Jörg Brüggemann

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Les damnés de la mer : les réfugiés échoués sur les plages européennes

Entre selfie sticks et maillots de bain, les parias du monde entier essaient de survivre sur le sable.

En août 2015, alors que la crise des réfugiés monopolise l'actualité internationale, le photographe Jörg Brüggemann se rend sur l'île de Kos, en Grèce, afin de documenter la confrontation entre réfugiés syriens, irakiens, afghans et pakistanais d'un côté, et touristes britanniques, suédois et allemands de l'autre.

Le désespoir côtoie le luxe, sans aucun intermédiaire. Tandis que la Grèce fait face à la menace d'un « Grexit » et à la crise des réfugiés, les touristes européens sirotent leur Margarita tout en enjambant les gilets de sauvetage appartenant à des survivants de différentes guerres.

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Jörg Brüggemann nous a expliqué pourquoi le photojournalisme traditionnel nous désensibilise et nous transforme en connards insensibles et cyniques.

VICE : Bonjour Jörg. Vous êtes allé à Kos pour documenter les premières interactions entre réfugiés et touristes. Qu'avez-vous ressenti sur place ?
Jörg Brüggemann : C'était une situation très spéciale. Ils partageaient un si petit espace qu'une interaction a forcément eu lieu. Ils se lançaient des regards et essayaient de comprendre ce que les autres faisaient là.

Les touristes ont-ils été nombreux à aider les réfugiés ?
Certains offraient de l'eau et des jouets aux enfants, mais l'aide provenait surtout des habitants de Kos – gérants d'hôtels et de restaurants, anarchistes et mecs de gauche. Certains touristes ont tout de même été volontaires pour apporter leur aide. Il y a la photo de ce touriste allemand qui fait faire la queue aux réfugiés – il leur fournit de la nourriture, du shampoing, etc.

J'ai essayé de montrer que les réfugiés et les touristes partageaient le même espace et n'étaient pas si différents au final. On peut voir les réfugiés investir l'île de la même façon que les touristes. Ils ont les mêmes envies et les mêmes comportements – on les voit prendre des bains de soleil et passer du temps ensemble en attendant leur enregistrement.

Les jeunes réfugiés se baignent avec un gilet de sauvetage parce qu'ils ne savent pas nager – il en va de même pour les jeunes touristes avec leurs brassards. J'ai même pris en photo des réfugiés faisant des selfies !

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Les photos semblent tout de même témoigner d'un certain manque d'empathie. C'était votre intention ?
Qui est à blâmer pour ce manque d'empathie ? Il y a une grande différence entre s'informer sur la crise des réfugiés à travers les médias de masse et se retrouver confronté à la réalité de la situation.

À Kos, tous les touristes n'ont pas réagi de la même façon. Beaucoup avaient réservé deux semaines de vacances à l'avance après avoir économisé pendant un an. Ces gens-là savaient ce qui se passait à Kos mais espéraient sans doute ne pas y être confrontés.

D'autres ont lu l'actualité et sont venus à Kos pour voir comment c'était vraiment sur place. Certains se sont dit : « Tant qu'à faire, je suis là donc je vais aider. » C'est une métaphore assez précise de la façon dont l'être humain se comporte face à un tel désastre.

Les photojournalistes étaient-ils nombreux sur place ?
En fait, j'ai été surpris. Je me suis levé très tôt pour attendre les bateaux sur la plage ; il y avait déjà huit autres photographes. Nous avons tous photographié le premier bateau qui approchait. Quand le bateau suivant est arrivé, j'ai reculé de 20 mètres pour capturer la scène. Je voulais mettre l'accent sur le rôle des médias dans cette situation. Les photographes m'en voulaient de les inclure – ils sont très conservateurs et pensent que le photojournaliste ne doit pas interférer avec la situation. Mais ils se trompent. La présence des photographes a un impact, c'est évident. Certains réfugiés ont sauté des bateaux et se sont enfuis car ils pensaient que les photographes étaient des policiers.

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La photographie « de crise », qui dévoile la détresse des autres, a de moins en moins d'impact sur le public. Les gens sont exposés à tellement de choses qu'une photo d'une famille qui souffre ou d'un enfant qui meurt ne change rien. Ils cliquent et passent à autre chose parce qu'ils ne s'identifient pas. C'est ce que j'essaie de bouleverser, en prouvant que n'importe qui pourrait être ce touriste sur cette plage de Grèce.

Allez sur le site de Jörg.