James Cameron Avatar 2
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Culture

James Cameron est-il le nouveau Léonard de Vinci ?

En inscrivant la question technologique au cœur de son cinéma, le réalisateur s'inscrit dans une vieille tradition : celle de l'artiste-ingénieur.

[Ndlr : on publie à nouveau cet excellent portrait de James Cameron, sorti sur Motherboard en mai 2017, alors qu’Avatar 2 : la voie de l’eau sort en salles.]

Le 27 mai 2017, une toute nouvelle section de cinq hectares a ouvert ses portes au sein du Walt Disney World d'Orlando, en Floride. Son nom : Pandora : The World of Avatar. Depuis l'annonce du projet en 2011, James Cameron et les équipes artistiques de Disneyworld ont collaboré activement pour donner aux visiteurs l'illusion de débarquer sur une autre planète : balade au milieu de la flore bioluminescente de Pandora, simulateur de vol à dos de Banshee, montagnes volantes, Navi's animatroniques bluffants de réalisme, etc.

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Dans les années 50, Walt Disney avait inventé un terme pour désigner les concepteurs des attractions de son tout premier parc : imagineers, contraction de imagine et engineer. Un terme qui s'applique aussi parfaitement au créateur du Terminator. James Cameron est ce qu'on appelle un polymathe, c'est-à-dire une personne dotée de dispositions hors du commun dans les domaines à la fois artistique, scientifique et technique. Léonard de Vinci est probablement le plus connu de tous ces esprits exceptionnellement agiles, mais on pourrait également citer Aristote, Isaac Newton, Goethe, Benjamin Franklin ou, plus récemment, Boris Vian.

Cameron, lui, n'a pas poussé ses études supérieures au-delà de la première année, ce qui ne l'a pas empêché de devenir, en une poignée de films, le roi du monde et du box-office. Il est généralement crédité au générique sur pas moins de quatre postes : réalisateur, scénariste, producteur et monteur. Mais c'est aussi un chef d'entreprise (il a créé les sociétés Lightstorm Entertainment et Digital Domain au début des années 90), un peintre accompli (les œuvres de Jack dans Titanic sont de sa main), un explorateur assidu des fonds marins (il détient depuis 2012 le record mondial de plongée en solitaire) et, comme nous allons le voir, un concepteur de machines.

La polymathie de James Cameron s'est exprimée dès sa plus tendre enfance, dans la petite ville de Chippawa, en Ontario. Sa mère Shirley, infirmière de formation, aimait peindre des paysages en utilisant toutes sortes de techniques. Son père, Philip, travaillait quant à lui comme ingénieur électrique dans une scierie près des chutes du Niagara. Inspiré par ces deux modèles, le jeune Jim passe une bonne partie des années 60 à dessiner, à dévorer des livres de science-fiction et à bricoler - en compagnie de son frère cadet Mike - des montgolfières miniatures ou des cloches de plongée pour souris, qui passent avec succès les tests de mise à l'épreuve.

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« J'étais en colère. Je voulais absolument faire ce film. C'est comme ça que je me suis mis au boulot » - James Cameron, à propos de Star Wars.

Très vite, le cinéma s'impose à Cameron comme le meilleur moyen d'allier ses deux passions. Mais ce n'est qu'à l'été 1977, quand il découvre Star Wars en salles, qu'il décide de sauter le pas pour de bon. « J'étais en colère. Je voulais absolument faire ce film. C'est comme ça que je me suis mis au boulot », se souvient-il quelques années plus tard. À la fois révolution technologique et modèle de storytelling, le film de George Lucas représente un idéal de cinéma que Cameron va s'efforcer d'atteindre dès qu'il en aura les moyens, jusqu'à livrer avec Avatar son Star Wars à lui.

En attendant, il se forme tout seul aux différentes techniques de cinéma en squattant la bibliothèque de l'Université de Californie du sud. Puis il se lance avec deux amis dans la confection d'un ambitieux court-métrage financé par des dentistes californiens désireux d'obtenir des crédits d'impôts. Long de 12 minutes, Xenogenesis annonce déjà ses deux premiers succès (une femme y affronte un robot aux commandes d'un mecha), ainsi que son genre de prédilection.

