Société

Les derniers mots prononcés par El Chapo avant son transfert dans une prison de très haute sécurité

Il a utilisé les dix dernières minutes de son procès pour se plaindre de ses conditions de détention et de la justice américaine.
derniers mots d'El Chapo
Image : Elizabeth Williams via AP

Quelques heures après que Joaquín « El Chapo » Guzman a été condamné à la prison à vie mercredi dernier, une équipe du United States Marshals Service (USMS) a chargé le chef du cartel de Sinaloa dans un hélicoptère, sans doute à destination d’une prison fédérale de très haute sécurité, dite « supermax », dans le Colorado, où le baron de la drogue de 62 ans devrait passer le restant de ses jours, seul dans une cellule de 7 m2.

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On ne le reverra probablement plus jamais.

Mais avant de disparaître à jamais de la scène publique, El Chapo a pu dire ce qu’il avait sur le cœur. Lors de son audience, le juge Brian Cogan lui a permis de s’adresser à la cour. Il a lu lentement un discours préparé en espagnol et relayé en anglais par un interprète. Voici l’enregistrement officiel de ce discours tel que retranscrit par un greffier, avec quelques notes explicatives pour plus de clarté :

JUGE COGAN : Très bien. M. Guzman, vous avez le droit à la parole. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez dire ?

EL CHAPO : Oui, Votre Honneur. Merci beaucoup.

Je vous remercie, Votre Honneur, de me laisser dire quelques mots. Dois-je me lever ?

JUGE COGAN : C'est vous qui voyez, M. Guzman. Je pense que vous devriez rester assis, il vous sera plus facile de parler dans le microphone.

EL CHAPO : Tout d’abord, je voudrais remercier ma femme et mes filles pour leur soutien inconditionnel tout au long de cette longue procédure. Elles m'ont soutenu et continueront de le faire. À ma mère, à mes frères, à mes sœurs et à tout le monde, à tous ceux qui ont prié pour moi et dont les prières m'ont donné la force de supporter cette torture que je subis depuis trente mois. J'aimerais également remercier mes avocats et les défenseurs publics, en particulier les avocats Michele et Michael, ainsi que tous les assistants juridiques.

Lors de son procès, El Chapo a été représenté par trois avocats : Jeffrey Lichtman, William Purpura et Eduardo Balarezo. Dans les mois qui ont suivi son extradition du Mexique, il a été défendu par les avocats commis d'office Michele Gelernt et Michael Schneider.

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EL CHAPO : Comme vous le savez, Votre Honneur, les conditions de détention dans lesquelles j'ai vécu ces trente derniers mois ont été une véritable torture. J'ai dû boire de l'eau insalubre. On m'a refusé l'accès à l'air frais et à la lumière du soleil. La seule source de lumière dans ma cellule passe par un conduit, et l'air qui entre par la ventilation me fait mal aux oreilles, à la gorge et à la tête. Pour dormir, je dois utiliser des bouchons en papier toilette à cause du bruit que fait le conduit d'aération et cela m'a beaucoup affecté pendant tout ce temps.

À la suite de son extradition en janvier 2017, El Chapo a été emprisonné au Metropolitan Correctional Center, un centre fédéral de détention situé à Manhattan, dans l’État de New York. Ses avocats n’ont cessé de remettre en question les conditions de sa détention, faisant valoir que l’isolement extrême – El Chapo était seul dans une cellule 23 heures par jour, sans possibilité d’exercice en plein air – était assimilable à la torture. Le juge Cogan a rejeté à plusieurs reprises ses demandes de soulagement, dont une bouteille d'eau et de bouchons d'oreille normaux, après que les procureurs ont fait valoir qu'il pourrait utiliser ces objets pour d’une tentative d’évasion.

EL CHAPO : Ma femme n’a pas été autorisée, à ce jour, à me rendre visite. Je n'ai pas eu le droit d'embrasser mes filles. C'est de la torture psychologique, émotionnelle et mentale, 24 heures sur 24. Avec tout le respect que je vous dois, ça a été de la torture. C’est la situation la plus inhumaine que j’ai vécue dans ma vie. Il y a eu un manque de respect pour ma dignité humaine. J'ai été forcé… ces trente derniers mois ont été marqués par la torture alors que nous sommes au XXIe siècle. Nous ne devrions pas être soumis à ces traitements cruels et inhumains.

