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Culture

Comment le strip-tease est entré dans la culture populaire

Quand les chaussures à plateforme ont-elles pris d'assaut Instagram? Est-ce que la danse poteau est un sport?

Quand les chaussures à plateforme ont-elles pris d'assaut Instagram? Comment les danseuses nues sont-elles devenues les vedettes à la semaine de la mode? Est-ce que la danse poteau est un sport? Et quelles sont les conséquences pour les professionnelles du strip-tease?

Au beau milieu de l'hystérie de la semaine des Oscars, une nouveauté est apparue à l'intersection très passante d'Hollywood Boulevard et de La Brea à Los Angeles, aussi étincelante que troublante. Parée de cache-tétons et d'un string rempli de billets verts, la statue des Oscars déguisée en strip-teaseuse était l'œuvre de l'artiste de rue britannique Plastic Jesus. Les années précédentes, il avait érigé des statues dorées sniffant de la drogue, tentant de mettre en lumière le côté obscur de l'industrie. « Il y a tant de femmes qui viennent à Hollywood pour vivre leur rêve, devenir actrices, danseuses ou chanteuses et qui, à cause du manque d'opportunités et du très élevé coût de la vie, sont obligées de se tourner vers le strip-tease », expliquait Jesus dans un manifeste qui compare les danseuses à des toxicomanes. Une perpétuation du stéréotype de la « strip-teaseuse malheureuse » que beaucoup de danseuses doivent supporter et surmonter au quotidien. Nous nous sommes penchés sur la fascination de la culture populaire pour le strip-tease et des conséquences sur les vraies professionnelles de l'industrie. Durant les siècles qui ont suivis l'invention du strip-tease, le divertissement pour adulte n'a cessé de puiser des ressources dans la culture populaire. Prenez Dita Von Teese, la fétichiste aux cheveux de jais devenue icône de la mode et célèbre après avoir posé pour une couverture de Playboy, reconnue pour avoir ressuscité l'art du strip-tease. Il y a aussi Diablo Cody, la strip-teaseuse féministe préférée (la seule?) d'Hollywood, récipiendaire d'un Oscar pour le meilleur scénario. Avant d'être applaudie par l'industrie pour Juno, elle se confiait à l'écrit et racontait en détail son année passée à travailler dans des bars de danseuses miteux. Et comment oublier Brooke Candy? L'excentrique et futuriste ex-strip-teaseuse qui est passée de rappeuse à muse de la mode. Lady Gaga aussi a fait dans la danse poteau, et dit avoir gagné bien plus en dansant sur les tables qu'en y prenant les commandes. Si aucune des personnalités interrogées n'a semblé honteuse de son passé dénudé, toutes ont transité vers des carrières jugées plus « socialement acceptables ». Qu'en est-il alors des femmes pour qui se déshabiller n'est pas qu'un souvenir de plus ou moins longue date, mais bien un métier dont elles sont fières? Prenons la colère de la militante contre le slut-shaming à l'origine des slutwalks, Amber Rose. En tant qu'ex de deux (adversaires) magnats de la musique, elle a été catapultée dans le rôle bien en vue de celle qui met à mal la perception dépassée de la société à l'égard des femmes émancipées. Son passé de strip-teaseuse est l'argument facile qu'utilise Kanye West pour l'accuser d'être vulgaire dans ses diatribes sur Twitter. Contrairement à Von Teese ou Gaga, Amber Rose a décidé de ne pas se distancier de son passé. Elle n'a pas non plus drapé son identité dans des étoffes de haute couture. Au contraire, elle a décidé de prouver sur la place publique qu'être maître de son corps et de sa sexualité est un véritable acte de féminisme, pas une invitation au harcèlement sexuel. Hedi Slimane, elle, a recruté des danseurs du Jumbo's Clown Room pour son défilé californien du début d'année, où l'on retrouvait aux premières loges Courtney Love, Justin Bieber, Lady Gaga et Joan Jett. Le Jumbo's est un bikini-bar hollywoodien connu pour sa clientèle qui cherche à percer et ses danseuses diplômées de Juilliard (l'école du spectacle new-yorkaise) capables de danser sur du Black Sabbath avec des chaussures à plateforme. Puis, inévitablement, il y a l'électrique et sexuelle collection automne-hiver 2016 d'Alexander Wang : des mannequins punks ont défilé dans des pantalons avec des silhouettes de danseuses nues comme motifs. On a peut-être atteint l'apogée du XXX avec la fête de la marque urbaine Richardson lors de la semaine de