FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO INTERVIEWS

Trois hommes qui travaillent en Antarctique

Andrew G. Fountain, professeur de géologie et de géographie, Portland State University

Le plateau glaciaire de Ross est criblé de profondes crevasses

Andrew G. Fountain, professeur de géologie et de géographie, Portland State University Vice : Comment vous êtes-vous retrouvé à bosser dans un désert gelé durant de longues semaines ? Andrew : Quand j’étais en première, un type de la State University de New York à Albany est venu donner un cours magistral sur les formations nuageuses et ça m’a fait m’intéresser aux cristaux de glace. Je n’ai plus jamais regardé en arrière. J’ai étudié la physique des nuages, et spécifiquement la formation de cristaux de glace. Quand je cherchais un boulot, je me suis retrouvé dans le domaine de la glaciologie, ce n’était pas ce qui m’intéressait vraiment. Mais bon, c’était toujours ça. C’est devenu ma niche. En Antarctique, tu trouves les glaciers les plus rares et les plus massifs. C’est un super endroit pour mes recherches. J’y suis déjà allé plus de dix fois. La plupart de tes recherches sur le terrain se font dans les vallées sèches de McMurdo. On raconte que c’est l’endroit sur terre qui se rapproche le plus de Mars. Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Les vallées sèches ne sont pas recouvertes de glace. À McMurdo, la couche glacière est bloquée par la chaîne Transantarctique, et la vallée elle-même est composée de gravier sablonneux. C’est le dernier écosystème terrestre fonctionnel en Antarctique, on y trouve plus de plantes que d’animaux. On s’intéresse à la façon dont les variations climatiques affectent cet écosystème. Comme ça se passe à un niveau très élémentaire, ça nous aide à comprendre les écosystèmes primitifs, et ceux – existants ou ayant existé – de planètes comme Mars. La fonte des glaces procure l’unique alimentation en eau pendant l’été. Je dois surveiller l’évolution des glaciers, et c’est ce qui nous renseigne sur le changement climatique. La station McMurdo est le plus grand centre de recherche en Antarctique, et le lieu sert de toile de fond pour de nombreux récits de science-fiction. Ça doit être bizarre de vivre là, non ? Quand tu arrives ici, tu as l’impression d’être en mission dans un film de SF. Tu sais, quand le vaisseau spatial se pose et que tu entres dans un véhicule lunaire qui t’emmène à la station. Mais à la place, tu atterris en avion, puis tu as une heure de bus pour rejoindre le centre, où tu te déplaces dans des véhicules aux roues gigantesques. Le centre en lui-même ressemble à un village d’Alaska. Il y a beaucoup de cabanes et de poteaux électriques, à cause du pergélisol. Ça a un côté très industriel. Et quand tu déprimes ? Il y a des endroits pour s’amuser un peu ? On a la télé et la radio de l’armée. Il y a aussi trois bars : un bar fumeur, un autre assez typique, bruyant, avec des jeux, et celui qu’on appelle le Coffee House, où l’on joue aux échecs et aux dames en discutant autour d’un verre de vin.

Publicité

La lente décomposition d’une carcasse de phoque dans l’environnement glacial de l’Antarctique

