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Kopland

Les Comores : les îles de l'OM

L'Union des Comores rassemble une proportion impressionnante de passionnés de l'Olympique de Marseille. Stickers obligatoires sur les taxis et maillots bleus ciel à chaque coin de rue, le club marseillais est incontournable.

« Quand l'OM a gagné la Ligue des champions, c'était pire que le jour de l'indépendance ». Sourire aux lèvres, Mohamed Soulé, archiviste à Al-Watwan, principal journal de l'archipel, se remémore les plus beaux moments que son club de cœur lui a offerts. Et quand l'homme d'un âge avancé commence à parler de l'équipe phocéenne, difficile de l'arrêter. « On est dans un pays pauvre ici. Mais quand l'Olympique de Marseille s'est sauvé de la relégation, on s'est tous cotisés pour organiser une fête. On était tellement heureux… Il fallait bien marquer le coup », rembobine-t-il. À contrecœur, son collègue du service politique, et rare supporter de l'OL [Olympique lyonnais, NDLR] dans le pays, acquiesce. « C'est vrai que ce club surpasse tous les autres en terme de notoriété. Et c'est malheureusement pas prêt de s'arrêter, malgré les résultats », tacle le jeune journaliste.

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Avec plus de 120 000 Comoriens installés dans la cité phocéenne, contre moins du double dans la capitale Moroni, l'influence de l'OM est une évidence. L’immigration comorienne à Marseille trouve ses racines dans les années 60, soit quinze ans avant l'indépendance du pays. À l'époque, la plupart des arrivants sont ouvriers ou marins pour des compagnies maritimes reliant la Méditerranée à l'océan indien. Convaincue selon les dires par la « météo » et le « multiculturalisme » de la deuxième ville de France, cette communauté s'agrandit dans la discrétion. Aujourd'hui, quelque 10% de la population marseillaise sont originairse de ce petit archipel. De quoi surnommer la ville provençale « la cinquième île des Comores ». Mais lorsque cette communauté sort de l'ombre aux yeux des Marseillais, c'est pour évoquer un drame qui a marqué la France entière.

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Le 21 février 1995, le jeune Ibrahim Ali, Franco-Comorien de 17 ans, est abattu d'une balle dans le dos par un colleur d'affiches du Front national, alors qu'il courait vers son bus. À Marseille comme dans le reste de la France, des manifestations éclatent. Sur La Canebière, plus de 50 000 personnes crient leur indignation. Dans leurs rangs, de nombreux Comoriens. Du sud au nord de la France, cette communauté devient visible et fait entendre sa voix. Pas de quoi inquiéter Jean-Marie le Pen, qui qualifie le drame « d'accident », ayant permis de « révéler aux Marseillais eux-mêmes ce qu'ils ignoraient », la présence de 50 000 Comoriens dans leur ville.

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« On trouve surtout des modèles chinois qu'on se procure au marché. Quelle que soit la qualité, les gens sont tout de même fiers de les porter » – Razak, collectionneur de maillots de l'OM

Bien que cette période soit souvent évoquée comme une « fracture » par la communauté comorienne de Marseille, impossible de troubler l'image d'une ville accueillante pour les immigrés. Aux Comores, les années 90 restent avant tout marquées par un autre aspect de la ville : l'époque dorée de son club de foot.

« Si vous étiez venus aux Comores dans les années 90, l'OM représentait plus que du football. C'était un club cosmopolite au sein d'une ville multiculturelle. La plus grande ville comorienne du monde », rembobine Razak Tourqui, franco-comorien et supporter de l'OM depuis trente ans. Entre Marseille et les « îles de la lune », l'homme a pu constater l'influence du club sur ces deux territoires si éloignés l'un de l'autre. « Pour les Comoriens, c'était le club de Pelé, de Boli… Des gars considérés comme des ambassadeurs de l'Afrique. C'est aussi le premier club à gagner la Ligue des champions… Bref, c'était une équipe dont on a toujours gardé l'amour et la passion ».

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Preuve de cet « amour », sa collection impressionnante d'une vingtaine de maillots qu'il conserve à son domicile en Grande Comores. « La plus grande de tout le pays », confirment ses amis Youssouf Moussa 40 ans et Abdallah Hassan 25 ans, venus garder la maison de leur pote Razak pendant qu'il est en voyage à Marseille.

