La préfecture de Niigata est parfois surnommée « Pays de neige », comme le titre du roman de Yasunari Kawabata. Cette bande de terre s’étend le long de la mer du Japon. Les chutes de neige y sont si abondantes qu’avant l’invention du chasse-neige ou de la fraise à neige, les habitants de la région construisaient la porte d’entrée de chez eux au premier étage de leur maison – la neige servait alors de toboggan pour entrer et sortir. À Niigata, la neige n’a pas fait qu’affecter l’architecture. Elle a aussi influencé la nourriture.
Étant donné les problèmes de déplacements liés à la neige, il a toujours été difficile de se rendre régulièrement au marché ou même d’aller faire ses courses dans les provinces voisines. Cette réalité a forcé les habitants de Niigata à prendre l’habitude de faire des réserves de bouffe pour survivre jusqu’au bout l’hiver. Ils se sont alors mis à enterrer les légumes et d’autres denrées périssables dans des puits de neige, les yukimuro (texto « maisons de neige »). Ils ont également développé certaines techniques de conservation comme l’utilisation du koji (la moisissure du riz), ce qui donne aux plats de la région un goût très particulier, même pour les standards Japonais.
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Conserver ses légumes directement dans la neige est, au départ, une nécessité. Mais cette technique naturelle de réfrigération permet de rendre les légumes plus sucrés et d’enlever une partie de leur goût trop terreux. Cela s’explique par le niveau d’humidité constant sous cette couche de neige ; elle augmente le nombre d’acides aminés. Les fermiers de Niigata produisent aujourd’hui plus qu’il n’en faut pour leur seule subsistance. Ils revendent les surplus dans tout le Japon en tant que fruits et légumes yukinoshita ( « sous la neige ») ce qui leur fournit une source de revenus supplémentaires qui fait toujours du bien lors de cette saison maigre. Dans tout le pays, le seul moyen pour les clients et les restaurateurs d’être sûrs de mettre la main sur ces produits très demandés est de passer commande à l’avance.
Le kanzuri est sans doute le produit « sous la neige » le plus célèbre et le plus difficile à préparer. Il s’agit d’une pâte de piment mélangée à du yuzu kosho (une pâte de yuzu épicée). Le kanzuri est fabriqué par une entreprise familiale baptisée du nom de son produit. Kunaki Tojo appartient à la troisième génération de l’empire Kanzuri. Sa famille a été la première à produire ce condiment pour le mettre à la vente. Avant cela, chaque famille fabriquait son kanzuri pour un usage privé.
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Le kanzuri ne nécessite que quatre ingrédients : les piments Togarashi, du sel, du koji (la levure issue du riz – la même qui est utilisée pour le saké) et des zestes de yuzu (l’agrume japonais). Il faut d’abord faire mariner les piments dans du sel de mer. L’étape d’après consiste à « blanchir » les piments au contact de la neige pendant trois à quatre jours. Cela va retirer le sel, l’amertume et une partie de la capsaïcine des piments. Les graines qui tombent des piments donneront la prochaine récolte.
« Mon grand-père s’est rendu au Mexique pour étudier la culture du piment et quand il est revenu ici, il a conclu qu’il était possible de produire du kanzuri à grande échelle ici, à Myoko », explique Kunaki. « C’est vraiment la même recette que celle qui était utilisée par les ménagères, à plus grande échelle. Il faut au moins trois ans de fermentation. On n’essaye pas d’accélérer les choses. C’est peut-être japonais de penser ça, mais je crois que les bonnes choses réclament de la patience avant d’être dégustées. »
Les piments sont ramassés puis mélangés à du koji et du yuzu dans de grands tonneaux. Là, la température monte et descend au rythme des saisons. Le climat extrême de Niigata, avec ses longs et chauds étés et ses hivers rudes, fait que les tonneaux doivent être surveillés et retournés pour garantir une fermentation et un goût uniformes. Trois à six ans plus tard, on obtient une pâte citronnée, légèrement épicée – un fort umami lié à une chaleur supportable.
« Traditionnellement, on ajoute le kanzuri aux bouillons type ramen ou miso-shiru ou bien on l’utilise comme un condiment pour les yakitoris », explique Kunaki. « Les gens préfèrent ça au wasabi pour assaisonner les sashimis. Ça se marie aussi bien avec les plats occidentaux. C’est parfait pour accompagner les steaks et tous les plats qui réclament un peu d’épices et de goût. »
Les légumes de neige et le kanzuri forment le patrimoine culinaire de Niigata. Ils sont généralement servis seuls ou en accompagnement d’autres spécialités de la région comme du lapin ou le ragoût de sanglier sauvage. Sho Suzuki est restaurateur. À Niigata, il est assez connu pour réinventer la cuisine locale et la remettre aux goûts du jour. En quelques années, il a ouvert plusieurs restaurants locavores, des food trucks et même une épicerie fine à Nagaoka où l’on trouve tout plein de produits de la préfecture.
« La plupart des gens se rendent à Niigata pour le ski. Ils savent que notre saké est réputé pour être le meilleur du monde mais souvent, ils ne se doutent pas que notre cuisine est aussi l’une des plus particulières et des plus fraîches au Japon », note Sho.
De la pizza aux légumes de neige et jako (petites sardines) jusqu’aux rouleaux de printemps au chou de neige et au porc infusé de koji et de gingembre, Sho trouve de nouveaux usages à ces légumes de neige et aux autres ingrédients de la préfecture. Son pari de moderniser les traditions de Niigata pourrait bien attirer jusqu’ici les gens des grandes métropoles japonaises et d’ailleurs. Depuis que la nouvelle ligne ferroviaire Joetsu a été achevée, il suffit de deux heures pour faire le trajet depuis Tokyo, rendant le pays de neige plus accessible que jamais.