Music

Dans la tête du psy qui murmurait à l’oreille des rappeurs

On est allé à la rencontre de Fernando de Amorim, le psy de « Thérapie », nouvelle série Viceland, qui a couché Guizmo, Liza Monet ou Alkpote sur le divan.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
viceland thérapie
Image DR

En 2017, lors d’une journée intitulée Lacan rappeur, organisée par l’Ecole pratique des hautes études en psychopathologies, Manuella Rebottini, psychanalyste, commençait ainsi son intervention : « Le rap joue du bâton phallique et se distingue par joute oratoire. Il promeut le sens avec pléthore de démonstrations d’autosatisfaction et de glorification du moi, ouvrant le champ lexical à l’isotopie sémantique moïque. »

Publicité

Après avoir recherché le sens de chaque mot pour être sûr qu’on parlait bien de bite et de surmoi, je me suis dit qu’elle avait plutôt raison et je me suis promis d’en parler avec Fernando de Amorim, le psychanalyste de Thérapie, la nouvelle série Viceland (tous les mercredis à 22 heures) qui le voit se confronter à des profils de rappeurs assez différents – Guizmo, Liza Monet, Sofiane, Isha, Alkpote ou Lino. Il ne m’en a pas laissé le temps.

« Chaque. Mot. Compte ».

Assis dans un fauteuil pourpre, celui qu’il utilise quand il reçoit des patients dans son cabinet de la rue Lentonnet, Fernando de Amorim s’adonne à une de ses marottes : corriger son interlocuteur : « Je ne supporte pas le terme "psy". Je me suis toujours refusé à utiliser ce mot parce qu’il est le résultat d’une interprétation erronée. Comme la société n’a pas très bien compris le rôle des "psychistes", il y a une confusion autour de leur activité. »

D’ailleurs, Fernando de Amorim n’aimait pas non plus le mot « Thérapie ». Il lui reprochait de ne pas dire exactement les choses, notamment sur la fonction de cette technique de soin et le rôle du thérapeute. « Le fait même de parler de thérapie vient anéantir un peu la puissance de l’expérience », assure-t-il. Et puis il a fini par l’accepter.

Dire que Fernando de Amorim est à cheval sur le langage est un euphémisme. Installé dans le IXe arrondissement de la capitale, le psychanalyste pèse chaque mot avant de les enrober de son accent brésilien. Né à Recife en 1961, il s’est installé en France avec sa femme, psychanalyste de formation et a obtenu la nationalité du pays à la naissance de leur troisième enfant en 1997.

Publicité

Après avoir travaillé à l’hôpital Avicenne de Bobigny, il a fondé le Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital, illustrant sa volonté « d’associer médecine et psychanalyse » pour le bien du patient. Costume sur mesure, un peu tiré à quatre épingles, il ne dénote pas avec le classicisme de la pièce : moquette et rideau de velours, reproduction des Raboteurs de parquet de Caillebotte accrochée au mur et bibliothèque fournie en Platon ou Aristote.

1571235082487-Fernando-de-Amorim

Il reprend le fil de la discussion et répète : « C’est fondamental de faire ces remarques parce qu’en France, le mot compte ». Soit. Pour reprendre la définition donnée par le docteur Jean-Victor Blanc dans Pop & Psy, comment la pop culture nous aide à comprendre les troubles psychiques, le psychothérapeute exerce la psychothérapie, technique de soin utilisant la parole à l’aide d’entretiens réguliers, individuels ou en groupe. Quant à la psychanalyse, c’est une forme de psychothérapie issue de la méthode établie par Sigmund Freud à la fin du XIXe siècle.

Fernando de Amorim est un psychothérapeute qui pratique la psychanalyse. Accessoirement, il n’est pas fan de rap. S’il a bien voulu tenir séance devant la caméra, ce n’est pas pour les artistes mais pour les jeunes qui les écoutent. « J’ai accepté de bon cœur cette expérience pour eux et parce que j’avais une inquiétude : le message que les rappeurs arrivent à faire passer par leur articulation signifiante. » Pour lui, difficile de fermer les yeux sur ces agencements de mots qui forment souvent des « insultes » et qui n’ont aucune chance de « tirer l’être vers le haut. »

Publicité

« L’anglais parlé en Amérique a perdu de sa substance littéraire et poétique alors qu’avec la langue française, on est richement servis » – Fernando de Amorim

Il expose un regret. La France est la deuxième puissance économique en matière de rap derrière les États-Unis. Une position qui lui confère un sacré pouvoir. Problème : ce dernier serait, selon lui, très mal utilisé. Pas de quoi en tenir rigueur à ses interlocuteurs pour autant. « Je ne suis jamais dans la recherche d’écraser le discours de l’autre mais toujours dans la tentative de le faire grandir – c’est la responsabilité éthique que nous avons », précise Fernando de Amorim.

Et cela peut passer par la manifestation d’un désaccord. L’egotrip dans le rap ? « Attirer l’attention, c’est de l’ego boursouflé, mon travail, c’est de le dégonfler ». La haine de la police ? « Une absurdité. En son absence, les pires pulsions se déchaîneraient ». L’influence américaine ? « L’anglais parlé en Amérique a perdu de sa substance littéraire et poétique alors qu’avec la langue française, on est richement servis ».

On en revient toujours à cet amour du logos. « Quand les gens parlent Français, cela produit un effet psychothérapeutique ou psychanalytique, c’est-à-dire un effet transformateur. Le Français est un trésor de signifiants. Une expression utilisée par Jacques Lacan quand il parle du grand Autre. C’est un truc un peu technique mais c’est de la plus haute importance. »

Publicité

Fernando de Amorim réfute tout élan moralisateur. Il élève la voix, cite Souchon et son Sous les jupes des filles. La discussion à bâtons rompus se termine avec la sensation d’avoir joué le rôle de Jennifer Melfi plutôt que celui de Tony Soprano. Est-ce qu’il pense avoir réussi à faire passer le message qu’il voulait à ses nouveaux patients ?

Il n’a pas voulu revoir sa prestation : « Pour moi c’est du passé. Je suis un clinicien, chaque jour, je me lève et je recommence », sourit-il, taquin. « J’ai beaucoup insisté sur la question de l’école. J’ai voulu savoir quelle était la relation de ces personnes avec l’enseignement, le savoir et l’autorité que peut représenter l’enseignement, celle que peuvent représenter les parents. »

Et il conclut en citant une dernière fois Lacan : « De toute façon, un psychanalyste ne doit jamais se dérober ». Question de principes.


Thérapie, tous les mercredis sur Viceland à 22 heures, à partir du 16 octobre jusqu'au 20 novembre