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Des fraudeurs du métro nous expliquent comment ils grugent la RATP

Quelques astuces d'experts afin que « voyager soit toujours un plaisir ».

Tout d'abord, sachez que je suis lâche et que je ne souhaite pas me mettre la RATP à dos. Je précise donc d'emblée que si cet article servira à certains pour pomper des astuces et sauter un pas qu'ils estimaient jusqu'ici trop risqué, elle permettra aussi à la RATP de cibler ses failles pour mieux les combler. C'est immédiatement ce que m'a dit Alphonse, fraudeur expert âgé de 28 ans : « Il y a peut-être une vertu à tout ça. Quand les boîtes organisent des "hackathon", elles invitent des gens à hacker leur système pour améliorer leur sécurité. Et moi, je me considère un peu comme un hacker de la RATP. »

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Moi aussi, il m'est arrivé de frauder dans les transports en commun d'Île-de-France. Pas par excitation ou un quelconque goût du risque, mais par nécessité. Un compte en banque en fin de mois qui te dit d'aller te faire foutre et bam – c'est le drame, la pente vers le crime. Un crime qui concerne tout de même 3 % des usagers du métro, et plus de 14 % des personnes qui montent dans un bus ou un tramway de Paris et sa banlieue.

Pourtant, je me suis toujours senti mal à l'aise en sautant les portiques métalliques que franchissent chaque année, légalement, plus d' un milliard d'usagers. Pourquoi ? Parce que l'on risque de se faire serrer, d'avoir honte, et bien sûr, de payer 50 euros d'amende au lieu des 1,90 euro pour un simple ticket. Et puis par exemple, parce que la RATP et le STIF publient régulièrement des campagnes de prévention afin de stigmatiser les voyous qui fraudent et coûtent 500 millions d'euros par an à l'État français. Dans la dernière en date, spécialement laide et exposée en 4 par 3 dans bon nombre de stations, on voit de perfides créatures en train de conseiller – en mal – des usagers innocents, leur soufflant de ne pas payer leur trajet.

Alors, tandis que ladite campagne a depuis été taxée abusivement par une partie de la fachosphère de « racisme anti-Blancs », j'ai eu envie d'aller à la rencontre de ces fraudeurs réguliers qui se font un malin plaisir de voyager gratos au frais du contribuable. Oh qui es-tu, toi, vil resquilleur que je honnis – autant que je jalouse ?

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Alphonse se définit lui-même comme « un pro de la gruge. » Pour lui, frauder n'est pas une question de survie. Il travaille et gagne correctement sa vie, mais a décidé que les transports en commun représenteraient sa petite niche fiscale à lui, sa manière personnelle d'économiser quelques billets. « Mon modèle économique, me dit-il, c'est de me dire qu'une amende tous les ans, c'est financièrement plus intéressant que de prendre un abonnement qui coûte entre 700 et 800 euros. »

Lorsque ses parents ont arrêté de raquer tous les mois quelque 70 euros pour son passe Navigo, Alphonse n'a donc pas pris la relève bien longtemps. La peur du contrôle a vite laissé place à une froide mais réelle constatation : les contrôleurs ne sont pas des flics, et leur pouvoir est donc limité. « Quand t'es gamin, t'associes les contrôleurs à la police – puis tu te rends compte qu'il y a beaucoup de bluff de leur part, et qu'ils n'ont pas de réels moyens de t'emmerder. »

Pour Léa*, 20 ans, la fraude dans le métro est un peu une affaire de famille. « J'ai toujours grugé parce que mon père grugeait, me dit-elle. » L'argent, voilà à quoi se résume pour elle le nerf du problème. Dans la dernière brochure anti-fraude de la RATP, la compagnie se défend pourtant de pratiquer des tarifs prohibitifs, et explique qu'il faut compter « 1,90 euro à Paris contre respectivement 2,10 et 3 euros à Bruxelles et à Londres pour un ticket à l'unité. » Ces comparaisons, Léa s'en fout. Pour elle, les tarifs pratiqués représentent un poids énorme dans son budget. « Je ne vois pas comment on peut sortir 70 balles par mois quand on bouffe déjà des pâtes toute l'année – et je pense qu'on est beaucoup dans ce cas-là. »

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Alexandre* quant à lui, ne fraude qu'en cas d'extrême nécessité. « Pendant trois ans, j'avais un contrat de travail et des salaires qui me permettaient de vivre sereinement et j'ai toujours rechargé mon passe, dit-il. Or, depuis septembre, j'ai entamé une formation et j'ai commencé le mois d'octobre avec 0 euro en poche – 70 euros, ça fait cher quand on est près de ses sous. »

La dernière campagne de la RATP, vandalisée par – possiblement – une personne de gauche.

Pour ce qui est du « pourquoi gruger ? », on a ce qu'il faut. Venons-en maintenant au fait : « comment ? », ce qui est tout aussi intéressant.

La première solution est classique et consiste simplement à expliquer aux contrôleurs qu'on n'est « pas en possession de sa pièce d'identité ». Dans ces cas-là, soit l'agent accepte de nous croire sur parole et là, libre à vous de vous inventer une nouvelle identité pour éviter de recevoir l'amende, soit celui-ci décide de ne pas écouter vos conneries et contacte les forces de police, seules habilitées à réaliser un contrôle d'identité. Or, à en croire les resquilleurs, le deuxième cas n'arrive jamais – ou presque.

