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Le mineur de charbon devenu capitaine

François Zanella a consacré 25 000 heures de sa vie à une maquette de bateau – et il s’apprête à la revendre plus d’un million d’euros.

François Zanella en compagnie du capitaine du bateau Majesty of the Seas. Toutes les photos sont publiées avec l'aimable autorisation de François Zanella

Rares sont ceux qui réalisent leur rêve de gosse. François Zanella, un ancien mineur de charbon, en fait partie. Sa passion, ce sont les paquebots et leur faste bien éloigné de la mine où il a travaillé toute sa vie. Alors pour assouvir ses envies d'océan, François s’est mis à réaliser des maquettes des « géants des mers », avec plus ou moins de réussite, jusqu’à l’œuvre de sa vie entamée en 1994. Une réplique au ⅛ du célèbre Majesty of the Seas, la plus grande maquette navigante au monde avec ses 33,5 mètres de long – laquelle possède même sa propre page Wikipédia. Dans son jardin de Morsbach en Lorraine, François a consacré 25 000 heures de travail et onze ans et demi de sa vie à construire « son bateau ».

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Mais à 65 ans, les années passées sous terre viennent se rappeler à François. Après seulement huit ans de navigation sur les canaux français et européens, des problèmes de santé le forcent à vendre son bijou. Considéré comme une œuvre d’art, des experts allemands ont estimé le mini Majesty of the Seas à 1,3 million d’euros. J'ai discuté avec lui de son amour des bateaux et de sa faculté à travailler sur des maquettes minutieuses sans jamais s'énerver.

Le bateau Majesty of the Seas. Photo via Wikipédia

VICE : Comment est née votre passion pour les paquebots ?
François Zanella : Tout a démarré en 1960, quand j’ai vu le lancement du France à la télévision. Je suis tombé amoureux du paquebot. Je trouve ça grandiose de pouvoir faire flotter quelque chose d’aussi énorme. Ensuite, je me suis mis à faire plusieurs maquettes du France quand j’avais une dizaine d’années. La première fois, on peut dire qu’elle a mal fini, dans la baignoire … C’était en carton et en papier, avec des bouts de bois, ce n’était pas très sophistiqué. En plus, j’avais pris les plans du bateau dans Paris Match.

Vous aviez déjà navigué à ce moment-là?
Non, c’est à peine si j’allais à l’école ! J’avais onze ans et on habitait à mille kilomètres de la mer, en Lorraine.

Cette passion ne vous a jamais quitté ensuite ?
Non, jamais. En grandissant, j’ai fait plusieurs fois la maquette du France. J’avais même fait les calculs pour qu’il fasse 39 mètres, c’est-à-dire la longueur d’une péniche. Tout était prêt, mais le jour où j’ai franchi le cap, il a fallu que je demande les plans. Et ce n’était pas en partant d’un bouquin sur un dessin de 30 centimètres qu’on arrive à faire quelque chose de valable. Du côté des chantiers navals de Saint-Nazaire, on m’a dit qu’on ne pouvait pas me donner les plans, parce qu’il avait été commandé par De Gaulle. C’était plus ou moins secret défense.

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La maquette en 1995, après 1800 heures de travail

Au final, c’est le Majesty of the Seas que vous avez reproduit au ⅛. Pourquoi ce bateau plutôt qu'un autre ?
Comme je ne pouvais pas faire le France, les chantiers navals m’ont proposé de faire un autre bateau. Ils m’ont fait visiter le Majesty of the Seas en 1992. Je leur ai dit : « Si vous me donnez les plans, je le ferais ». On me les a donnés, mais en réalité personne ne pensait que j'allais vraiment m'y mettre.

Vous travailliez encore à la mine quand vous avez commencé la maquette ?
Oui, le boulot commençait à 5h du matin. À 14h j’étais libre, je pouvais bricoler sur le bateau. À ce moment-là, je cumulais deux emplois puisque je faisais aussi le bûcheron pour un médecin qui avait 60 hectares de forêt. Le terrain où je stockais le bois de chauffage m’a permis d’avoir de l’espace pour le bateau. Financer un projet comme ça avec un seul travail et une famille à charge, ça aurait été impossible. Ce n’est pas en se tournant les pouces qu’on y arrive. En même temps, c’était un plaisir donc ce n’est pas comme si c’était un boulot.

Construire un bateau, c’est un travail collectif. Comment vous avez fait pour vous en sortir tout seul ?
Quand j’avais un problème, je demandais à des ouvriers de Saint-Nazaire. Au fil du temps,  certains sont devenus des amis. Par exemple, lorsque le bateau était entièrement construit, il y  avait trois gros morceaux, de 17, 24 et 32 tonnes. Il fallait assembler ces trois éléments pour n’en former qu’un. Un printemps, les ouvriers étaient venus voir ce que j’étais en train de bricoler et ils m’ont proposé un coup de main pour tout assembler. Moi j’avais retourné un morceau du bateau pour le souder. Eux, ils sont passés en dessous, en trois jours ils ont tout assemblé. En rentrant, ils ont été voir leur patron pour créer une association de soutien. Ils m’ont obtenu du matériel : un bloc sanitaire, de la moquette, des panneaux pour les murs…

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Est-ce que vous avez eu des moments de doute pendant les travaux ?
Non, aucun. Je voulais mon bateau. Mais comme tout le monde était derrière moi, les chantiers navals, les médias, il y avait une forme de pression. Ils pensaient que je terminerais plus vite. Et au final, on l’a mis à l’eau en 2005.

Comment vous avez vécu cet attrait des médias pour votre projet ?
Le jour où on l’a mis à l’eau, il y avait 25 chaînes télés. Ils étaient debout sur la passerelle à Sarreguemines. Il fallait répondre à chacun d’entre eux, c’était le bordel ! Quand tu réponds à un ça va, mais quand il y en a plusieurs, ce n’est pas évident. Surtout qu’il y avait plusieurs langues. Les Russes étaient là, les Japonais, les Italiens, les Allemands, les Suisses. Un gros bordel.

François à la barre du Majesty of the Seas, en 1999

Pendant huit ans, vous êtes devenu capitaine de votre propre bateau.
On a fait des grandes virées, Strasbourg, une partie du Rhin. On a fait la Sarre, la Meuse. On est monté jusqu’à la frontière belge, au Liechtenstein, en Allemagne etc. Cet été on est passé devant la Tour Eiffel. En tout, ça fait 10 000 kilomètres et 1900 écluses.

Et aujourd’hui, vous avez mis le bateau en vente à cause de problèmes de santé.
Oui, malheureusement … Des experts allemands l’ont estimé à 1,3 million d’euros. Mais si l’on trouve un acheteur, on négocie le prix, comme pour une maison. D’ailleurs, c’est une belle maison sur l’eau. Il y a 160 m2 habitables, 60 m2 de terrasse, même un garage pour une voiture. Ça vaut bien une péniche sur la Seine – sauf qu’il fait 33 mètres de long.

Comment vous vivez le fait de devoir le vendre ?
Au début, ce n’était pas évident, c’est sûr. Mais maintenant, je n’ai pas trop le choix. J’ai fait deux malaises en naviguant en 2012. Je suis dos au mur – au prochain malaise, ça sera fini.

Avec le recul, vous êtes fier de ce que vous avez accompli ?
Bien sûr, mais ça serait le bon moment pour qu’il parte. J’ai fait encore un scanner il y a quelques jours, ce n’est pas beau à voir. Je ne pense qu’à le vendre, au mieux. Suivez Matthieu sur_ Twitter_.