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Culture

Une vague de meurtres en série serait à prévoir en 2035

Dans Sons of Cain, l’historien Peter Vronsky soutient que les guerres et les crises économiques contribuent à produire des meurtriers.
Ted Bundy, John Wayne Gacy, et Jeffrey Dahmer. Source: Wikimedia commons 

Cet article a d'abord été publié sur Vice Canada.

Il y a un peu moins de 39 ans, dans un motel miteux de l’État de New York, Peter Vronsky a rencontré l’homme que l’on surnommait alors le Times Square Torso Ripper (« l’éventreur de Times Square »). Cet homme, Richard Cottingham de son vrai nom, connu pour ne laisser de ses victimes que le torse, a « officiellement » tué six personnes, mais a prétendu en avoir tué des centaines. Dans le hall du motel, la rencontre a été brève, mais elle a changé la vie de Vronsky. Depuis, il étudie les meurtriers.

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Peter Vronsky, maintenant historien et professeur à l’Université Ryerson de Toronto, a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet, dont un des plus importants, Serial Killers: The Method and Madness of Monsters. Dans son plus récent livre, Sons of Cain, il s’intéresse à ce qui crée les tueurs en série.

Dans son livre, qui a exigé des années de recherches et au moins quatre ans de rédaction, il soutient qu’à cause des guerres au Moyen-Orient et de la crise économique de 2008, on pourrait voir une montée fulgurante du nombre de meurtres en série dans deux décennies. Plus troublant encore, il pense qu’au plus profond de chacun de nous, là où l’on cache ce qu’il y a de mauvais, existe un tueur en série en puissance.

VICE a appelé Peter Vronsky pour parler de cette possible hausse du nombre de meurtres en série, ainsi que du tueur qui se terre en nous.

VICE : Pourquoi consacrez-vous votre vie à tenter de comprendre les tueurs en série?
Peter Vronsky : En 1979, j’étais assistant de production et j’étais en déplacement à New York pour livrer des films. Dans un de ces déplacements, je devais trouver un endroit abordable où passer une nuit, et j’ai réservé une chambre dans un motel miteux dans un coin connu pour ses prostituées. Alors que j’étais à la réception du motel, une personne dans la chambre au-dessus était en train de tuer deux femmes. Il leur a coupé la tête et a mis le feu à leur torse.

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J’étais donc à l’étage au-dessous, et j’essayais de monter. J’étais irrité parce que quelqu’un retenait l’ascenseur — j’ai supposé après qu’il tenait les portes juste le temps de s’assurer que le feu allait bien prendre. Quand il est finalement descendu et sorti de l’ascenseur, je lui ai lancé un regard sévère. C’était Richard Cottingham, le Times Square Torso Killer. Il portait un sac dans lequel il y avait des têtes. Il est passé devant moi, ça a duré à peine dix secondes. Il avait l’air d’une personne comme une autre. J’ai appris plus tard qui il était. À partir de ce moment-là, je me suis beaucoup intéressé à l’origine de ces monstres.

Vous parlez beaucoup de « l’âge d’or » des tueurs en série. Qu’est-ce que c’est?
Entre 1970 et 1999, le terme tueur en série a circulé de plus en plus. Ç’a été l’ère de Ted Bundy, John Wayne Gacy, Jeffrey Dahmer. Ils étaient célèbres, c’était leur apogée dans la culture populaire. Statistiquement, cette époque compte 82 % des tueurs en série américains du 20e siècle. Moi et d’autres personnes, pince-sans-rire, appelons donc cette période l’âge d’or des meurtres en série.

Ils sont tous arrivés dans une même période, pourquoi?
C’est le mystère que j’ai essayé de résoudre. Souvent, on tente une explication à partir de la situation de la société au moment où ces meurtres en série ont été commis. Cependant, j’en suis venu à une autre théorie. Statistiquement, les tueurs en série commettent leur premier meurtre en moyenne à 28 ans, mais leurs fantasmes commencent à se développer parfois dès cinq ans – c’est en général entre cinq et quatorze ans. Donc, ce que j’ai commencé à me dire, en pensant à Ted Bundy, John Wayne Gacy et les autres, c’est qu’il faut remonter à l’époque de leur enfance.

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J’ai remarqué que les meurtriers de cet âge d’or étaient principalement des hommes qui avaient grandi dans les années 40 et 50. Il faut se pencher sur l’époque dans laquelle ils ont grandi, la culture dans laquelle ils ont été élevés, le genre de père qu’ils ont eu. Quand on pense à la période leur enfance, on note deux événements majeurs : la Grande Dépression, qui a décimé une génération d’hommes qui auraient autrement été les pourvoyeurs de leur famille, et la Seconde Guerre mondiale, qui a traumatisé beaucoup de pères et brisé beaucoup de familles aussi. On pense que la Seconde Guerre mondiale a été une « bonne guerre », mais ce n’est pas le cas, ç’a été l’enfer, et ça a brisé beaucoup d’hommes. Il y a eu aussi un changement culturel avec des magazines qui faisaient état de ce que les féministes ont appelé, à juste titre, la culture du viol.