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Dans ce petit quartier en périphérie de la capitale Moroni, la ferveur de ses amis n'a rien à envier aux « Marseillais pure souche ». « Quand tu pars à Marseille tu pars aux Comores », justifie Youssouf, qui n'a pourtant jamais mis les pieds dans la cité phocéenne. Malgré ce sentiment de proximité, les moyens disponibles pour porter ses couleurs sont bien opposés. « Il n'y a pas de magasins de sport pour distribuer des maillots authentiques. On trouve surtout des modèles chinois qu'on se procure au marché », déplore Razak, le collectionneur, tout en insistant : « Quelle que soit la qualité, les gens sont tout de même fiers de les porter ».

À plus de sept mille kilomètres de la Commanderie, le centre d'entraînement de l'OM, le club inspire aussi des générations qui n'ont pas vécu la fièvre des années 90. Après avoir rangé religieusement les maillots un par un, Abdallah Hassan 25 ans se confie autour d'un café. « On a tous un cousin ou frère susceptible de nous ramener des maillots, dit-il. Même si je n'étais pas né à cette époque, j'ai vu beaucoup de reportages et documentaires sur la victoire de l'OM en Ligue des champions. J'ai enregistré et vu plusieurs fois la finale contre le Milan AC. J'espère qu'un jour on aura encore de grands joueurs comme Boli », lâche le jeune homme qui ne s'est également jamais rendu dans la cité phocéenne.

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Fort de cette passion qui transcende les générations, Razak le collectionneur et sa bande de fans ont fondé il y a deux ans « Juzr al OM » [les îles de l'OM, en arabe, NDLR]. Pour son président d'honneur Nizar Salim, l'événement relève alors d'un manque à combler. « Nous sommes partis du constat suivant : malgré le nombre de supporters olympiens dans l'archipel, ils ne pouvaient pas s'asseoir ensemble et regarder les matchs », se souvient l'ancien militaire qui a travaillé plusieurs années à Mayotte, avant de revenir à Grande Comore.

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Pour le grand gaillard, né à Paris mais ayant fait toute sa scolarité aux Comores, supporter l'OM sonnait comme une évidence. « Même si je ne suis pas né à Marseille, tout le monde regardait les matchs à la maison. C'était impossible de passer à côté. Je me suis aussi rendu plusieurs fois à Marseille chez de la famille ou des amis ». Une passion à cheval entre deux continents qui justifie la second objectif de Juzr : « Créer un lien avec les supporters à Marseille ».

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Figure de ce pont symbolique entre l'océan Indien et la Méditerranée : la banderole du groupe. « Un membre est parti à Marseille pour un voyage d’affaires. Or, l’OM jouait en demi-finale de la coupe d’Europe au même moment. Les ultras ont chopé la banderole de Juzr al OM et l’ont hissée dans le stade. Sur Facebook, les gens ont vu et ont compris que c'était du sérieux. De nouveaux adhérents ont débarqué », se souvient le président d'honneur. Une banderole lourde de sens, que les membres de Juzr ont aussi porté jusqu'au sommet du volcan Karthala, emblème des Comores. Un « passage obligatoire », selon Nizar.

Autrefois propriétaire d'un établissement dans la capitale où les supporters se rassemblaient, Nizar voit désormais plus loins. « J'ai acheté une affaire dans le nord de l'île, en bordure de plage. J'y ai déjà planté un mât. Les soirs de match, on pourra se réunir et hisser le drapeau de l'OM au sommet. Ça va être formidable », promet-il.

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En attendant les levées de drapeaux, c'est au Coelacanthe, un bar de la capitale doté d'une grande terrasse, que les supporters se réunissent pour regarder les matchs. Mais en cette soirée opposant le club phocéen à Amiens, seul le trésorier de Juzr, Abdelkader, a fait le déplacement. « Le coup d'envoi était à 17 heures, et beaucoup sont encore au boulot à cette heure-ci », justifie l'homme de 43 ans. Le regard sur l'écran, le supporter ne rate aucune action et prévient d'emblée : « Qu'on gagne ou qu'on perde, ça ne changera rien. Je resterai fidèle à mon club de cœur quoi qu'il arrive ».

Ce soir-là, son « club de cœur » écrase son adversaire 2 buts à 0, et le supporter exulte. Fier du résultat, il confie son rêve de se rendre à Marseille « pour la 1ère fois de ma vie, pour supporter l'OM au stade vélodrome ». Histoire de prouver à la cité Phocéenne qu'à Moroni aussi, « on craint dégun ».

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