Chris Linder, photographe, Woods Hole Oceanographic Institution Vice : Toi aussi tu te gèles les couilles dans un désert de glace. Tu peux nous dire pourquoi ? Chris : J’avais commencé une carrière scientifique, et j’ai toujours fait de la photo. En mars 2007, j’ai posé ma candidature pour être journaliste embarqué dans cinq expéditions polaires différentes ; c’est là que mes travaux de recherche et la photographie se sont mêlés. Jusqu’à présent, j’étais allé au Pôle Nord, dans l’Océan Arctique, au Groenland et en Antarctique. C’était ma première fois dans les environs du Pôle Sud. Il y a un site Internet qui suit nos expéditions et on fait des conférences dans des musées en direct par satellite. Vous menez quel genre de recherches en Antarctique ? On a choisi de partager notre temps entre la surveillance de la population de pingouins d’Adélie et des recherches océanographiques sur des reliques de coulées de lave. Ça fait pas mal d’années qu’ils étudient les pingouins et récemment, David Anley, qui dirige les recherches, s’est servi des oiseaux pour mesurer la réaction des animaux de l’Antarctique au changement climatique. Dans le projet de recherche sur la lave, ils ont mesuré combien de temps la lave solidifiée est restée sous un glacier. Ça a aussi un lien avec le changement climatique : on peut calculer combien de temps les rochers ont été exposés et retracer l’apparition du glacier. La bouffe est comment par ici ? Quand on est de sortie, c’est de la bouffe de camping. Il faut des choses faciles à préparer. À certains endroits, on doit faire faire fondre de la neige ultra solidifiée pour obtenir de l’eau. On mange beaucoup de pâtes, aussi, parce que c’est facile à faire, avec des filets de poisson surgelés. Je n’oublierai jamais les escalopes, parce qu’elles ont fui dans nos congélateurs et que tout a pué pendant le reste de la semaine. On nous a envoyé des barres chocolatées Cadbury depuis la Nouvelle-Zélande et j’en ai mangé deux à trois par jour. À la fin du voyage, généralement, tu perds du poids car le froid te fait brûler beaucoup de calories. Et on n’a pas beaucoup d’aliments frais. Les légumes sont super bons, mais il faut connaître les bonnes personnes pour s’en procurer. Est-ce qu’il s’est passé des trucs flippants ou bizarres pendant l’expédition ? Tout est parfaitement conservé. Quand tu tombes sur une carcasse de phoque qui date d’une centaine d’années, celui-ci n’est pas dans un état très différent de son état originel. Les cadavres de pingouins qu’on trouve partout sont intacts. On voit aussi des curiosités comme le campement d’Ernest Shackleton, où il y a des conserves et des chaussures remplies de paille, plus ou moins en l’état. C’est un peu comme si le temps s’était arrêté.

Le journaliste scientifique Hugh Powell rédige son papier dans une grotte enneigée

Glifford Wond, technicien hélicoptère Vice : Qu’est-ce qui t’a fait t’abandonner au grand désert blanc ? Glifford : En 1997, je bossais pour AmeriCorps, et j’ai vu une pub pour un programme en Antarctique. J’ai tout de suite pensé que j’allais faire ça quand j’aurais un hiver de libre. Je me suis inscrit et je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que je passe l’entretien. J’ai eu pas mal de chance, on m’a donné un poste d’assistant général pour les opérations. Ils embauchent une dizaine d’assistants par an, qui sont un peu les bras de la station McMurdo. Un jour, tu dois aider la section des déchets à trier les produits recyclables et le lendemain tu peux te retrouver avec les scientifiques pour les aider à baguer et marquer des phoques de 270 kilos. C’était un boulot génial, et je trouvais l’endroit assez cool, alors j’y suis retourné sur six des sept derniers hivers polaires. Est-ce qu’il y a des gens qui en ont marre de l’isolation, du jour perpétuel, du paysage tout blanc, et qui se mettent à faire la fête pendant des jours entiers ? Je ne suis pas un gros fêtard, alors je peux juste parler de ce que j’ai entendu. Il y a un bâtiment où le groupe de travail a la réputation de bien s’amuser et d’être assez extraverti. Ils font toujours des fêtes qui durent jusqu’à 2, 3 heures du matin. C’est pas trop sauvage, mais la musique est très forte et les gens dansent à fond. Il existe un lieu où ils font beaucoup de fêtes déguisées, et c’est dingue de voir la vitesse à laquelle les gens vident la boîte à costumes. Tu ne le sais peut-être pas, mais il y a une grande tradition de travestissement en Antarctique. Nan, tu déconnes ? Pas du tout. Il y avait beaucoup de Britanniques parmi les premiers explorateurs, et ils ont apporté leur culture avec eux. Ils ont monté des pièces de Shakespeare, et comme il n’y avait que des hommes, ceux qui jouaient les rôles féminins devaient se travestir. Depuis, c’est devenu une tradition. Dans les fêtes, tout le monde se marre et se demande pourquoi tout le monde en Antarctique s’habille avec des jupes, des pulls léopard et des robes de soirée trop petites. On raconte qu’en Antarctique, on baise tout le temps parce qu’on s’y emmerde beaucoup. C’est vrai ? Il y en a quelques-uns qui font ça. L’homme est un animal social par instinct, et ça peut créer des couples qu’on ne verrait pas dans le monde réel. C’est comme être en camp de vacances, c’est un peu innocent. Il n’y a pas beaucoup de femmes, et certaines de mes amies m’ont dit qu’on ne leur avait jamais accordé autant d’attention qu’ici. Certains peuvent se préserver de ça, et d’autres se montent la tête et deviennent peut-être un peu déglingués jusqu’à ce qu’ils rentrent. Mais, je connais pas mal de gens qui se sont rencontrés en Antarctique et qui se sont mariés une fois rentrés.