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FRANCE

Un appel à ne plus porter la kippa dans Marseille divise la communauté juive en France

Suite à l’agression à l’arme blanche ce lundi d’un enseignant juif à Marseille par un adolescent se revendiquant de l’EI, un responsable religieux déconseille le port de la kippa dans la rue. Une prise de position qui divise la communauté juive...
?Photo via Flickr / Amanjeev.

Suite à l'agression à l'arme blanche ce lundi d'un enseignant juif à Marseille par un adolescent se revendiquant de l'organisation terroriste État islamique, un responsable religieux déconseille le port de la kippa dans la rue. Une prise de position qui divise la communauté juive française.

« Je conseille à la communauté juive de Marseille, provisoirement bien sûr, de ne pas porter la kippa […] pour préserver les vies humaines », a déclaré Zvi Ammar ce mardi soir à la chaîne d'information i-Télé.

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Actuellement président du Consistoire israélite de cette ville du sud de la France —un conseil mixte qui représente et administre officiellement le culte israélite dans la région— Zvi Ammar a justifié sa décision en évoquant « une situation exceptionnelle » qui fait donc suite à l'agression à la machette d'un enseignant juif de 35 ans, Benjamin Amsellem, ce lundi, à Marseille.

Ce mercredi, le parquet antiterroriste de Paris a ouvert une information judiciaire contre l'agresseur, un adolescent qui aura 16 ans dans quelques jours. Le parquet a requis son placement en détention provisoire.

À lire : Enseignant juif attaqué à Marseille : la section antiterroriste en charge de l'enquête

Depuis hier soir, la déclaration fait l'objet de réactions opposées au sein de la communauté juive française.

« Il s'agit en fait du retour d'un débat assez ancien autour du port de la kippa », explique ce mercredi à VICE News Samuel Ghiles-Meilhac, sociologue professeur à l'Université Paris VIII et à Sciences Po. Joint par téléphone, ce spécialiste des communautés juives en France évoque les « stratégies de dissimulation de la kippa » déjà adoptées dans la rue par de nombreux juifs religieux, « qui utilisent des capuches ou des casquettes », nous explique-t-il.

Benjamin Amsellem était coiffé de ce couvre-chef traditionnel — que de nombreux juifs pratiquants portent en signe de rappel de la présence divine — et se rendait à l'Institut franco-hébraïque La Source (sud de Marseille) lorsqu'il a été pris en chasse et frappé par son agresseur qui l'a touché aux avant-bras et dans le dos, avant de prendre la fuite. Il sera arrêté quelques minutes plus tard. D'après les premiers éléments de l'enquête, Amsellem aurait repoussé son assaillant à l'aide d'une Torah (livre sacré des juifs) et grâce à un passant qui se serait interposé.

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Le principal suspect de cette agression est un Turc d'origine kurde scolarisé en France, désigné dans le journal La Provence par le prénom « Yusuf ». Il a été appréhendé par les forces de l'ordre peu après les faits, avant d'être placé en garde à vue prolongée puis transféré au Palais de justice de Paris ce mercredi. Lors de sa garde à vue, il aurait notamment revendiqué son allégeance au groupe État Islamique.

« Marseille abrite la deuxième communauté juive de France, » nous indique Ghiles-Meilhac, qui estime que 60 000 à 80 000 juifs résident dans la cité phocéenne. « Il y a ce qu'on peut appeler une ville juive, avec des écoles, des commerces, des centres culturels », détaille-t-il, « tout cela avait été en partie épargné ces dernières années ».

D'après Ghiles-Meilhac, l'abandon temporaire de la kippa pourrait notamment concerner les enfants se rendant dans des écoles juives de Marseille. « Mais je vois mal les rabbins ne plus porter de chapeaux, » ajoute le sociologue, « et surtout, à quel moment va-t-on décider que les choses vont mieux et que cette interdiction doit être levée ? » se demande-t-il.

La communauté juive partagée sur la question

Si beaucoup de représentants civils et religieux de la communauté juive de France ont rapidement réagi aux propos de Zvi Ammar, tous n'ont pas formellement rejeté cette invitation à s'abstenir de porter la kippa dans la rue.

