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Illustration: Benjamin Tejero pour VICE FR
Sexe

Trop petits pour pécho

Railleries, bâches, ghosting : les mecs petits ont pas mal d’anecdotes sur les stops qu’ils se sont pris à cause de leur taille. On en a discuté avec eux pour essayer de comprendre ce phénomène.

« Même pour un coup d’un soir, ça va pas être possible. » Zachée, 28 ans, 1,67 m, prend ce refus en pleine tête. Il a eu la mauvaise idée d’être honnête sur sa taille lors d’une conversation avec un match Tinder. Il contre-argumente, essaye de la convaincre que la taille, ce n’est pas important. Rien à y faire, c’est un non. La question s’est sûrement imposée dans la discussion parce que son match n’a pas trouvé cette information cruciale sur son profil. Vous savez, ce nombre à trois chiffres – rarement inférieur à 1, 75 – qu’on trouve presque partout, même sur les profils les plus bateau. Je dis « presque » parce que souvent, les garçons petits ne tentent pas le diable. Ils savent que faire moins de 1,75 m sur Tinder est loin d’être un atout.

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« La question de la taille se pose toujours dans une discussion et j’ai eu des fins de non-recevoir dès que je disais que je faisais moins d’1,75 m », raconte Benoît, 33 ans et 1,67 m. Les arguments des filles sont souvent les mêmes : « J’ai peur d’être ridicule » ; « On va se moquer de nous », « Je ne me sentirais pas protégée ». Pour optimiser leur expérience, certaines sont très claires et indiquent leurs préférences sur leur profil : « Moins d’1,80 m, swipez à gauche ! »

« Il ne m’est jamais arrivé qu’une fille me dise explicitement que j’étais trop petit. Mais souvent, à la première rencontre, j’avais droit à des “Ah, je t’imaginais plus grand !”. » – André, 1,63 m

« Si je mettais "moins de 90C s’abstenir", on me traiterait de tous les noms », s’insurge Louis, 29 ans, 1,95 m, plus grand que la moyenne donc, mais qui dit ressentir de « l’empathie » pour les garçons plus petits lorsqu’il tombe sur ce type de critères. Inscrit depuis peu sur une application de dating, ce Français qui vit à New York explique que sur « quasiment tous les profils de filles de plus d’1,70 m, on trouve la mention d’une taille minimum obligatoire. »

Souvent, le refus se fait plus subtil : les matchs arrêtent tout simplement de répondre. Et quand certains réussissent à passer les mailles du filet de la conversation virtuelle, la question finit par émerger dans la vraie vie. « Il ne m’est jamais arrivé qu’une fille me dise explicitement que j’étais trop petit, explique André, 22 ans, 1,63 m. Mais souvent, à la première rencontre, j’avais droit à des “Ah, je t’imaginais plus grand !”. »

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La première rencontre, c’est souvent là que tout se joue. Pour nous tous, évidemment, mais encore plus pour les mecs petits. Kevin, 20 ans, 1,68 m, se rappelle de cette fille avec qui il discutait depuis quelques temps sur Instagram. Le feeling était là, une rencontre s’imposait. « On a passé quelques heures ensemble mais j’ai tout de suite senti que quelque chose la dérangeait », explique-t-il. Plus tard, la jeune fille lui enverra ce message : « Ta taille, ça ne va pas être possible. Ce serait la honte quand même. »

Cette peur du premier rendez-vous existe aussi chez les filles, surtout quand elles sont un peu plus grandes. Rose, 23 ans, 1,78 m, a rencontré son ex à une soirée. Quand il l’aborde, il est assis. Le lendemain, il l’ajoute sur Facebook. Elle en profite pour scanner toutes ses photos, dans l’espoir de savoir s’il est plus petit qu’elle ou pas. « C’était un critère rédhibitoire, j’avais vraiment peur de le revoir », raconte-t-elle. Coup de bol, il fait exactement sa taille. « Je ne sais pas ce que j’aurais fait si il avait été plus petit », avoue Rose.

Cette accumulation d’anecdotes peut donner l’impression que la vie amoureuse de ces garçons est un calvaire. Rassurez-vous, c’est rarement le cas. La plupart des garçons que j’ai interrogés ont une vie amoureuse normale, voire florissante. Mais ça n’a pas toujours été le cas. « On en souffre beaucoup, surtout à l’adolescence, parce que c’est un frein contre l’estime de soi », estime Kevin. « J’ai pensé prendre des hormones de croissance quand j’étais plus jeune, raconte Alexandre, 31 ans, 1,66 m. Puis, tout a changé avec un peu de travail sur moi-même et un environnement bienveillant. » Tous partagent le même constat : leur petite taille les a poussés dès l’adolescence à développer d’autres atouts. « Quand t’es ado, ça te rend incertain et tu développes des réflexes de réaction : tu es plus drôle, tu fais plus de bruit, tu essayes d’être plus dans l’empathie pour que les filles te remarquent, continue Alexandre. Les gens normaux sont moins drôles. »