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El Chapo n’a pas pu voir sa femme, Emma Coronel, sans doute parce qu’elle est soupçonnée de l’avoir aidé à orchestrer son évasion d’une prison mexicaine en 2015. El Chapo s'est également vu refuser les visites de ses jumelles de 7 ans, bien qu'elles aient été autorisées à le voir en prison. El Chapo fait également l'objet de « mesures administratives spéciales », qui lui interdisent tout contact avec une personne autre que ses avocats et ses plus proches parents. En vertu de ces restrictions, quiconque transmet un message d’El Chapo pourrait faire l'objet de poursuites judiciaires.

EL CHAPO : Je remercie les gardiens de prison. Le bon traitement qu'ils m'ont réservé m'a permis de supporter cette torture. Et aux Marshals qui, pendant les trois mois qu’a duré mon procès, m'ont fait venir ici, m'ont transporté de la prison au palais de justice et du palais de justice à la prison.

Lorsque j'ai été extradé aux États-Unis, je m'attendais à un procès équitable, un procès où la justice fermerait les yeux et où ma renommée, ma réputation, ne serait pas un facteur déterminant dans l'administration de la justice. Mais il s’est passé le contraire, même si vous, Votre Honneur, avez donné au jury l'ordre de ne pas regarder les médias et que les jurés ont promis de suivre les règles. Ils ont fait le contraire. Ils ont lu tous les articles qui m’exposaient aux accusations les plus horribles, des accusations qui étaient fausses. À cause de ces accusations, je n’ai pas pu être jugé uniquement sur la base des preuves présentées lors du procès.

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Un membre du jury a confié à un journal que certains de ses collègues avaient violé la loi et vous avaient menti. Face à cette situation, vous avez décidé de ne rien faire. Vous n’avez pas voulu interroger ne serait-ce qu’un membre du jury pour déterminer si justice m’était rendue, tout simplement car cela aurait donné lieu à un nouveau procès, un procès où, cette fois, j'aurais obtenu justice.

El Chapo fait référence à l’interview d’un juré anonyme publiée par VICE News le 20 février, huit jours après sa condamnation. Le juré avait alors déclaré que plusieurs membres du jury avaient désobéi aux ordres du juge et lu des articles sur l'affaire dans les médias, y compris des rapports selon lesquels un témoin du gouvernement accusait El Chapo d'avoir drogué et violé des jeunes filles d’à peine treize ans.

EL CHAPO : Vous avez affirmé que les actions du jury n’étaient pas importantes car il y avait beaucoup de preuves de culpabilité contre moi. Si tel était le cas, je vous le demande, pourquoi être allé au tribunal ? Pourquoi ne pas m’avoir condamné dès le premier jour ? De toute évidence, le jury n'était pas essentiel.

Le juge Cogan a refusé la demande d’El Chapo pour une nouvelle audience préliminaire au motif que la « montagne de preuves » qui l’accablait durant le procès l'emportait sur tout préjudice qui aurait pu être causé par ce que le jury aurait pu voir ou entendre en dehors de la salle d'audience au sujet de l’affaire.

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EL CHAPO : Étant donné que le gouvernement des États-Unis va m’envoyer dans une prison où l’on n’entendra plus jamais parler de moi, je profite de cette occasion pour dire qu’il n’y a pas eu de justice ici. Mon cas a été souillé et vous m'avez refusé un procès équitable alors même que le monde entier regardait et que la presse était présente, jugeant les actions de chacun à chaque instant.

Ce qui s'est passé ici montre clairement que les États-Unis ne valent pas mieux que tous les autres pays corrompus que vous ne respectez pas.

Merci, Votre Honneur.

LE JUGE COGAN : Merci, M. Guzman.

Après son intervention, le procureur adjoint Gina Parlovecchio a fait valoir que « justice avait été faite » avec la condamnation d’El Chapo. Elle a également souligné qu’il semblait impénitent dans ses dernières déclarations.

« Tout au long de sa carrière criminelle, l'accusé n'a pas montré la moindre once de remords pour ses crimes et il nous l’a prouvé encore une fois aujourd'hui, a-t-elle déclaré. Il n'est en aucun cas désolé pour les crimes qu’il a commis. »

Une transcription complète de l'ensemble de la procédure est disponible ci-dessous en anglais :

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