Music

Winter Family aimerait qu’on arrête de confondre art et culture


Winter Family, duo Franco-israélien formé par Xavier Klaine (ancien membre des Blockheads, au passage) et Ruth Rosenthal, sort des disques entre neo-folk et weird-wave depuis plus de 10 ans. Ils reviennent aujourd’hui avec un troisième album, South From Here, composé au beau milieu du quartier haïtien de New York. Nourri par ses bruits et son ambiance, les 13 morceaux de ce nouveau disque représentent l’antithèse de toute la pop jetable qui nous pollue depuis plusieurs années. Préférant opposer discours et hargne aux indignations 2.0, le couple met le nez dans la mouise à ceux qui voudront bien les écouter, à coups de beats post-punk et de spoken-words arrachés. On les a rencontré lors de leur dernier concert parisien, dans le cadre du festival Lanceurs d’alertes à la Gaîté Lyrique, et on vous propose en prime d’écouter South From Here en avant-première, juste en dessous, avant sa sortie le 3 février chez Ici, d’Ailleurs.


Noisey : Vous vous exprimez dans des domaines très différents : le théâtre, la vidéo, les textes, qui sont très importants dans le groupe. Je voulais savoir quelle place occupait la musique dans tout ça…
Ruth : Xavier fait la musique et moi les textes. C’est le plus important et ça fonctionne ensemble. Le théâtre et les images ça vient ensuite, mais c’est un pont naturel.

Videos by VICE

Xavier : Tout part de la musique, notre ego il est là, dans la musique qu’on compose. Ca sort d’un coup, je me mets au piano ou à l’orgue et je retouche très peu. Ca reste brut.

Vous avez beaucoup bougé ces dernières années (Israël, USA, France). Ca a même l’air de faire partie de votre processus créatif. Vous pouvez m’en parler ?
Ruth : On bouge beaucoup car on ne trouve jamais d’endroit où l’on veut rester, où l’on se sent bien.

Xavier : C’est la pression sonore et politique qui nous inspire. C’est difficile de faire la même musique en Islande ou à New York. Sauf si tu as un imaginaire personnel très fort mais ce n’est pas mon cas. On est forcément affecté par ce qui nous entoure.

Ce dernier album a un côté très rentre dedans, presque rap…
Ruth : Oui c’est vrai. On a composé le disque à New York qui est une ville très bruyante. On pouvait carrément jouer de la batterie l’après-midi dans notre appartement.

Xavier : On était au sud de Brooklyn dans un quartier qui ressemble beaucoup plus à Haiti qu’à Trump. Et puis dans notre immeuble, il y avait des producteurs de trap qui bossaient toute la nuit et produisaient des basses à un niveau hallucinant. Ca, et les fêtes partout autour de nous, ça nous a marqué.

Xavier, tu as joué dans des groupes hardcore par le passé, tu gardes quelque chose de cette énergie dans Winter Family ?
Xavier : Oui, je pense que mon jeu d’orgue reste influencé par ça. J’ai joué dans Blockheads en effet, avant de me faire virer. On faisait du doom avant que ça s’appelle comme ça. Quand je joue trois notes à l’orgue c’est la même approche que quand je faisais de la basse en disto dans le groupe. Je n’ai aucune volonté d’être précieux même si j’aime beaucoup Satie aussi.

Dans la scène hardcore ou metal, il y a des dogmes très précis. Vous au contraire, vous explosez un peu les formats…
Xavier : J’étudiais le piano classique au conservatoire quand je jouais dans Blockheads, j’ai toujours été écartelé.

Ruth : Pour moi, quoiqu’on fasse, c’est punk. Je suis trop vieille pour être punk [rires] mais je l’ai été.

Xavier : Elle avait une iroquoise bleue [rires]. Moi j’ai plus une culture metal et Ruth plutôt punk.

On s’est rendu compte pour les 40 ans du mouvement qu’il n’y avait pas grand chose à célébrer finalement…
Ruth : C’est une histoire d’âme ou d’état d’esprit surtout.

Ce disque parle de la société israélienne contemporaine, comment en es-tu arrivée à avoir envie de parler de politique, sans pourtant te considérer comme une activiste ?
Ruth : J’ai toujours écrit des textes qui touchent à ma vie donc je parle d’Israel, je parle de ce que je connais. Ce n’est pas forcément une critique, juste un regard.

Xavier : On a fait pas mal d’actions là bas. Il y a des gens qui prennent des risques au quotidien, ce serait les insulter que de nous prétendre activistes. Ce sont tous ces gens qu’on voit dans le clip de « Yallah ». Ceux et celles qui font des vraies actions sur le terrain ne sont pas populaires, ni relayés, mais ce sont des gens incroyables… Comme dans tous les pays fascistes, il y a un underground très soudé en Israël mais ça correspond à une toute petite partie de la population.

J’ai interviewé Red Axes, un groupe de Tel Aviv, et quand je leur demandais leur vision sur la situation politique ou le regard que pouvaient avoir les gens à l’étranger, ils m’ont dit que tout allait bien et ils ont un peu botté en touche…
Xavier : Quand tu ne parles pas de politique et que tu es un groupe israélien c’est clairement que tu cautionnes ce qui se passe. C’est un peu facile de se dédouaner. Tu es obligé de voir ce qui se passe quand tu es sur place.