Même s'il aime marier les genres, une grande partie de la filmographie de James Cameron, de Terminator à Avatar en passant par la série Dark Angel, relève en premier lieu de la science-fiction. Tous ces récits futuristes offrent au cinéaste l'occasion de faire de la prospective dans les domaines aussi variés que la robotique, le clonage, la défense stratégique, la colonisation spatiale, l'exploitation pétrolière, l'armement, la surveillance et … la manutention.

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Certaines de ses inventions semblent tellement crédibles qu'on se demande pourquoi elles ne sont pas encore devenues réalité. C'est le cas notamment du Caterpillar P-5000 Work Loader de Aliens, de la plate-forme de forage sous-marine et mobile de Abyss ou encore des disques SQUID de Strange Days, capables d'enregistrer et de lire des moments de vie sans fichu filtre Instagram.

Le Power Loader de Aliens, bientôt dans tous les entrepôts Amazon du monde ?

Titanic et True Lies sont les deux seuls exemples de films dénués d'éléments SF chez Cameron. Mais le réalisateur ne peut s'empêcher d'y jouer les techno-fétichistes en filmant sous tous les angles deux des engins les plus cool du XXe siècle : le « paquebot de rêve » RMS Titanic et le AV-8B Harrier II, un des rares exemples d'avion de chasse à décollage et atterrissage vertical. Cette omniprésence de machines high tech dans la filmographie de Cameron est le signe le plus évident que nous avons affaire à un authentique artiste-ingénieur. Mais cette double nature se manifeste également dans les moyens qu'il se donne pour concrétiser ses visions de cinéma.

Le début de carrière de James Cameron est clairement placé sous le signe de la bricole. Après le coup d'essai Xenogenesis, l'apprenti-cinéaste frappe à la porte de New World Pictures, une société spécialisée dans le cinéma d'exploitation plus ou moins fauché. Très vite, son excellence technique attire l'attention du big boss Roger Corman, qui le propulse à la tête du département projection. Au cours de l'année qui suit, James Cameron enchaîne les postes et les responsabilités : chef-décorateur, puis directeur des effets spéciaux et enfin réalisateur de la seconde équipe. En bon polymathe, il obtient à chaque fois des résultats inespérés compte tenu des faibles moyens qui lui sont alloués.

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« S'il est si bon avec des vers de terre, imaginez ce qu'il est capable de faire avec des acteurs ! » - les producteurs à propos de James Cameron avant de lui confier Piranha 2

Un jour, deux producteurs débarquent sur le plateau de La galaxie de la terreur, alors que Cameron filme un insert sur un faux bras recouvert de vers de terre. Pour faire « jouer » les bestioles, il a eu l'idée ingénieuse d'électrifier la sculpture en methylcellulose. N'ayant pas remarqué l'assistant chargé de balancer le jus le temps de la prise, les deux visiteurs sont stupéfaits de voir les vers se tortiller frénétiquement dès que Cameron crie Action. « Après leur départ, on m'a rapporté qu'ils disaient à tout le monde “S'il est si bon avec des vers de terre, imaginez ce qu'il est capable de faire avec des acteurs !”» Dans la foulée, les producteurs le recrutent pour mettre en scène ce qui deviendra son premier long-métrage : Piranha 2, les tueurs volants.

Cette manière artisanale de travailler va se poursuivre jusqu'à son troisième film, sorti en 1986 : Aliens. Sur le plateau, Cameron est tellement hyperactif qu'il déclenche une mutinerie des techniciens anglais de Pinewood, très à cheval sur les horaires de travail et les temps de pause réglementaires. Durant la post-production, il renoue avec son passé de responsable SFX en réalisant lui-même certains plans, comme celui où le dropship UD-4L Cheyenne pénètre dans l'atmosphère de la planète LV-426 (à 1mn17 dans la vidéo). Plus control freak que jamais, il remonte également la musique de James Horner qui ne le satisfait pas et s'enferme deux jours durant avec le sound designer pour peaufiner le son caractéristique du M414A Pulse Rifle … qu'il a bien sûr lui-même dessiné.

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Tandis qu'Aliens sort en salles et rapporte à peu près sept fois sa mise, Cameron décide de changer son fusil d'épaule. Désormais, il n'est plus question pour lui de créer des films visuellement ambitieux pour un budget dérisoire. Son nouveau but est d'écrire le futur du cinéma, ni plus ni moins.

