C’est un fait, les pauvres ont une tête de pauvre
Illustration extraite d'un manuel de physiognomonie du 19e siècle. Image : Wikimédia.

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C’est un fait, les pauvres ont une tête de pauvre

Dorénavant, nous sommes capables de reconnaître un pauvre simplement grâce à ses expressions faciales. Merci la science !
Paul Douard
Paris, FR

En 2017, l'habit ne fait plus le moine. Dans une société où les pauvres veulent faire croire qu'ils sont riches et où les riches veulent faire croire qu'ils vivent comme tout le monde, il est délicat de déterminer au premier coup d'œil si la personne en face de vous est pleine aux as ou si elle lutte pour boucler les fins de mois. La tendance normcore uniformise les apparences et les habitudes. Lorsqu'elle est combinée à cette mouvance de cadres sup', qui, après avoir été les premiers de la classe toute leur vie, se rendent compte qu'ils ne sont plus si cool que ça et décident d'ouvrir une boulangerie au Pays basque, il devient très difficile d'extrapoler sur la classe sociale d'une personne à partir de ses caractéristiques physiques.

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De la même manière que vous savez que votre pote est pris d'un méchant rhume grâce à sa tête grisâtre, son nez rouge coulant et ses yeux globuleux lubrifiés par le liquide lacrymal – il serait possible de reconnaître un pauvre juste en regardant sa tête. Du moins, c'est ce que raconte le psychologue Nicholas O. Rule et ses collègues de l'Université de Toronto dans une étude publiée en mai dernier dans le Journal of Personality and Social Psychology. Selon les chercheurs, qui réhabilitent ici une version particulièrement sinistre de la physiognomonie (une pseudo-science née au 19e siècle) nous serions capables de déterminer si une personne est pauvre, simplement en regardant son visage.

Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques de l'Université de Toronto ont demandé à 81 doctorants de regarder des centaines de portraits d'hommes et de femmes blancs ayant entre 18 et 35 ans. La moitié gagnait moins de 35 000 dollars par an, l'autre plus de 150 000 dollars par an. Les portraits étaient volontairement neutres – c'est-à-dire sans tatouage, sans bijoux, sans vêtements apparents pour ne pas donner d'indications matérielles ou sociales. Enfin, les photos provenaient toutes de sites de rencontres en ligne. Résultat : 68% des doctorants canadiens ont estimé correctement les revenus des personnes en photo. Pour Nicholas O. Rule, avec qui je me suis entretenu par mail, ce chiffre est trop élevé pour être mis sur le compte du hasard : « Je ne pensais pas que les effets seraient aussi forts, surtout compte tenu de la subtilité des émotions apparaissant sur les visages. Le plus surprenant, c'est que la classe sociale de chacun est détectable à partir de signaux subtils sur un visage neutre. »

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Mais alors, comment pouvons-nous identifier des pauvres juste à leur tête ? Sommes-nous comme les chiens qui se sentent le fion pour savoir si l'autre chien est en bonne santé ? Je sais ce que vous vous dites : il faut écouter Baudelaire, qui associait pauvreté et laideur sans hésiter une seconde, et avec toute la poésie qui s'impose. Mais non, c'est un peu plus compliqué que ça. Les âmes ne respirent pas la pauvreté, merci pour elles.

En fait, selon Nicholas O. Rule, le bonheur se voit, et il serait même un excellent indicateur du niveau de richesse. Rule et son équipe ont observé que « les sujets de 18 à 35 ans ont accumulé une expérience de vie qui a visiblement changé et façonné leur visage, au point que vous puissiez dire à quelle classe socio-économique ils appartiennent ». De la même façon que nous avons appris à ne plus voir les publicités qui parsèment notre environnement, les marqueurs sociaux empruntant la forme d'expressions faciales nous donnerait, sans que nous en ayons conscience, des indices sur le compte en banque des gens qui nous entourent.

Selon les travaux de Rule, la bouche serait l'équivalent du relevé bancaire : « Une fois que nous avions compris que les marqueurs émotionnels était la clé du problème, il nous est apparu que la bouche était le principal outil à notre disposition ; c'est la partie du visage qui nous donne le plus d'informations, notamment sur les émotions positives, » m'expliquait-il. Concrètement, si vous avez une vie sympa, ça se voit sur votre tête. « Il existe des neurones du cerveau qui se spécialisent dans la reconnaissance de visage. Le visage est la première chose que vous remarquez lorsque vous regardez quelqu'un. Nous sommes en quelque sorte calibrés pour reconnaître ces différences subtiles gravées sur nos visages » m'explique le psychologue.

