FYI.

This story is over 5 years old.

police

« Les violences policières tuent une personne par mois »

Un chiffre terrifiant balancé par Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, dans une interview accordée à Vice.
Des policiers chargent des manifestants lors d'un rassemblement contre la loi Travail à Paris, le 15 septembre 2016. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Infatigable pourfendeur des violences policières, Hamé, membre du groupe de rap La Rumeur, a longtemps prêché dans le désert. Mais l'affaire Adama Traoré, celle de Théo et les coups de matraque qui se sont abattus sur les étudiants manifestant contre la loi Travail, ont fait basculer l'opinion. Nul ne peut, aujourd'hui, faire comme s'il n'y avait pas de problème entre la Police française et sa jeunesse. Mais dans les faits, rien n'a changé : les agressions n'ont pas diminué et les forces de l'ordre sont toujours aussi peu condamnées par la justice. Alors qu'une expertise judiciaire vient de dédouaner les policiers dans le drame qu'a subi Théo et que le tout premier procès collectif contre le harcèlement policier vient de se terminer, Hamé reprend la parole pour Vice.

Publicité

Vice : Lors de ce premier procès collectif contre le harcèlement policier, on a appris que la Police utilisait, dans ses rapports officiels, l’expression des « personnes indésirables » pour désigner les jeunes qui n’ont pas commis d’autre crime que celui d’être dans la rue. Cela vous a-t-il surpris ?
Hamé : Pas franchement, non… Avait-on encore besoin d’une preuve de l’état d’esprit de la Police française ? Depuis l’enquête du CEVIPOF parue l’année dernière, on sait qu’un policier sur deux a voté Front National aux élections présidentielles de 2017. Donc, non, cela ne me surprend pas du tout : pour eux, nous ne valons pas mieux que des rats. Et très honnêtement, qu’ils tiennent ce genre de propos n’est pas, à mon sens, le plus grave.

Qu’est-ce qui est le plus grave, alors ?
L’impunité dont jouit la Police dans ce pays. Nous vivons dans état de droit et pourtant, quand on est victime d’une agression par la Police, on est traité comme un potentiel coupable : il y a une très forte probabilité pour que la loi ne nous protège pas, pire qu’elle se retourne contre nous. Dans la grande majorité des procès intentés contre la Police, la justice a prononcé un « non-lieu ». Le mot est fort : cela signifie qu’il n’y a pas lieu de juger ! Pourtant, la seule chose que les victimes de violences policières demandent, c’est que l’état juge les faits et applique la loi. Qu’elle les traite comme des « parties civiles », des victimes que l’état défend au nom de la société. Rien de plus.

Publicité

Disposez-vous de chiffres précis sur le nombre de victimes ?
Les violences policières tuent une personne par mois. En 2018, il y a déjà eu trois décès. En décembre, à Lille, deux jeunes ont fui la Police et sont morts, percutés par un train. Et je ne parle pas d’une opération de police contre des braqueurs ou délinquants, qui auraient mal tourné - mais de violences policières exercées à l’occasion de simples contrôles, contres des gens qui n’étaient pas armés.

D’où tenez-vous ces chiffres ?
C’est bien là le problème. Le compte n’est fait par personne. Donc, les chiffres que j’avance sont ceux que je connais, ceux qui ont fait du bruit. Ce qui laisse supposer que d’autres exactions demeurent inconnues, puisque la police ne juge pas utile de tenir le compte des personnes blessées ou tuées dans le cadre de son action.

Le phénomène est-il en augmentation ?
Il a toujours existé : dans les années 80, quand j’étais gamin, j’ai subi ce qu’on appelle aujourd’hui le harcèlement policier. Mais il a explosé il y a quinzaine d’années. Depuis que les politiques ont donné aux policiers ce sentiment d’impunité. Quand un ministre de l’Intérieur dit à la Police « on vous couvre », cela a des conséquences sur le terrain. Et la question dépasse largement le clivage « droite/gauche ». Que le ministre de l’Intérieur soit de droite, comme Nicolas Sarkozy, ou de gauche, comme Jean-Pierre Chevènement, les chiffres sont les mêmes. Ce n’est donc pas une question idéologique ou partisane, mais une question de courage politique. De 1984 à 1986, sous Pierre Joxe, on a constaté un net recul de ce type de violences sur le terrain. A une période où, précisément, la jeunesse des quartiers populaires était descendue en masse dans les rues de France et avait tenté de faire de ces questions une priorité nationale.

L’année dernière, la mort d’Adama Traoré et l’interpellation violente de Théo ont largement été médiatisées. Est-ce à vos yeux une bonne chose ?
Bien sûr. Face à l’inertie de la justice, la médiatisation est la seule arme efficace dont dispose les victimes. Il faut que cette brutalité soit exposée en pleine lumière. Les images sont un levier de mobilisation. Quand une vidéo tournée avec un portable révèle la violence d’une interpellation, par exemple, cela peut faire basculer l’opinion publique. Tant que les morts restent dans le silence, elles demeurent ignorées, il est facile de faire semblant de ne pas voir. Face aux images, c’est devenu impossible.

Les manifestations contre la loi Travail ont elles aussi été le théâtre de violences policières. Est-ce que cela a contribué à sensibiliser l’opinion publique sur cette question ?Effectivement, vous avez goûté à ce qu’on nous met dans la gueule depuis des décennies. C’est ce que j’appelle la « quartierisation » de la France. Concrètement, les quartiers populaires servent de laboratoires au reste du pays : on y teste tout un tas de pratiques qui, ensuite, sont appliquées ailleurs. C’est valable pour les dispositifs sécuritaires, mais je pense aussi à tous ces contrats poubelles - les T.UC, les C.I.P autres C.P.E – qui ont d’abord été testés dans les quartiers. Ca n’énerve personne tant que ça touche ces populations-là… Pourtant, si on avait permis aux plus fragiles de se défendre, tout le monde y aurait gagné. Par exemple, si on avait lutté contre les violences policières en banlieue qui s’exercent depuis quarante ans, les étudiants ne se seraient sans doute pas fait ouvrir le crâne à coups de matraque lors des manifestations contre la loi Travail.