Ruth : Après c’est dur de vivre avec ça. C’est sûrement plus facile de fermer les yeux, c’est compliqué pour tout le monde.

Vous pouvez me parler du morceau « Gaza » ?
Xavier : On est arrivés en Israël en 2014, au moment du deuxième massacre de Gaza. On entendait les bombes et on savait qu’elles tombaient de l’autre côté.

Ruth : Là, tu es forcément concernée. Quand tu réveilles ta fille de 9 ans pour la mettre à l’abri tu ne peux pas nier la situation…

Vous pensez être des passeurs d’informations ?
Xavier : On est liés à un underground plutôt noise là bas, constitué de Palestiniens, de Russes, de Juifs. Ces gens prennent beaucoup de risques. Ils n’ont rien à voir avec la scène homo ou pop de Tel Aviv. Mais c’est une niche toute petite, ça concerne 100 personnes. Les gens bougent de ville en ville pour suivre la tournée des groupes. Et ça concerne des gosses de 18 ans et des mecs de 60 ans, ce que tu ne vois pas du tout en France.

Ca vous a fait quelque chose la mort d’Alan Vega ? J’ai eu l’impression que les gens étaient obsédés par la mort cette année, avec toute ces célébrités disparues… Comme si on avait besoin d’expier quelque chose…
Xavier : C’est juste cette mode débile du RIP Facebook. Les gosses de 16 ans n’ont pas souffert de la mort de Bowie à mon avis… J’ai jamais écouté Suicide honnêtement.

La situation américaine, ça vous inspire quoi ?
Xavier : On était à New York bien avant Trump. On l’a vécu en direct la réélection d’Obama. Dans notre quartier haïtien, c’était un héros. Il y avait des queues de 5 km pour voter pour lui, des fresques de lui dans l’école de notre fille. Quand j’entends les Français dire qu’il n’a rien fait pour les Noirs Américains ça me fait doucement rigoler car c’était un vrai héros pour les gens là-bas. Trump, on ne l’a pas vu arriver. J’ai l’impression cependant qu’Obama n’a pas pris sa mission au sérieux jusqu’au bout, il est tombé dans la com’ et la caricature. C’est dommage… Au lieu de faire des blagues sur Trump, il aurait mieux fait de taper sur le fond. C’est le même problème en France, l’élite reste aveugle et share son indignation sur Facebook.

Ruth : Et finalement, c’est le Joker qui gagne et qui dirige Gotham City…

Xavier : Ce serait peut-être bien de parler au peuple avant de s’indigner et de dire que les pauvres votent n’importe comment…

En France, les musiciens s’écrasent la plupart du temps, protégés par leur statut, leur intermittence, etc…
Xavier : Oui c’est le problème de la social-démocratie. Le fascisme génère un underground vivace, c’est bien son seul aspect positif d’ailleurs. Dans la société française, la création artistique devient une création culturelle. Moi, je suis intermittent de temps en temps et quand c’est le cas, je deviens un agent de l’état. Il n’y a pas d’underground en France. On est tous endormis. Le truc qui arrive derrière c’est le populisme. C’est difficile de critiquer l’Etat en France, on défend les minorités mais dès que les Basques ou les Corses parlent, on se fout d’eux et on les traite de mafieux ou de débiles. C’est quand même impensable… Libération est capable de faire un article sur les Tibétains et de taper sur les Corses dans le même temps.

Ici on se méfie aussi de la notion de communauté, alors qu’ailleurs dans le monde c’est quelque chose de positif.
Ruth : C’est naturel en plus, de former des communautés.

Xavier : En France, on te dit de vivre ensemble mais ce n’est pas le cas. Mes potes sont Blancs pour la plupart… La réalité est catastrophique.

Ruth : Notre spectacle « No Words » parle de cette hypocrisie multiculturelle française. Ca existe dans les écoles maternelles et après ça disparaît…

Xavier : Dans les théâtres dans lesquels on joue, tu as beau avoir des textes sur le « vivre ensemble », seule la personne qui fait le ménage est noire – et aussi les gens de la sécu.

Vous allez partager quelques dates avec Poni Hoax, une association plutôt étonnante avec un groupe qui s’est un peu vautré dans les excès et les clichés rock’n roll…

Ruth : IIs me font rire… Je trouve ça drôle de jouer avec des gens différents, ça donne une autre lumière à notre musique.

Xavier : Au moins ils prennent des risques. Un mec comme Ker, je ne connais pas trop ce qu’il fait, mais il se met en danger.

Ils échappent aux formats préfabriqués en tous cas. J’hallucine quand je vois les jeunes projets qu’on reçoit, tous si formatés et lisses… #alertevieuxcon
Xavier : C’est une question de mode sûrement. Moi je viens de l’Est et il y a eu toute cette vague de groupes avec une esthétique surjouée de la Peugeot pourrie et du parking d’Auchan. Même si ces groupes sont excellents, hein. Après le rock de Bordeaux, voilà les groupes de l’Est [soupir]. Mais c’est difficile en France de sortir de l’institution. Il n’y a pas d’underground. Tu rentres dans le moule, tu as envie d’avoir tes cachets et tu arrêtes de jouer dans les bars. Ce système endort tout. On ne peut pas y échapper. Putain, j’ai parlé que de politique, encore une fois…


(Photo : Noa Ben Shalom)

Vous pouvez commander South From Here ici ou sur iTunes.