À l'origine de ce changement de philosophie, il y a la rencontre avec deux figures-clefs de la Cameron Connection : John Bruno et Van Ling. Le premier est un cador des effets spéciaux plusieurs fois nommé aux Oscars (SOS Fantômes, Poltergeist II). Le second est un jeune diplômé de l'USC qui va devenir son assistant personnel et lui transmettre sa passion de l'informatique. Sous leur impulsion, Cameron réalise que la révolution numérique est en marche et décide de se positionner à la pointe du mouvement. Au carrefour des 80's et des 90's, les images de synthèse font une entrée fracassante dans son cinéma, sous la forme d'une tentacule aqueuse (Abyss, 1989) et d'un robot polymorphe en métal liquide (Terminator 2, le Jugement dernier, 1991).

Pendant que d'autres cinéastes nerd lui emboîtent le pas (Robert Zemeckis avec La mort vous va si bien, Steven Spielberg avec Jurassic Park), bientôt suivis par le reste d'Hollywood, Cameron est déjà parti défricher de nouveaux territoires. En 1997, il peuple le pont du Titanic de passagers virtuels, qui accomplissent au moment du naufrage des cascades humainement impossibles. Puis il se lance avec Avatar à l'assaut de la uncanny valley et réussit un drôle d'exploit : détourner l'empathie de centaines de millions de spectateurs à travers le monde vers des créatures extraterrestres en CGI en lieu et place des personnages humains.

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Sinon, vous aviez remarqué que c'est une doublure numérique de Sam Worthington dans ce plan ?

À l'exception de True Lies, tous les films de James Cameron depuis Aliens ont remporté l'oscar des meilleurs effets spéciaux, ne laissant guère de chances à la concurrence. Mais il ne faudrait pas croire que la quête du jamais vu qui anime le cinéaste depuis 30 ans se limite à ce seul domaine. Pour reprendre une métaphore appropriée, il ne s'agit en réalité que de la partie visible de l'iceberg.

Au milieu des années 60, pour mener à bien son projet 2001 : L'Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick s'était adjoint les services de la NASA. Deux décennies plus tard, James Cameron, qui ambitionne avec Abyss de se mesurer au monolithe kubrickien, va se tourner vers un ingénieur aérospatial bien particulier : son petit frère Mike.

L'article Iron Jim publié dans l'édition américaine de Premiere à l'occasion de la sortie de True Lies résume assez joliment le mode de fonctionnement du tandem : « Voilà comment ils procèdent. Jim imagine un plan, se renseigne pour savoir ce dont il a besoin pour le réaliser et si les outils existent. Dans le cas contraire, il demande à Mike de les fabriquer. Et quand son frère lui répond que, du point de vue d'un ingénieur, ce n'est pas possible, Jim rétorque “n'utilise jamais le mot « ingénieur » en ma présence.” ».

Pour les besoins des scènes sous-marines de Abyss, Mike Cameron va concevoir un casque de plongée doté d'une large visière rétroéclairée (il faut bien qu'on reconnaisse les acteurs) ainsi que d'écouteurs et de micros intégrés (pour entendre les consignes du réalisateur et enregistrer les dialogues). Il planche aussi sur un moyen de réaliser de larges mouvements de caméra sans l'aide des traditionnelles grues et autres rails de travelling. Le Sea Wasp DPV, un propulseur aussi rapide que maniable, sera le tout le premier brevet technique déposé par les deux frères. De nombreux autres suivront dans les années 90, quand James Cameron va créer sa société de production, Lightstorm, et nommer Mike à la tête de la division Technologies.

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L'apparition courte mais marquante de Mike Cameron dans Abyss

Le vrai gros défi de la carrière de Mike Cameron se présente en 1995, quand son grand frère lui annonce son intention d'aller filmer lui-même l'épave du Titanic pour les besoins de sa nouvelle superproduction. Quelques semaines plus tôt, le réalisateur a obtenu de l'Institut océanographique Chirchov de Moscou l'autorisation d'affréter l'Akademik Mstislav Keldysh, un navire scientifique russe qui possède deux des cinq engins au monde capables de descendre à 4000 mètres de fond.

Le succès de True Lies lui a également permis de débloquer auprès de la 20th Century Fox un budget de 2 millions de dollars pour financer une dizaine de plongées autour de la célèbre épave. Reste donc à résoudre l'épineuse question du matériel. En cinéaste pur et dur, Cameron tient absolument à la pellicule 35 mm, qui offre une résolution d'image infiniment supérieure à la vidéo, généralement utilisée pour les expéditions sous-marines. Mais la coque des sous-marins de poche Mir du Keldysh n'est absolument pas équipée pour accueillir une lourde et encombrante caméra. Et il est absolument hors de question pour Iron Jim de filmer à travers un petit hublot en plexiglas épais de 20 cm.