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Ces observations impliquent un autre fait difficile à avaler : l'argent fait le bonheur, du moins jusqu'à un certain point. « La recherche montre qu'il existe effectivement un lien entre l'argent et le bonheur. En général, les personnes ayant le plus d'argent possèdent les plus hauts niveaux de bien-être, et connaissent moins de stress que les personnes de classe sociale inférieure. Le lien entre classe sociale et bonheur est particulièrement important dans les sociétés où les inégalités de revenus sont les plus fortes. » Jusque-là, rien de bien nouveau. Cela corrobore toutefois une autre étude parue le 24 juillet dernier dans le journal de l'Académie des sciences américain (PNAS) et relayée par le Washington Post qui révèle que les personnes qui s'achètent du temps en payant d'autres personnes pour effectuer leurs tâches ménagères seraient plus heureuses dans la vie.

Sachez que si tout le monde voit sur votre tête que vous êtes à découvert tous les mois depuis mars 2004, votre futur employeur aussi. L'étude a ainsi démontré que lors d'entretiens d'embauche, ceux qui « avaient une tête de riche » étaient plus susceptible de se faire embaucher. Si vous ne voulez pas être démasqué, souriez continuellement jusqu'à vous évanouir. En effet, l'étude montre toutefois que lorsque tous les portraits étaient tous constitués de gens qui sourient, les doctorants étaient incapables de distinguer les riches des pauvres, car les différents indices émotionnels affichés sur les visage étaient alors brouillés. Souriez comme un imbécile et tout ira bien – même s'il n'y a rien de plus glaçant qu'un individu grimaçant sans raison.

De fait, le lien expressions du visage et employabilité "indique que quelque chose d'aussi subtil que la physionomie trahit votre classe sociale, et prédispose donc à perpétuer votre situation sociale", explique Thora Bjornsdottir, une doctorante ayant collaboré à l'étude, dans un communiqué de presse. « La première impression qu'aura un employeur de votre personne a toutes les chances de se transformer en prophétie auto-réalisatrice. Votre visage va influer sur vos interactions sociales, ainsi que sur les opportunités à votre disposition. » En bref, si vous ressemblez à un type épanoui qui a du succès, cela augmente vos chances de décrocher un bon poste. À l'inverse, si votre visage exhibe des émotions liées à l'échec, vos chances d'échouer seront, elles aussi, plus importantes.

L'étude des chercheurs canadiens présente tout de même quelques limites. La première est que les personnes chargées d'observer des photos de riches et de pauvres étaient tous des doctorants. L'échantillon de travail - en plus d'être de petite taille - était donc loin d'être représentatif de la population générale. Les étudiants chercheurs sont considérés comme ayant un rang social élevé et sont accoutumés à fréquenter d'autres individus très diplômés, ainsi que des cercles sociaux à hauts revenus. De même, ils ont été formés au sein de cursus scientifiques, sont attentifs à leurs propres biais de perception et ne raisonnent pas comme tout le monde ; cela a pu influer sur leurs choix. On peut également relever que les photos étudiées ont été prises sur un site de rencontre ; elles ont donc été sélectionnées avec l'intention de plaire et de séduire, avant d'être échantillonnées par les scientifiques eux-mêmes. Dans ce cadre, on peut supposer qu'elles ne sont pas tout à fait représentatives d'une attitude neutre et habituelle des sujets en question. Enfin, il ne s'agit pas là d'une étude randomisée en double-aveugle, le modèle standard de la démarche expérimentale en science, mais d'une étude préliminaire un peu expéditive dont les résultats n'ont jamais été reproduits.

À présent, l'objectif des chercheurs Toronto est de reproduire cette expérience sur des personnes plus âgées, afin de voir si leur modèle à base de marqueurs d'expression est toujours valable - voire plus efficace - une fois que le temps a fait son oeuvre sur les visages. D'ici là, n'hésitez pas à vous amuser à deviner qui est pauvre dans le métro, c'est un passe-temps très sain.