Meryl Meisler : son coming-out à coups d'autoportraits provocs
Photos : Meryl Meisler

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Culture

Meryl Meisler : son coming-out à coups d'autoportraits provocs

Avant de documenter les nuits new-yorkaises, la photographe Meryl Meisler explorait le genre et la sexualité dans le pavillon de ses parents, à Long Island. Entretien.

Meryl Meisler a grandi à Long Island durant les années 1950 et 1960. Elle menait une vie banale dans une banlieue typique des États-Unis : scoutisme, cours de ballet, cours de claquettes, bal de promo. Elle avait beau aimer sa famille et ses amis, elle ne s’était jamais vraiment intégrée à son milieu. Très vite, elle a comprit qu’elle ne pourrait jamais se contenter d’être femme au foyer, enseignante, infirmière ou secrétaire – les seuls plans de carrières à la portée des jeunes filles de l'époque.

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Une fois majeure, Meryl Meisler commence à découvrir sa sexualité en tant que lesbienne ainsi que son identité en tant qu'artiste. « La photographie est dans mes gènes », déclare la photographe. En effet, son grand-père paternel, Murray Meisler, son oncle Al et son père Jack ont tous vécu de leur art.

Meryl Meisler obtient son premier appareil photo à l’âge de 6 ans, mais ce n'est que dans les années 1970, pendant ses études, qu'elle se lance vraiment. Pendant ses vacances scolaires, elle retourne dans sa maison d'enfance pour y prendre une série d'autoportraits retraçant son passé, son présent et son avenir. À ce moment-là, Meryl Meisler n'avait pas encore entendu parler de Cindy Sherman – mais elles avaient toutes deux le même instinct. Elle a cherché à examiner la construction du genre féminin, de ses rituels à ses poses, en passant par ses identités.

Une sélection de ces photographies a été publiée dans Purgatory & Paradise : SASSY 70's Suburbia & The City, d'autres photos sont parues plus récemment puisque Meisler prépare son prochain livre. Elle s’est entretenue avec nous au sujet de cette période charnière de sa vie.

Autoportrait, The Girl Scout Oath, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

VICE : Bonjour, Meryl. Pouvez-vous nous parler de votre vie à Long Island pendant les années 1950 et 1960 ?
Meryl Meisler : Je viens de Massapequa. On l'appelait la « Pizza Matzo » parce qu'il y avait beaucoup de familles juives et italiennes. Il y avait des Irlandais, des Allemands, des Grecs, des Chinois et des Cubains. C'était, et c'est toujours, une ville très isolée.

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À l’époque, tout le monde était américain de première et deuxième générations. La plupart des parents venaient du Bronx, de Brooklyn et du Queens et avaient acheté leur maison grâce aux aides de l’Etat pour moins de 15 000 dollars. Tout ne faisait que commencer. Les terres agricoles devenaient des lotissements.

Mes parents, Sunny et Jack Meisler, ont savouré la vie en banlieue, ils se sont assurés que mes frères et moi ne manquions de rien car ils ont tous les deux grandi dans la pauvreté. J'ai pris des leçons de piano, des cours de ballet, de claquettes ; j’ai été majorette – j’ai fait tout sauf de l'art ! J'ai fait beaucoup de scoutisme aussi – jusqu'à mes 13/14 ans.

C'était très provincial. J'ai eu de la chance car mes parents nous emmenaient en ville. Mon père avait une imprimerie et ma mère aimait le théâtre. Nous allions souvent voir des spectacles à Broadway. Je pense que ça se reflète dans mon travail, c'est très théâtral.

Autoportrait, The Ballerina, North Massapequa, New York, juin 1975 © Meryl Meisler

À quel moment vous êtes-vous rendue compte que vous n'étiez pas faite pour la vie en banlieue ?
Si vous voulez parler du fait que je suis lesbienne, alors oui, je savais que j’étais différente. Mais j'ai aussi eu des petits amis, je suis allée au bal de promo, j’ai fait une grande fête pour mes 16 ans – j’ai aimé faire tout cela. Je savais que j'étais différente – mais je ne savais pas encore en quoi.

Mes frères et moi avons été la première génération de ma famille à avoir le luxe d'aller à l'université. J’ai été admise dans l'État de Buffalo. Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Le premier jour, nous avons passé une série de tests et on m’a dit que je pouvais soit devenir enseignante, soit étudier les arts. Un professeur m'a demandé si je voulais passer en majeure d’art et j'ai littéralement senti mon cœur battre.

