposition, elles font partie de sa série représentant sa période d’hospitalisation pour implant de foie. Sur l’une, on le voit avec un masque à oxygène et sur l’autre, il est en pyjama de l’hôpital et on aperçoit les cicatrices et marques laissées par l’opération. »

Sarah Lucas, Self Portrait with Fried Eggs, 1996

« Ces œuvres ne sont pas des vanités, mais des représentations incroyablement braves et honnêtes de la douleur et de la peur, de l’équilibre fragile entre la vie et la mort. Ce genre d’authenticité rend ces images convaincantes et fait qu’un artiste, comme Rembrandt, est encore si admiré longtemps après sa mort, car il montre la vérité de la vie et de la vieillesse », précisent les commissaires. « Ces autoportraits sont comme des documents sur la vie d’un autre. »

Andy Warhol, Self-Portrait with Platinum Bouffant Wig, 1981

John Byrne, John Patrick Byrne, b. 1940. Artist, dramatist and stage designer (Self-Portrait in a Flowered Jacket), 1971-1973

« Facing the World : Self-Portraits from Rembrandt to Ai Wei Wei » est à voir à la Scottish National Portrait Gallery à Édimbourg, en Écosse, jusqu’au 16 octobre 2016. Cliquez ici pour plus d’infos.