On trouve des facteurs semblables à d’autres époques, par exemple, les meurtres en série à la fin du 19e siècle, l’ère de Jack l’Éventreur, et un peu avant. Des choses très similaires se sont passées.

Quelle est votre théorie en ce qui concerne l’avenir?
Récemment, il semble qu’il y ait eu une baisse du nombre d’homicides et qu’en parallèle les meurtres en série aient aussi diminué. Mais il y a eu la guerre contre le terrorisme, avec non seulement des pères, mais aussi des mères qui se sont battus. Et il y a eu la crise financière de 2008, qui a été terrible pour des millions de familles aux États-Unis. Les gens ont perdu leur maison, et une génération d’enfants a vécu dans des chambres de motel. Une génération entière de salariés a perdu sa dignité et sa capacité à subvenir aux besoins de sa famille.

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Ce qui m’inquiète, c’est qu’on voie, quand cette génération d’enfants aura en moyenne 28 ans, soit dans 20 ans ou 15 ans, une augmentation du nombre de meurtres en série et d’autres problèmes de société. Ils ne deviendront pas tous automatiquement des tueurs en série, mais on sait que les problèmes de comportement des adultes sont souvent le résultat de traumatismes subis dans l’enfance. Que ce soient des tueurs en série ou des cambrioleurs ou des toxicomanes, les familles brisées engendrent des enfants brisés, et les enfants brisés deviennent des adultes brisés.

Il y a un moyen de combattre ça?
Eh bien, on entre un peu dans l’utopie, non? Si seulement on pouvait vivre dans une société qui au moins prend soin de ses enfants. Le moyen d’arrêter les meurtres en série, bien sûr, c’est de réduire le nombre d’enfants traumatisés et démunis.


Vous soutenez aussi dans le livre que les humains sont programmés pour être des tueurs et qu’ils sont déprogrammés grâce à l’éducation. Comment en êtes-vous arrivé à cette idée?
Ça vient de ma propre expérience d’enfant, je suppose. Pour une raison ou une autre, je me souviens très bien de mon enfance. Je me souviens que mes camarades étaient des êtres vraiment sauvages, qui mordaient, griffaient, enfonçaient leur doigt dans l’œil de l’autre. Les enfants ont ce côté animal, et ça a commencé à me paraître sensé puisque notre espèce, homo sapiens, existe depuis 300 000 ans et a vécu au cours de pratiquement toute cette période dans un état d’animal chasseur-cueilleur.

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Pour survivre, il a été nécessaire de se nourrir, de copuler, de fuir et de combattre. Si on n’avait pas fait une de ces choses, notre espèce n’aurait pas survécu. Il y a environ 15 000 ans, sur 300 000, on a commencé à développer l’agriculture, à vivre en groupe et dans des villes, etc. Maintenant, on doit vivre tous ensemble, alors nos instincts violents doivent être inhibés. Ce que je pense qui s’est passé chez les tueurs en série, c’est qu’ils n’ont pas été socialisés comme il se doit et que ces instincts sont soit surdéveloppés, soit insuffisamment inhibés.

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Essentiellement, mon point, c’est qu’on a dans l’enfance ce genre d’instincts primitifs, mais qu’une bonne éducation, une enfance heureuse, un environnement stable, toutes ces choses nous éloignent de ces instincts. Mais les personnes qu’on échappe deviennent les individus violents de notre société. Ils ne sont pas nécessairement tueurs en série, mais ils commettent des actes de violence que l’instinct de conservation n’exige plus. Donc, de ce point de vue, on est tous des tueurs en série déprogrammés, en quelque sorte.

Si les gens doivent retenir une chose de votre livre, qu’est-ce que c’est?
Simplement que les tueurs en série sont comme nous. On a rencontré l’ennemi et c’est nous. C’est le produit de notre société. C’est le produit de notre monde. C’est notre voisin. C’est un enseignant. C’est notre mari. C’est notre femme. Il a toujours été avec nous en partie parce que nous avons longtemps dû être des tueurs en série pour survivre. Je compare les meurtres en série à l’obésité. L’obésité est le résultat d’un artefact qui a permis notre survie parce qu’on avait besoin de la capacité de stocker les graisses lors de pénuries de nourriture. Maintenant, dans le monde occidental, cette capacité de stocker les graisses devient destructrice. Je pense que c’est aussi ce qui explique les meurtres en série aujourd’hui. C’est une chose qui était naturellement nécessaire pour nous, mais qui, dans notre société moderne, est destructrice.

Cette entrevue a été légèrement abrégée par souci de clarté et de concision.

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