C’est souvent comme ça que ça arrive. Sur la (presque) seule foi de la barre de recommandation et d’algorithmes Youtube toujours plus insistants, on se décide enfin à cliquer sur cette fenêtre qui nous observe du coin de l’œil depuis un moment sur la droite de l’écran. Et ce nom, Peggy Gou, qu’on voit passer depuis une paire d’années et qui sonne comme un croisement incongru entre une chanson de Buddy Holly et un film de Coppola, et sur lequel, faute de temps, on ne s’était jamais arrêté jusqu’ici. Il suffit d’une, maximum deux écoutes, pour que le morceau en question, « It Makes You Forget (Itgehane) », fasse son trou dans la quantité massive d’information-musique avalée tous les jours au kilomètre avec le café – et qui provoque parfois des grands huit intestinaux dont on ne sait, dans notre confusion, s’ils sont dus à la caféine ou à la dose de cheval de musique de merde qu’on s’inflige.
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À peu près tout le monde en atteste, 2018 a bien été l’année de Peggy Gou, si bien qu’on se demande ce qu’elle a pu exactement amener sur la table, ou plus exactement ce qu’on a été y chercher. Si la BBC parle « d’un changement important pour la dance music, inspirant de plus en plus de productrices pour enfin briser le plafond de verre des genres dans une industrie depuis trop longtemps dominée par les hommes », on ne peut qu’acquiescer (parce que bon, personne ne conteste une vérité aussi évidente), tout en se disant que c’est un argument de force vente qui reste bien maigrelet quand on est artiste. On pense même que ce genre d’argument la dessert plus qu’autre chose, et que ça va pas faire gagner la musique tout ça. Mais passons.C’est un peu pour toutes ces raisons que je me suis rendu ce week-end au Pitchfork Music Festival à Paris, alors que je savais pertinemment que la durée de son set n'excèderait pas la petite heure. Secrètement, j’espérais voir si, comme à Dekmantel, les gens allaient retirer leurs chaussures et les lui agiter sous le nez, ou crier son nom plus que de raison comme cela semble être le cas partout où elle passe - rien de tout ça ne s’est vraiment passé, mais certains coquins sont montés sur les épaules de leur voisin, c’est déjà ça de pris. Mais également pour vérifier sur pièce si, comme certains de nos confrères l’ont écrit, la jeune femme a beau « tout avoir de la bulle spéculative », ça ne l’empêche pas de toucher sa bille derrière une CDJ. Et il faut dire que coincée dans la Grande Halle de la Villette entre Bon Iver et Daniel Avery, la jeune femme a fait ce qu’elle a pu pour réveiller un public d’ordinaire disons plutôt lambin, mais qui ici se la donnait plus que de coutume. Grâce, on l’imagine sans doute en partie, à une DJ elle-même sautillante et à des plantes vertes façon cocotier en plastique sur la scène.À vrai dire, l’autoroute house et techno assez classique et attendue, sans être trop bon élève ni ronflante, n’a surpris personne tout en faisant son chemin et « le taf », grâce à un savant dosage, toujours efficace mais sans réel génie, des inusables Masters at Work, Haruomi Hosono, et avec ce qu’il faut d’acid discoïde de bon aloi (et d’une louche d’I:Cube pour les Français) pour réveiller vos petits culs rigides. On ne s’étonnera absolument pas non plus que Maurice Fulton, sommité house en partie responsable du « Gypsy Woman » de Crystal Waters (soit l’un des premiers vrais morceaux house mainstream à avoir claqué la bise aux charts dans les années 90), soit l’une des influences majeures de Peggy Gou, cette dernière répétant à qui veut l’entendre qu'elle le placerait dans tous ses sets si elle le pouvait.Rarement cette année aura-t-on entendu une musique à équidistance quasi-parfaite entre une visée purement commerciale et celle, tout aussi impérieuse, de faire autorité. C'est un peu le paradoxe de Peggy Gou : it girl devenue DJ star à la force du poignet, la tentation de lui tomber dessus était sans doute aussi grande que la netteté des morceaux qu'elle a à nous offrir. En l'observant s'affairer en live derrières ses machines (mais surtout en écoutant ses derniers maxis), on se rappelle alors que la house music n'a sans doute été, depuis toujours, qu'affaire d'équilibre. Un équilibre ténu entre une très grande accessibilité (soit historiquement la musique qu'on joue à la maison pour faire danser tout le monde), des codes formels rigoureux, et une certaine forme d'idiosyncrasie, celle qui fait ressortir la machine au-dessus du lot et qui donne envie d'y revenir. Dans ces cas-là, on oublie que l'évidence de cette musique et sa fausse facilité ne cachent en fait qu'une extrême précision.Marc-Aurèle Baly est à peine sur Twitter.Noisey est sur Facebook et Twitter.