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Mistral : Qu’est-ce que l’Égypte a acheté à la France ?

Les deux bâtiments de projection et de commandement (BPC), initialement vendus à la Russie auraient été vendus pour 950 millions d’euros au Caire, devenu en un an l’un des principaux clients de l’industrie de défense française.
Un hélicoptère décollant d'un Mistral. Image via Marine Nationale

Deux Mistral construits en France et qui devaient à la base être vendus à la Russie vont être finalement rachetés par l'Égypte, a annoncé ce mercredi en fin de journée le président français François Hollande. Après la vente de 24 avions rafales en février dernier, le Caire est devenu en un an l'un des principaux clients de l'industrie de défense française. Cette vente permet aussi à la France de limiter les dégâts de l'annulation de la livraison des Mistral à la Russie, sur fond de sanctions liées à la crise en Ukraine.

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« J'ai arrêté avec le Président Sissi les modalités et le prix de la vente de ces Mistral, et la France assurera la livraison de ces bateaux sans rien perdre, tout en faisant en sorte de protéger l'Égypte, » a déclaré le Président français ce mercredi.

La livraison des Mistral serait prévue pour mars 2016, rapportent les médias français, et ils auraient été vendus pour 950 millions d'euros à l'Égypte — soit le prix que la France devait rembourser à la Russie, après avoir refusé de lui céder les navires à cause de la situation en Ukraine. Une situation qui a mené à deux nombreux rebondissements depuis un an dans un feuilleton économique et diplomatique qui semblait sans fin.

À lire : La France et la Russie se mettent enfin d'accord sur les navires de guerre Mistral

Les Mistral sont des bâtiments de projection et de commandement (BPC). Tous les deux sont longs de près de 200 mètres. « Ce sont des bases militaires flottantes, » nous explique ce jeudi après-midi le Général Jean-Claude Allard, directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur de nombreuses études internes au ministère de la Défense.

« On peut y loger plusieurs centaines de soldats, plusieurs hélicoptères peuvent décoller simultanément du pont, ils contiennent des hangars d'entreposage pour transporter des chars ou des camions par exemple, et en dessous une grande cuve peut laisser entrer des bateaux plus petits, » détaille Jean-Claude Allard. « C'est la partie projection, qui permet de transporter ses troupes loin du territoire national pour aller faire la guerre. »

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Vue en coupe du Mistral. Image via Ministère de la Défense.

On trouve également tout le matériel pour assurer le contact avec les troupes à terre et l'État-major, un hôpital avec bloc opératoire. La France possède trois Mistral de ce type.

De 1,2 milliard à 950 millions d'euros

Le contrat passé avec la Russie en 2011 pour deux de ces Mistral, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, était évalué à 1,2 milliard d'euros. Mais en novembre 2014, dans un communiqué, François Hollande indiquait : « La situation actuelle dans l'est de l'Ukraine ne permet toujours pas la livraison du premier BPC. » La Russie étant soupçonnée de soutenir les séparatistes qui se battent dans l'Est de l'Ukraine.

La livraison des Mistral, jusqu'alors baptisés Vladivostok et Sevastopol, avait ainsi été suspendue « jusqu'à nouvel ordre », et le 5 août 2015, le contrat avec la Russie était officiellement annulé. La France avait alors remboursé les frais déjà engagés par la Russie, soit 950 millions d'euros, et s'était retrouvée avec les deux bateaux sur les bras.

Mais dès le lendemain de l'annulation du contrat avec la Russie, le président François Hollande se rendait en Égypte pour l'inauguration de l'élargissement du Canal de Suez. Le Président égyptien Abdel Fattah el-Sissi aurait alors confirmé à François Hollande son intention d'acheter les deux Mistral, comme l'a expliqué lui-même le président français à des journalistes le 23 septembre, après l'annonce de la vente.

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À lire : L'Égypte a inauguré le nouveau tronçon « pharaonique » du canal de Suez

L'Égypte avait-elle besoin de Mistral ?

La péninsule égyptienne du Sinaï, à la frontière avec Israël, est en proie à des troubles alors que courant 2014, le groupe djihadiste Ansar Beit al-Maqdis, qui opère principalement dans cette région, a fait allégeance à l'organisation État islamique.

« L'Égypte a dit que son objectif était de positionner un bâtiment sur la Méditerranée, et un autre sur la mer Rouge, » nous explique le général Allard. « Mais je ne vois pas très bien en quoi l'Égypte a besoin de ces bâtiments dans l'immédiat. Ils disent qu'ils veulent sécuriser le Canal de Suez, alors qu'ils pourraient tout aussi bien y accéder par la route ou avec des bateaux légers qui arriveraient plus rapidement sur le lieu d'une attaque. »

Pour le général Allard, « stratégiquement parlant, [cet achat] a du sens pour jouer un rôle de puissance régionale au proche Orient, ce que l'Égypte fait déjà avec l'Arabie Saoudite au Yémen. » L'Égypte est engagée aux côtés de l'Arabie Saoudite dans l'offensive contre la progression des rebelles chiites Houtis au Yémen depuis mars 2015.

« [Le président égyptien] Sissi est un militaire, qui avait des postes très importants au sein de l'armée, » rappelle Allard. « Il est peut-être en train de préparer la réalisation d'une vision de l'Égypte longuement méditée. »

Un hélicoptère décollant d'un Mistral. Image via Marine Nationale.

L'Égypte, un gros client pour la France

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En février dernier, un contrat pour la vente de 24 avions de type Rafale avait déjà été signé au Caire, pour un montant évalué à 5,2 milliards d'euros.

« Les États-Unis tentent de prendre leurs distances avec l'Égypte et l'Arabie Saoudite, » indique Jean-Claude Allard. « Ces pays le sentent et cherchent d'autres fournisseurs. La France, qui n'est pas en très bonne santé économique, cherche, elle, à placer ses produits. »

Selon le journal spécialisé Mer et marine, l'Égypte aurait conclu en un an pour l'équivalent de 7 milliards d'euros de commandes avec la France.

À lire : L'Égypte veut acheter des armes à la France, vite, et pas cher si possible

L'acheteur idéal ?

À la question de savoir si l'Égypte était l'acheteur idéal, le président français a répondu : « C'est l'acheteur que j'avais considéré comme celui qui devait être préféré, parce que nous avons une coopération militaire avec l'Egypte (…) que l'Egypte joue un rôle important au Moyen-Orient, que l'Egypte veut aller vers une transition sur le plan démocratique et que nous devons appuyer ces efforts. »

En août 2015, une tribune parue dans Libération à l'occasion de la vente des rafales à l'Égypte, signée par Karim Lahidji, le Président de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme, déplorait cette coopération militaire franco-égyptienne, estimant que cet armement au nom de l'antiterrorisme allait menacer au final la population civile. Depuis plusieurs jours, l'Égypte est également au coeur d'un scandale diplomatique avec le Mexique après que des hélicoptères de son armée ont fait feu sur des touristes mexicains, tuant 12 personnes.

À lire : L'Égypte écrit au Mexique après avoir tué ses touristes : « Nous sommes tous dans le même bateau »

Suivez Lucie Aubourg sur Twitter : @LucieAbrg

Un hélicoptère décollant d'un Mistral. Image via Marine Nationale