Après 11 ans en suspens, WD-40 revient avec La nuit juste après le déluge… et met ainsi un terme définitif aux nombreux concerts d’adieu et retours qui ont été l’apanage – marketing comique – du groupe depuis la période Saint-Panache (2006).
Indépendant lui itou, comme Saint-Panache (après deux disques, Aux frontières de l’asphalte et Fantastik Strapagosse, sous La Tribu), ce cinquième album a été sociofinancé en moins de 48h, baume pour une formation qui, ayant vu son statut passer d’émergent à culte sans connaître de réelle gloire, peut compter sur une fanbase enthousiaste et fidèle.
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Et l’eau a coulé, laissant derrière les glorieuses histoires trash en faveur de textes empreints de pathos qui évitent les maladresses du précédent album. La nuit juste après le déluge… est un vibrant témoignage d’un groupe qui, malgré les écueils, les abus et le succès avorté, n’est pas capable d’arrêter. C’est un album de survie qui est, comme toujours, porté par le ton téméraire et un brin moqueur qui distingue Alex Jones, bassiste et chanteur de la formation.
VICE l’a rencontré avec le batteur du groupe Hugo Lachance au Quai des brumes – bar montréalais dont la scène est l’une des premières que le groupe a foulées à ses débuts en 1993, et qu’il revisite, notamment via le vidéoclip de La mer des tourments – pour discuter des limbes de la dernière décennie, de ce statut culte qui paie peu et de l’éternel retour.
VICE : Il me semble qu’au fil des dernières années, vous avez présenté une couple de concerts d’adieu. Après combien de fois vous avez déterminé qu’il n’y en aurait pas, d’adieu?
Alex Jones : Autour de Saint-Panache, en 2006, il y avait des rumeurs qui circulaient comme quoi on allait se séparer, et c’était les shows où on avait le plus de monde, fait qu’on s’est dit « C’est pas grave, on peut en faire autant qu’on veut, des shows d’adieu, puis après, on fera des comebacks ». C’était comme une blague, comme un coup de marketing.
Il s’est passé quoi pendant les 11 années qui séparent Saint-Panache de La nuit juste après le déluge… ?
Hugo Lachance : Ça a été une période d’incertitude.
A. J. : Ça a surtout été une longue résurrection pour moi : avant Saint-Panache, j’avais tout, tout, tout perdu [à cause de la drogue], il a fallu que je me refasse. Je me suis racheté un ampli, je me suis racheté une basse et j’ai eu deux enfants. On n’avait plus de compagnie de disques non plus, fait qu’on essayait de se structurer nous-mêmes. Et aujourd’hui, les shows et les entrevues ne se bookent pas avec une pagette et le téléphone public au Cheval Blanc comme quand on a commencé : il n’y en a même plus, de téléphone public, au Cheval Blanc!
H. L. : Il a fallu faire traverser le groupe dans les années 2000.
A. J. : C’est pour ça que pour le nouvel album, on n’a même pas essayé de le distribuer nulle part : on s’arrange avec les plateformes numériques et la vente de CDs dans les shows.
H. L. : C’est comme un retour au DIY des débuts du groupe : on fait tout nous-mêmes, mais via le numérique. Pour financer l’enregistrement, on a fait un Kickstarter. La réponse a été immédiate : on a atteint notre objectif en même pas 48 heures.
Dans le documentaire Né pour être sauvage , vous dites que le groupe a vu son statut passer d’émergent à culte sans connaître de réelle gloire – quand avez-vous constaté ça?
A. J. : Je pense que c’est après Aux frontières de l’asphalte : il y a des gens qui pensaient que ça allait exploser, notre affaire, mais finalement, ça n’a pas levé et c’est les Cowboys fringants qui sont devenus célèbres. Mais ça fait qu’on a des fans vraiment intenses : j’ai déjà vu un gars avec un tatouage de ma face, et un autre qui porte encore une des tuques que je cousais à la main avec ma belle-mère en même temps que je pesais du pot.
Tu as souvent dit que tu te forçais pour écrire des chansons, mais que tes efforts étaient occultés par tes tounes plus faciles, plus trash. Est-ce que de faire un album de chansons plus sérieuses était une décision consciente, en amont?
A. J. : Je ne peux plus faire des tounes de même. Je ne prends plus de drogue – ou très rarement. Avant, j’habitais dans Centre-Sud, je travaillais là, c’est là que le band a commencé. C’est un quartier fertile, qui ne va jamais bien socioéconomiquement, mais qui est vivant. Je me suis piégé moi-même : quand je suis arrivé à Montréal, je ne prenais rien, mais je ne pouvais pas écrire sur ces choses-là sans les vivre moi-même. Café Chrétien, ça parlait d’un junkie en rémission, mais je n’avais jamais pris de drogue quand j’ai écrit ça. Je me sentais un peu comme un imposteur. C’est pour ça que dans Bête du lac ça dit : « Tant qu’à ça, m’a faire dur moi aussi ». Ce n’est pas un exploit d’être junkie, c’est à la portée de tous. J’ai atteint le maximum de défonce qu’un être humain peut atteindre pour en revenir vivant. Comme dit Danzig : « It’s a long way back from hell. »
Qu’est-ce qui a formé le pathos, les thèmes de l’album?
A. J. : L’amour. L’amour, la séparation, la douleur, le phénix. Tu as beau avoir le décor que tu voudras, les sentiments vont rester les mêmes. C’est l’urgence qui te force à créer dans les moments difficiles. C’est ce qui a fait que j’ai commencé à enregistrer des maquettes sur mon iPad. D’aussi loin, j’ai enregistré ça un jour où je ne savais pas si ma femme allait revenir. Elle est revenue, je lui ai fait écouter la maquette, elle est partie à brailler, elle est partie pour vrai et elle est revenue un an plus tard. Tu sais, l’enfer, comme je le dis dans L’enfer est intime, ça peut être bien des affaires : ça peut être se shooter dans une toilette du centre-ville, mais ça peut aussi être une peine d’amour dans une maison de banlieue quand tu as deux enfants. C’est une question de maintien d’équilibre. Je suis fasciné par ça, le maintien d’équilibre.
Selon vous, après presque 25 ans d’activité, et peut-être notamment grâce aux derniers 10 ans qui ont été moins chargés et qui vous ont permis un certain recul, quelle est la marque que le groupe a laissée dans le paysage musical québécois?
A. J. : Le groupe est un peu devenu un mythe. Une fois, je me suis ramassé autour d’un feu à Saint-Basile-le-Grand, j’ai commencé à jouer Souvenirs d’Amos, le monde la connaissait mais ne me croyait pas que c’était ma toune – c’est rendu un apport au folklore, un peu comme La p’tite grenouille. Il y a un gars qui m’a déjà dit : « Tu n’es pas Alex Jones, il est bien plus grand que ça. » Ce qu’on a apporté, je pense, musicalement, c’est quelque chose de plus facile : à l’époque, tout était trop compliqué pour rien, et WD-40 ne se cassait pas la tête : « Tu sais pas jouer, joue pareil. » Maintenant, on est rendus pas pires, et notre rêve ça serait de jouer à Belle et Bum. On va attendre les retours de ton article puis on espère se rendre là.
WD-40 lance La nuit juste après le déluge le 20 octobre au Lion d’or à Montréal et sera le 21 octobre au La Sainte-Paix à Drummondville . On pourra aussi voir le groupe dans La disparition des lucioles de Sébastien Pilote (Le vendeur, Le démantèlement), qui sera à l’affiche en 2018.
Benoit Poirier est sur Twitter .