« Pour avoir parlé avec certains flics, me confie Alphonse, quand ils reçoivent des appels comme ça, c'est la dernière de leur priorité. Il faudrait qu'il y ait une patrouille n'ayant absolument rien à faire à ce moment-là, qui a envie de descendre dans le métro pour s'emmerder à faire un contrôle d'identité, avec toute la galère que ça implique pour eux. »

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« Ma technique repose sur un postulat simple. Je suis Blanc et bien habillé, donc le racisme culturel qui biaise le regard des agents me fait apparaître au-dessus de tout soupçon. »––Alexandre, fraudeur

Léa, elle, utilise deux qui marchent pas mal. « Quand on a de la chance d'être bon comédien, pleurer ça peut aider. Sinon, la bonne technique c'est d'avoir plein de tickets usagés dans son sac. Tu dis « oh mince, je ne sais plus lequel c'est… » Du coup le contrôleur va en passer un certain nombre mais au bout de 25-30, il abandonne forcément. »

De son côté, Alexandre a une autre astuce, « infaillible » selon lui, bien que peu avouable. « Elle repose sur un postulat très simple, me dit-il. Je suis Blanc et toujours bien habillé, donc le racisme culturel et les a priori sociaux qui biaisent le regard des agents me font apparaître au-dessus de tout soupçon. » Lorsque je lui demande comme il a pris conscience de cela, il m'explique que c'était à la fac quand, un jour, tous ses camarades Maghrébin(e)s ou Noir(e)s sont arrivé(e)s en retard à cause d'un contrôle. « Ils étaient tous en règle, dit-il, mais avaient été contrôlés alors que moi j'étais passé au même endroit sans souci. À partir de là, j'ai remarqué que les agents avaient tendance à d'abord se tourner vers les jeunes usagers noirs ou maghrébins. »

L'idéal poursuit Alexandre, c'est lorsque ces mêmes personnes portent des vêtements de type jeunes, genre une veste de survêt'. À ce moment-là, il part du principe que les agents vont aller directement, consciemment ou non, vers eux. « Deux ans plus tard, alors que je voyageais sans titre de transport, je suis tombé sur un contrôle et j'ai décidé de tenter le tout pour le tout en me mettant à la suite de deux usagers maghrébins plus jeunes que moi. Ça n'a pas raté : une contrôleuse les a stoppés et m'a laissé passer alors que je brandissais mon Passe Navigo, que je n'avais pas rechargé.Dès lors, j'ai systématiquement utilisé la même technique, avec des résultats identiques à chaque fois. »

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Le contrôle de tickets en fonction de la couleur de peau, Alexandre n'est pas le seul à l'avoir remarqué. Tous les autres fraudeurs l'évoquent. Léa confirme : « Je suis une fille et je suis jeune. En plus je suis Blanche – ça aide beaucoup à Paris. Mes potes reubeus ne passent pas à travers les mailles du filet aussi facilement que moi, c'est une réalité. » Le plus drôle dans tout ça, ou le plus triste, c'est que la dernière campagne anti-fraude ne met en scène que des fraudeurs à la peau blanche. C'est ce constat qui n'a pas manqué de faire réagir les apôtres du « racisme anti-Blancs », dont l'inénarrable Gilbert Collard. Or, la réalité des contrôles semblerait, si l'on en croit nos témoins, être en totale contradiction avec le message délivré sur les pancartes.

La dernière technique nous est donnée par Alphonse. Sa « parade en or » tient en trois lettres : VNC. Vous n'aviez jamais entendu ça auparavant et ne comprenez pas de quoi il en retourne ? Il me l'a expliqué : « J'ai testé cette technique après avoir parlé à un pote qui bossait à la RATP. Lorsque des portiques tournent dans le vide, ou bien des automates en panne, on appelle ça une VNC – validation non conforme ou un truc comme ça. C'est une situation dans laquelle un usager ne peut pas composter son ticket. » Du coup, Alphonse a toujours un ticket valide dans son portefeuille. Il ne lui sert jamais. « Ça doit être le même depuis six mois, et quand je vois un contrôleur, je lui dis : "Écoutez, je suis entré à Châtelet, et il y avait une VNC." Là, le mec prend son talkie et appelle la station en question pour vérifier l'existence de la VNC. Le truc, c'est qu'entre Châtelet et Les Halles, t'as 20 entrées de métro, 400 portiques et des tonnes d'automates. Donc, statistiquement, t'en as toujours un qui déconne. La VNC, c'est mon passe Navigo à moi. »

Qu'ils soient fraudeurs réguliers ou non, tous savent pertinemment que leurs actes sont loin d'être louables. « Ce n'est pas une pratique qu'il faut encourager, admet Alphonse. Si tout le monde faisait comme moi, le système se dégraderait. On se plaint souvent qu'il n'y a pas assez de métros, que c'est sale, mal entretenu et je me rends compte que je ne contribue pas à améliorer ça. » Quant à Léa, si celle-ci avoue n'avoir aucun remords par rapport à ça, elle n'en est pas pour autant moins lucide : « Si tout le monde fait comme moi, c'est la merde. Heureusement qu'il y a des gens honnêtes dans ce bas monde ! »

De son côté, Alexandre choisit d'élargir le débat. « Ça me fait bien marrer quand je vois les campagnes anti-fraude, car je considère que nous vivons dans un pays où la fraude est presque encouragée. En tout cas, quand elle vient d'en haut, elle bénéficie d'une complaisance irritante. La réalité, c'est que l'estimation la plus basse du coût de la fraude fiscale était, en 2013, de 60 à 80 milliards pour l'État. Pour la RATP, l'estimation la plus haute montait, en 2015, à 366 millions [ 171 selon le dépliant, N.D.L.R.]. Si l'on veut combattre la fraude, qu'on s'attaque à celle qui coûte de l'argent. »

*Tous les prénoms suivis d'un astérisque ont été modifiés à la demande de nos interlocuteurs.

Aymeric est sur Twitter.