Un des deux submersibles Mir du Keldysh au moment de la mise à l'eau.

Mike Cameron va travailler d'arrache-pied pendant six mois pour tenter de résoudre la colle posée par son intraitable frangin. Assurer une qualité de prises de vue optimale dans les ténèbres abyssales est une chose. Mais il s'agit aussi de protéger le fragile matériel de cinéma (la caméra et les deux tours de projecteurs nécessaires pour éclairer l'épave) contre les conditions extrêmes qui règnent par 3800 mètres de fond. La pression, notamment, y est à peu près 400 fois supérieure à la surface du globe (350 kilos par cm²).

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Une simple erreur de calcul peut facilement entraîner l'implosion de l'un ou l'autre des appareils et causer la mort instantanée de tous les plongeurs à proximité. Bref, sur Titanic, Mike Cameron se retrouve avec à peu près les mêmes responsabilités qu'un chief Engineer de la NASA à l'époque des premiers vols habités. Heureusement pour lui (et pour nous), son grand frère reviendra sain et sauf de ses douze plongées dans l'Atlantique nord, fin prêt à devenir le Roi du Monde.

Après le triomphe absolu de Titanic, James Cameron va s'éloigner quelques années des traditionnels plateaux de cinéma. En mode full Jacques Cousteau, il préfère enchaîner les expéditions sous-marines aux quatre coins du globe, dont il tire ensuite des documentaires à destination du petit (Expédition : Bismarck) et du grand écran (Ghosts of the Abyss, Aliens of the Deep). Pendant que son petit frère perfectionne l'équipement mis au point sur Titanic, Cameron s'attèle à un nouveau challenge : réintroduire la 3D dans les salles de cinéma.

Au milieu des années 90, le réalisateur s'était déjà essayé à la « stéréo » (« Je n'aime pas le mot 3-D parce ça sonne vieillot ») pour l'attraction des studios Universal T2-3-D - Battle Across Time. En ces temps anciens, il avait dû utiliser un rig composé de deux caméras 65 mm faisant la taille d'une armoire et pesant plus de 200 kilos. L'arrivée fracassante de la HD numérique en 2001 lui offre de toutes nouvelles perspectives et, pour être sûr d'avoir sous la main la meilleure caméra du marché, notre artiste-ingénieur entreprend de la fabriquer lui-même.

Pour une fois, James Cameron s'associe non pas avec son frère Mike mais avec le directeur de la photographie Vincent Pace et l'ingénieur Patrick Campbell. Ensemble, ils donnent naissance au RCS (Reality Camera System). Composé de deux caméras Sony HD-950, l'appareil est étrenné sur Ghost of the Abyss (et dans la foulée sur, ahem, Spy Kids 3-D.) Pas tout à fait satisfait du résultat, le trio remet les mains dans le cambouis et livre en 2007 la caméra Fusion. Juste à temps pour le grand retour de Cameron au cinéma de fiction.

À l'instar de tous les films de Cameron depuis Abyss, Avatar s'est transformé en véritable terrain d'expérimentations dont les retombées ont ensuite profité à l'industrie du cinéma toute entière. Depuis sa création, la caméra Fusion a été employée sur une vingtaine de longs-métrages et de captations de spectacle. La SimulCam (un système permettant de voir en temps réel sur un moniteur les acteurs en combinaisons sous la forme de leurs avatars dans un décor 3D rudimentaire) a tellement impressionné Steven Spielberg et Peter Jackson lors de leur visite du plateau en Nouvelle-Zélande qu'ils l'ont adoptée sur Les aventures de Tintin et la trilogie Le Hobbit.

Treize ans après la sortie de son game changer, Avatar 2 : la voie de l’eau, la première des suites annoncées par James Cameron, va débarquer en salles le 14 décembre 2022. Il y a tout lieu de croire que, derrière ce projet pharaonique, se cache encore un bon paquet d'innovations technologiques, parmi lesquelles, peut-être, la 3D sans lunettes. Allez, rendez-vous dans les salles pour découvrir quelles surprises le bravest pioneer du cinéma nous réserve.

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