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« Il existe des hiérarchies masculines qui participent à la relégation de certains hommes au bénéfice d’autres qui disposent de "meilleurs" capitaux » – Mélanie Gourarier, anthropologue

Mais le complexe peut rester présent jusqu’à l’âge adulte. La preuve : quand j’ai lancé un appel à témoignages sur mon profil Facebook, certains garçons en ont profité pour troller leurs potes plus petits et les réactions de ces derniers étaient diverses. Certains ont accepté de me parler quand d’autres fustigeaient la « violence » d’un tel sujet. « On ne voit pas que sous ce complexe, il y a des logiques de domination généralisée auxquelles prennent part les hommes à la fois en tant qu’agissants et victimes », explique Mélanie Gourarier, anthropologue au CNRS et auteure de Alpha mâle – Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes.

La taille est un critère majeur de la masculinité, ensemble d’attributs, de comportements et de rôles associés aux hommes. Ils créent une hiérarchie, d’abord entre les hommes et les femmes, mais aussi entre les hommes eux-mêmes. « Il existe des hiérarchies masculines qui participent à la relégation de certains hommes au bénéfice d’autres qui disposent de "meilleurs" capitaux », explique Mélanie Gourarier. Ces meilleurs capitaux sont variés – social, économique ou symbolique – et vont en quelque sorte effacer le stigmate de la taille. On pense par exemple à Tom Cruise et son statut de sex symbol ou à Nicolas Sarkozy et son statut d’homme de pouvoir. « Les hommes relégués sur le banc des masculinités insuffisamment masculines cumulent en réalité plusieurs désavantages sociaux comme la classe sociale, l’âge ou l’origine », conclut l’anthropologue.

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Le poids de la masculinité est parfois si important qu’il pousse les garçons de petite taille à se mettre des barrières. « Si une fille grande me plaît, je me dis que quand elle va me voir, ça va être mort, explique Noël, 30 ans, 1,78 m. Je pense qu’une fille veut un mec qui fait au moins sa taille. » « C’est vrai que je vais me mettre un frein sur les nanas trop grandes », raconte également Etienne, 28 ans, 1,71 m, qu’une histoire récente a beaucoup fait réfléchir à la question.

L’été dernier, à un mariage, ce dernier tombe dingue d’une des invitées. Elle est belle, marrante, élégante, … et très grande. « Je ne pouvais pas rivaliser avec sa taille, même sur la pointe des pieds, je n’aurais pas pu l’embrasser », se rappelle Etienne. Au delà de la conquête, d’autres questions apparaissent. Serait-il lui-même à l’aise en couple avec une femme plus grande ? Ne se sentirait-il pas trop petit à côté d’elle ? Serait-il prêt à « inverser les rôles » ? « On attend de l’homme d’être protecteur et quand une grande nana sort avec un gringalet, l’image est choquante, explique-t-il. Si on était sorti ensemble, j’aurais forcément eu une insécurité. » Cet épisode le chamboule tellement qu’il écrit un poème. En voici quelques vers : « C’est tellement ancré dans nos mentalités; l’homme doit dominer, par sa taille, protéger. Ça peut paraître étrange mais l’inverse dérange : Une reine se doit d’être inférieure au roi. »

« Je n’ai pas envie de dire que la fille doit être protégée par son mec mais pour moi, il y a quand même quelque chose d’important dans ces rôles-là, explique Rose. Même si j’ai conscience que c’est complètement culturel et politique. » Ces rôles de genre sont profondément ancré dans la compréhension de la relation hétérosexuelle, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Ainsi, contrairement à ce que certains pourraient penser, ce ne sont pas les femmes qui sont responsables du « malheur » des hommes petits mais plutôt les stéréotypes de genre. Un homme grand, fort et plus âgé est aujourd’hui considéré comme plus désirable, tout comme l’est une femme plus petite, plus fragile et plus jeune. « Le caractère désirable de la petitesse des femmes renvoie également à un statut social féminin infériorisé : moins autonome, moins fort et plus fragile », fait remarquer Mélanie Gourarier.

La déconstruction des stéréotypes avance mais ils ont la peau dure. Le 29 mars, l’application de rencontre Tinder annonce la mise en place d’un logiciel pour vérifier la taille de ses utilisateurs masculins. Panique à bord : la vidéo engrange trois millions de vues et les boîtes mail du service client explosent. Quarante-huit heures plus tard, la pression redescend : c’était un poisson d’avril. Mais le service communication de l’entreprise en profite pour déclarer : « Nous souhaitions simplement vous sensibiliser au fait que seuls 14.5% de la population américaine fait plus d’1,80 m, contrairement aux très nombreuses descriptions Tinder qui pourraient faire croire l’inverse ! »

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