la mode : une célébration qui a viré à la débauche au cours de laquelle la designer de mode-danseuse nue Zoe Kestan en a fait voir de toutes les couleurs. Ce n'est pas la première fois que l'industrie de la mode est accusée d'appropriation culturelle. Encore une fois, on pourrait avancer qu'elle s'approprie l'image d'une communauté sans rien donner en retour. Sachant que les strip-teasers font souvent l'objet de discrimination, ne sont pas ou peu reconnues dans nos sociétés, sont sans protection (la plupart n'ont ni vrai contrat ni chômage) et sont victimes de préjugés, il est préoccupant de voir les designers capitaliser sur leur image. Est-ce que l'industrie s'intéresse au sort des travailleuses du sexe ou se contente-t-elle d'encaisser. Pour répondre à nos questions, on a rencontré Jacqueline Frances, surnommée Jacq The Stripper. Celle qui s'autoproclame « entrepreneure mégababe » — strip-teaseuse, comédienne et auteure du livre autobiographique The Beaver Show, dans lequel elle raconte ses aventures — lutte pour renverser les perceptions à l'égard de son travail en dévoilant ce qui se passe réellement derrière la scène « D'abord, le strip-tease est devenu cool. Enfin, pas ceux et celles pour qui c'est le métier, parce qu'on est toujours traités comme de la merde, mais plutôt l'idée de faire partie d'un univers sexy, décadent, hors des conventions sociales », explique-t-elle quand on lui demande son avis sur l'attrait de la culture du strip-tease pour l'industrie de la mode. « Pour être tout à fait franche, j'aime à croire que je contribue à ma manière au changement de perception. J'en suis fière. Peu d'entre nous prennent la parole. Ce métier et, plus généralement, le milieu peuvent ruiner la vie personnelle, les chances d'une deuxième carrière, les relations et des opportunités en général. C'est pourquoi, si l'on profite de cette culture, c'est important de la défendre. Zoe Kestan compte 30 000 abonnés depuis qu'elle a été photographiée par Richard Kern. Même si elle est nouvelle dans le milieu, elle a aidé Andrew Richardson, le fondateur de l'éponyme marque urbaine, à engager des danseuses nues et créer des tenues spéciales pour sa soirée de la semaine de la mode. « Il a été très généreux. J'ai adoré travaillé avec lui », confie Zoe. L'ex-assistante de Jeff Koons, designer de lingerie, mannequin et consultante, elle a dansé dans les clubs de strip-tease de New York pour boucler ses fins de mois, tout en réfléchissant à « pourquoi certains éléments de son milieu sont rejetés et d'autres repris par la société. J'adore me costumer avant de me produire sur scène. J'aime me transformer. Et me faire payer pour ça », enchaîne-t-elle. D'ailleurs, elle compte bien utiliser son statut pour apprendre aux plus jeunes à se sentir libres et bien dans leur corps. J'ai l'impression que je peux changer des choses. » En janvier dernier, le mot-clic #NotAStripper a été populaire auprès d'adeptes de la danse poteau, qui publient des photos de leur prouesse tout en précisant qu'elles sont des athlètes et non des strip-teaseuses. Vite, les professionnelles du strip-tease ont répliqué avec les mots-clics #YesAStripper, #AllPoleDancers et #ProudStripper. L'art de la danse poteau a été perfectionné par des strip-teaseuses. En niant ses racines, le mouvement #NotAStripper contribue à la stigmatisation des femmes qui l'ont popularisé. La tendance actuelle de se servir de l'industrie du sexe est positive, mais il est important d'en être aussi les défenseurs inconditionnels, pas juste des spectateurs. « Ces jours-ci, beaucoup de hipsters viennent dans les bars de danseuses… pour prendre des selfies. C'est dérangeant et ça nous fait perdre de l'argent. Les strip-teaseuses ne sont payées que par les clients. Peut-être que ces gars-là ne nous insultent pas publiquement, mais je sens qu'on me manque de respect en tant que professionnelle quand ils occupent une table juste pour regarder. Les bars de danseuses ne sont pas des galeries d'art ou des musées. Ce sont des endroits interactifs : si vous ne participez pas, c'est pas très cool », dit Jacqueline Frances. Conclusion : Vous en profitez? N'oubliez pas le pourboire. « Si vous avez l'audace de mettre des motifs de strip-teaseuses sur vos mannequins, demande Jacqueline, pourquoi ne pas être vraiment révolutionnaire et inviter carrément une vraie strip-teaseuse à participer au défilé? »