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Culture

Plaidoyer en faveur du blasphème

L'ancien rédacteur en chef de The Onion nous a expliqué pourquoi il fallait continuer d'offenser les gens à tout prix.
Un numéro de Charlie Hebdo, sorti après l'incendie des bureaux de la rédaction en 2011.

Ma compréhension de la culture française, du débat national sur l'immigration et de la théologie musulmane est clairement limitée. En revanche, j'ai bossé pourThe Onion pendant 19 ans, et je pense m'y connaître en peu en satire. C'est donc avec une certaine confiance que je peux vous affirmer ne pas comprendre la portée satirique d'une caricature de Mahomet à poil avec une étoile dans le cul, publiée par Charlie Hebdo en 2012.

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Je sais que les représentations du prophète Mahomet sont théoriquement interdites par le Coran (elles n'y sont pas explicitement bannies, mais c'est un autre débat) et qu'elles sont perçues comme transgressives et choquantes, mais qu'est-ce qu'essaie de dire un(e) occidental(e) non-musulman(e) quand il/elle dessine une telle caricature ? Pour moi, cela vient d'un mélange de peur et d'incompréhension, et ce genre de représentations constitue un doigt d'honneur adressé aux extrémistes. C'est la réaction instinctive d'un occidental face à la réaction instinctive d'un extrémiste, et ça n'en finit jamais.

Personne ne devrait mourir pour ces images, même si des gens semblent douter de leur utilité et de leur diffusion. Mais si quelqu'un souhaite publier ce type d'images, c'est important – voire essentiel –, qu'il le fasse.

Le progrès social se réalise par des échanges, mais ces échanges ne doivent pas s'embourber dans la répétition et le dogme. À moins d'une situation critique, les gens se contentent parfaitement de ce statu quo – les titres des journaux s'évanouissent, les tragédies deviennent routine. Les images satiriques, qu'elles soient bonnes ou mauvaises, peuvent prendre la forme d'une injustice – vécue ou perçue – et l'exagérer, l'amplifier et la transformer en quelque chose de trop remarquable pour être ignorée.

Quand The Onion a publié son numéro post 11-Septembre, nous avons été inondés d'emails de gens qui nous remerciaient de les avoir fait rire, de leur avoir permis de penser à autre chose qu'aux horreurs qu'ils avaient en tête. Cela a permis à des gens d'aller un peu mieux, ce qui était vraiment cool.

Au final, qu'est-ce que les caricatures de Mahomet publiées dans Charlie Hebdo ont apporté ? Quelques années auparavant, j'avais interviewé Joe Sacco, le dessinateur à qui l'on doit Palestine, pour le site The A.V. Club. Le sujet a dévié vers Robert Crumb et les dessins choquants et parfois malsains qu'il produisait : « Crumb nous a ouvert de nombreuses portes, m'a expliqué Sacco. Nous avons toujours peur de nous engouffrer dans certaines d'entre elles. » Je pense que cela concerne tous les moyens d'expression. Il est important de savoir que tout peut être dit, dans le seul but de dire ce que vous avez à dire.

Bien qu'ils semblent avoir été dessinés dans un simple but provocateur, ces dessins ont été publiés en même temps que d'autres caricatures, plus importantes à mes yeux, – je pense notamment à une image représentant un terroriste fondamentaliste qui s'apprête à décapiter Mahomet pour ses croyances. C'est une satire parfaite. En allant plus loin, j'espère que les gars de Charlie Hebdo s'orienteront à l'avenir vers ce genre de choses – mais, surtout, j'espère qu'ils continueront à pousser le bouchon pour que, quelque part, quelqu'un ressente également l'envie de confronter des idées afin de créer quelque chose de nouveau.

Joe Garden est journaliste freelance. Il est sur Twitter.