À bord de l’Aquarius, le bateau qui porte secours aux migrants
Photos : Yann Lévy  

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À bord de l’Aquarius, le bateau qui porte secours aux migrants

Le « navire hôpital » de l’association SOS Méditerrané va finalement pouvoir accoster en Espagne avec 600 personnes à son bord. Le photographe Yann Lévy y a passé trois semaines. Retour en images.

Ancien travailleur social, Yann Lévy est photographe et réalisateur de documentaires. Ses travaux, toujours engagés, racontent les cultures urbaines, les résistances sociales et les rapports de force en France, en Irlande du Nord, en Israël et en Palestine. En mars dernier, il a embarqué à bord de l’Aquarius, le navire de l’association SOS Méditerranée qui porte secours aux migrants partis de Libye pour rejoindre l’Europe. Il raconte.

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Aujourd’hui, il me semble inconcevable de ne pas tendre la main aux personnes les plus fragiles. Or, qui est plus fragile qu’un exilé que les passeurs libyens mettent à l’eau avec une kalachnikov dans le dos ? Je ne suis ni infirmier, ni marin, mais photographe. J’ai donc proposé mes services à SOS Méditerranée, qui a l’habitude d’embarquer un photographe sur l’Aquarius, le navire-hôpital de l’association. Une partie de mon travail photo, et plus particulièrement à travers la revue États d’urgence, consiste à mettre en avant les personnes vulnérables ou insensibilisées. C’est de la photographie engagée, militante et sociale.

J’ai embarqué sur l’Aquarius au mois de mars pour trois semaines. Avant le départ, j’ai été briefé et, une fois sur le bateau, j’ai reçu une formation sur les différents types d’intervention (premiers secours, sauvetage critique de masse…). J’ai également appris à faire des photos sur un zodiac en pleine mer. Pour moi, c’était une découverte mais l’équipe est aguerrie, composée d’officiers de marine, de sauveteurs professionnels et d’une équipe médicale de Médecins sans frontières. Une véritable brigade internationale de secours.

Nous sommes partis de Catane, en Sicile, pour les eaux internationales, à quelques miles nautiques des eaux territoriales revendiquées libyennes. Tous les matins, nous étions briefés : actualité, météo, zones de recherche. En dehors des zones de Search and Rescue (SAR), nos journées étaient rythmées par les entraînements, sur les zodiacs mais aussi sur l’Aquarius. En zone de SAR, les choses deviennent plus sérieuses. Le bateau fait des allers-retours, du lever au coucher du soleil. Les membres de l’équipage se relaient sur le pont, scrutent la mer avec des jumelles, à la recherche de canots pneumatiques. Quand une embarcation est repérée, le protocole de sauvetage est lancé. Notre emploi du temps est alors entièrement dédié aux rescapés. Soin, repas… C’est là que la notion de « bateau ambulance » prend toute sa dimension.

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Sauver des migrants en mer est une nécessité depuis l’arrêt de Mare Nostrum en novembre 2014 [Opération militaire et humanitaire visant à secourir en mer les immigrés clandestins, N.D.L.R.]. Des milliers de personnes meurent en Méditerranée. Pourtant, il y a une volonté des gouvernements européens de criminaliser les sauvetages en mer. C’est ce qui s’est passé avec la séquestration d’Open Arms en Sicile [Navire de l’ONG espagnole Proactiva Open dont certains membres ont été accusés de favoriser l’immigration clandestine en Europe, N.D.L.R.]. Les sauvetages en mer sont une nécessité humanitaire, mais le contexte se tend de plus en plus. La Méditerranée est devenue par extension une zone de guerre, un endroit où la guerre et ses conséquences se font ressentir.

Les migrants ont traversé l’enfer en Libye : viol, torture, esclavagisme… Un homme m’a raconté avoir vu son frère se faire tuer par un Libyen et ensuite s’être fait torturer. On a eu à bord un jeune garçon de 14 ans qui s’est fait battre jusqu’à ce que son bras cède. Les migrants embarquent ensuite sur des canots de fortune. Une personne que nous avons sauvée m’a dit : « Ces canots sont les bateaux de Dieu, quand tu montes à bord, tu ne sais pas si tu survivras, c’est Dieu qui décide pour toi ». Le moment le plus difficile que j’ai vécu a été le sauvetage que nous n’avons pas pu faire à cause des garde-côtes libyens. C’était insupportable. Mais il y a également eu des moments émouvants comme lorsque les femmes ont commencé à prier et chanter lors du retour du bateau en Italie.

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J’ai n’ai passé que trois semaines sur l’Aquarius, mais ce fut suffisant pour se rendre compte de l’urgence d’intervenir pour sauver des vies. La Méditerranée, comme la jungle de Calais, ou les Alpes, est la face visible du drame. Or, plutôt que de vouloir régler le problème, on construit des murs, on paye des régimes autoritaires pour gérer la crise, on envoie la police harceler les migrants et les personnes solidaires. Nous voulons maintenir ces victimes d’exactions loin de nous, en dehors de nos frontières. Ce que révèle la gestion de la crise migratoire c’est notre refus d’humanité. Ce n’est pas nouveau. Rappelons-nous qu’après la chute de la République en Espagne, la France a mis des exilés républicains dans des camps de concentration. Heureusement, il y a toujours des résistants qui redonnent du sens au mot fraternité.

Yann Lévy tient a préciser que ses propos n'engagent que lui - et non l'association SOS Méditerrannée. Ses travaux sont exposés sur son site Internet