Du côté des opposants à cet appel — ils sont une majorité — le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) a publié ce mardi un communiqué dénonçant une attitude « défaitiste » et « un renoncement qui donnerait une victoire aux djihadistes ». Pour Robert Cukierman, qui préside ce conseil très impliqué dans la vie politique et associative française, « il faut résister et se battre ».

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Contacté par téléphone ce mercredi matin, le CRIF a indiqué à VICE News « rester sur ses déclarations » de la veille, tout en précisant « qu'aucune réunion n'est pour l'instant prévue » avec Zvi Ammar ou le Consistoire de Marseille.

Au micro de la radio France Info , le grand rabbin de France Haïm Korsia a quant à lui qualifié cet appel de « malsain » en déclarant que le port de la kippa est « un choix personnel qui ne doit pas être dicté par la peur ». Korsia, qui est la plus haute personnalité religieuse de la communauté juive française, a par ailleurs invité les supporters de l'Olympique de Marseille à « manifester lors du prochain match […] en mettant une casquette, un chapeau, une kippa, n'importe quoi sur la tête ».

D'autres représentants de la communauté juive ont adopté une position moins tranchée vis-à-vis des propos de Zvi Ammar, à l'image de la responsable régionale du CRIF en Provence, Michèle Teboul, qui a déclaré à titre personnel ne pas rejeter totalement cet appel « si c'est pour assurer la sécurité des juifs », d'après des propos rapportés par le journal Le Monde.

Un suspect au profil « inquiétant »

Les derniers éléments de l'enquête concernant l'attaque de lundi vont dans le sens de l'hypothèse d'un acte « prémédité » et de nature « antisémite » — comme l'avait déclaré ce lundi Brice Robin, le procureur de la République de Marseille.

D'après des informations révélées par le journal local La Provence, le jeune Yusuf — qui aura 16 ans la semaine prochaine — aurait déclaré aux enquêteurs qu'il avait honte de « ne pas avoir eu la force » de tuer l'enseignant mais qu'il ne regrettait rien et était « fier ». Lors de son arrestation, le lycéen portait sur lui un second couteau avec lequel il comptait attaquer des policiers.

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Décrit comme un bon élève par son entourage, Yusuf représenterait un profil « inquiétant » aux yeux des enquêteurs qui suspectent une radicalisation via des sites Internet de propagande djihadiste. « Je ne représente pas Daesh, ce sont eux qui me représentent, » aurait-il lancé aux policiers durant sa garde à vue, toujours selon La Provence.

Dans la législation française, les actes de terrorismes sont punis bien plus sévèrement que les infractions de droit commun. La loi française prévoit toutefois des peines deux fois moins lourdes pour les mineurs — sauf pour ceux âgés de plus de 16 ans et seulement en cas de circonstances exceptionnelles. Dans cette affaire, Yusuf pourrait risquer jusqu'à cinq ans de prison pour tentative de meurtre en relation avec une entreprise terroriste, si le motif terroriste est retenu.

Pour l'heure, la classe politique française s'est abstenue de prendre position concernant cet appel à abandonner la kippa temporairement. « C'est à elle [NDLR, la communauté juive] de prendre ses dispositions », a déclaré Jean-Claude Gaudin, sénateur et maire de Marseille. Pour sa part, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, a évoqué sur i>Télé le devoir du gouvernement de protéger tous les Français, notamment face à un antisémitisme qui prend de nouvelles formes.

De nombreuses attaques ont visé des personnes de confession juive en France depuis les tueries perpétrées par le terroriste Mohammed Merah à Toulouse et à Montauban en mars 2012, comme la prise d'otages au magasin Hyper Cacher en janvier 2015 (qui a fait 4 morts) ou l'attaque au couteau d'un autre enseignant juif, blessé là aussi Marseille, en novembre dernier.

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Suite aux attentats de Charlie Hebdo et de la prise d'otage à l'Hyper Cacher, le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou avait invité les juifs d'Europe à effectuer « l'Aliyah », c'est-à-dire émigrer en Israël. Près de 8 000 Français de confession juive auraient rejoint Israël en 2015 d'après des chiffres repris sur le site internet du CRIF.

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