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J'ai appelé mes parents et leur ai dit que je voulais étudier l'art. Ils ont dit oui – à condition que j'obtienne un diplôme d'enseignement pour pouvoir gagner ma vie. J’ai adoré et j’ai eu mon diplôme en étant majeure de ma promo.

Il s'avère que Cindy Sherman aussi a étudié dans l'État de Buffalo. Elle était en majeure d’art un an ou deux après moi. Elle venait aussi de Long Island, c’est une drôle de coïncidence. Mais je n'ai jamais pris de cours de photographie là-bas.

Autoportrait, Smoking Dishwasher, North Massapequa, New York, 1973 © Meryl Meisler

Comment vous êtes-vous lancée dans la photographie ?
La photographie a toujours fait partie de ma vie. Chaque fois que je voyais mon grand-père paternel, il avait un appareil photo et un photomètre sur lui. Mon père avait un œil de lynx et faisait des photos avec un Rolleicord. Il m’a beaucoup influencée. Il photographiait ses amis et sa famille lors des grandes occasions.

Lors de ma dernière année de fac, mon petit ami a rompu avec moi. Soi-disant parce que je n'étais pas une vraie artiste. Alors je suis allée au Musée des Arts Modernes et j'ai vu le spectacle de Diane Arbus. Pendant mes études supérieures, j'ai décidé de suivre un cours de photographie pour apprendre à utiliser un vrai appareil photo. J'ai acheté un Minolta SRT-101.

Puis j'ai commencé à me photographier et à photographier mes amis. En ce moment, je suis en train de parcourir mes premières pellicules 35 mm pour mon prochain livre. J'ai retrouvé une photo sur laquelle je fume une cigarette devant un lave-vaisselle. Cette photographie m'a surprise. Je ne l'ai jamais imprimée. Je ne portais rien d'autre que la robe de chambre de ma mère et, bien que je ne fumais pas, j’ai pris une de ces cigarettes. Je me demandais : « Suis-je une future femme au foyer ? » C'était un moment très intime.

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Autoportrait, Shaving, North Massapequa, New York, 1973 © Meryl Meisler

Comment ces autoportraits vous ont-ils permis d'explorer cette période charnière de votre vie ?
Je voulais photographier la vie que je connaissais, que je voyais et vivais depuis de nombreuses années. Je rentrais de l'école et fouillais les placards et les greniers. Les photos parlent de ce moment entre l'enfance et l'âge adulte, ce moment où je me suis demandée : « Qui suis-je ? Qu'est-ce que je veux être ? » Je remettais en question mon avenir dans cette banlieue. Je ne voyais pas comment je pouvais m’y intégrer.

Avec le recul, ces photos montrent-elle quelque chose dont vous n'étiez pas consciente à l’époque ?
C’était extrêmement courageux – j'ai même osé les imprimer. Cela m'a surpris de voir à quel point j'étais déterminée.

Untitled Film Still, North Massapequa, New York, Thanksgiving 1976 © Meryl Meisler

En parlant d'audace, pourriez-vous nous parler de la photo de Lynda Benglis et la façon dont elle vous a inspirée pour certains de vos autoportraits plus radicaux ?
Il y avait une affiche pour une exposition de Lynda Benglis suspendue dans le couloir du département d'art de l'Université du Wisconsin. Elle était là, debout, nue, avec un énorme gode ! Je ne savais pas d'où m’était venue l'inspiration pour cette photo jusqu'à ce qu’on en parle. Mon appareil photo, c’était mon pouvoir. Quand Steven Kasher envisageait de donner un spectacle en mon honneur en 2016, il a fouillé dans mes photos – et il a choisi celle-là ! Je me suis dit qu'il fallait que je lui donne un titre, alors je l'ai appelé « Untitled Film Still » en référence à Cindy Sherman.

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Autoportrait, My Childhood Bedroom Mirror, North Massapequa, New York, février 1976 © Meryl Meisler

Autoportrait, Girl Scout Applying Lipstick, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

Autoportrait, A Falling Star, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

Autoportrait, Dancing with my Brother Mitch, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

Autoportrait, Playmate Hostess, New York, décembre 1978 © Meryl Meisler

Autoportrait, Tap Dancing with Mom, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

Autoportrait, Whopping it up with Leslie After Chauffeuring Mitch to the Prom, Huntington, New York, juin 1976 © Meryl Meisler

Autoportrait, Dining Room Table, North Massapequa, New York, janvier 1975 © Meryl Meisler

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