Climat : Cannelle Grosse Territoires Submersibles de la côte belge
Youth For Climate

Photos des territoires belges menacés par la montée des eaux

Qu’on le veuille ou non, le réchauffement climatique menace la Belgique. Et quoi qu’on fasse, c’est déjà trop tard.
Gen Ueda
Brussels, BE

Youth For climate, la série qui prend la température auprès de ces jeunes qui sont « plus chaud·es que le climat ».

Avec la Mer du Nord comme dernier terrain vague, la Belgique est directement concernée par la montée des eaux. Celle-ci est lente mais certaine. En cause, la fonte des calottes glaciaires provoquée par réchauffement climatique. Et quels que soient les efforts humains futurs, le niveau de la mer va continuer à monter pendant des siècles. Des parties de territoires seront submergées et le paysage belge va se redessiner sans cesse. C’est inévitable.

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Dans les villes côtières belges, des digues et des dunes artificielles sont installées par les localités afin de ralentir la montée des eaux. Cannelle Grosse est une photographe française installée à Bruxelles depuis plusieurs années. Dans sa recherche, elle dresse une cartographie de ces lieux. Elle les inventorie et les immortalise, avant qu’ils ne disparaissent à jamais. Sa pratique artistique dépasse le cadre de la photo en elle-même, puisqu’elle imprime ses images sur du papier thermique, sensible à la chaleur. Lorsque les photos sont exposées dans une galerie, les photos s’effacent peu à peu, à mesure que le public passe devant et dégage sa chaleur corporelle. Si ces photos constituent d’abord les traces d’un territoire menacé, elles renvoient sans équivoque, mais sans violence, à nos comportements. Ce projet s'appelle « Territoires Submersibles ».

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VICE : Salut Cannelle, comment t’en es venue à t’intéresser à la situation sur la côte belge ?
Cannelle: J’étais déjà assez engagée sur les questions climatiques. Quand je suis arrivée à l’erg, je suis tombée sur un article du Soir qui parlait de la montée inévitable des eaux. Le cinquième rapport du GIEC est sorti à peu près à ce moment. Les gouvernements ont commencé à envisager des solutions. L’un des plans du gouvernement belge a été de protéger une zone par des îles artificielles, des dunes et des digues. En gros, ça consistait à préserver la partie qui s’étale de Ostende à Knokke et sacrifier une autre partie de la côte, moins touristique et habitée par des personnes moins aisées. J’ai commencé à photographier ces zones. Dès qu’on se balade sur la côte, on voit des chantiers de digues et de résidences de luxe sur une partie, et des maisons en vente sur l’autre. Je pensais que je ne verrais rien, mais il se passait déjà plein de trucs. Ça a duré quatre ans. Tous les quinze jours je reprenais à pied le chemin que j’avais arrêté deux semaines plus tôt.

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« Ça implique bien plus de que de ne plus pouvoir se baigner là où on pouvait se baigner avant. »

Tes photos, c’est surtout l’expression d’un état d’urgence.
C’est un constat présent et une hypothèse. On sait que la submersion va arriver mais donner des chiffres reste compliqué. Les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas faciles à estimer mais les enjeux sont réels.

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Quelle a été ta méthode de travail pour ce projet ? Il y a un rapport spécifique à la matière.
Je me suis rendue sur toutes les terres dont le niveau était compris entre zéro et six mètres. J’ai tout recensé. J’ai 4700 photos je crois. Ce que je voulais, c’était de trouver une manière de représenter physiquement la menace du réchauffement à travers le médium. Il fallait que l’image devienne cette disparition; qu’elle l’incarne vraiment. J’ai imprimé sur du papier thermique, qui noircit avec la chaleur. Du coup, le papier photo matérialise physiquement cette question de chaleur comme cause de la disparition de ces terres.

« Le réchauffement climatique n’est pas une question individuelle. »

Du coup, on ne peut pas regarder tes photos hors exposition, sans cet effet d’effacement de l’image dû à la chaleur ?
Mon projet, c’est cette histoire de disparition du territoire, mais c’est aussi une base de donnée d’images. C’est une archive; un état des lieux. Là c’est comme ça, et dans un an ce sera différent. Il y a des endroits qui n'existent plus, soit parce qu’ils ont déjà été submergés, soit parce que ça devient trop dangereux de s’y promener, soit parce qu’il y a des travaux. Le territoire a beaucoup changé en quatre ans. Donc si, on peut voir ces photos sans l’expérience physique du papier thermique : c’est le côté répertoire du projet. Mais il faut le contexte. L’image ne peut pas tout dire et on y voit ce qu’on a envie d’y voir. Je pense qu’elles n’ont de sens que quand elles sont mises en lien avec ce récit de la disparition. S’il n’y a plus ce récit là, on voit plus rien et ça devient juste des photos de stations balnéaires désertes.

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Qu’est ce que ces photos racontent de nous et de nos comportements ?
Ce qui m'intéresse au-delà de la prise de conscience, c'est la prise de corps. Sur les questions climatiques particulièrement, on parle beaucoup de faire prendre conscience aux gens, mais je crois que les gens doivent prendre corps aussi, c’est-à-dire se rendre compte du rapport sensible au territoire. Ce projet a soulevé beaucoup plus de questions chez moi que ce que je pensais : qu’est ce que perdre son territoire, de devoir partir ? Qu’est ce qu’un refuge ? Qu’est ce qu’un attachement à la terre ? Je viens d’un milieu prolétaire où l’on travaille pour se mettre à l’abri. Le rapport qu’on a au travail, c’est que ça. Et là, d’un coup, on peut te dire que t’as travaillé toute ta vie pour te mettre à l’abri, mais que cet abri est une menace, que l’eau va s’engouffrer et que ta maison va devenir un piège. La question du refuge est devenue centrale. J’ai retrouvé des réponses à ces questions dans celles des luttes palestiniennes, par exemple. C’est des gens qui se battent pour retrouver leurs terres qu’iels ont dû quitter. Qu’est ce que ça veut dire, devoir partir de chez soi ? Ça implique les questions de territoire occupés, de frontières, de migrations. Nos frontières ne veulent plus rien dire : en Belgique, le trait de côte est en train de modifier le territoire. Comment on peut défendre une terre ? Ici, c’est pas une question de grand remplacement mais de la mer qui monte, de lacs qui s'assèchent. Ça a un impact sur l'agriculture, les rivières n’irriguent plus les champs, par exemple. Ça implique bien plus de que de ne plus pouvoir se baigner là où on pouvait se baigner avant.

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Selon toi, qu'est ce qu’on peut faire ?
J’ai du mal avec la notion de culpabilité. Quand je parle de prise de corps et prise de conscience, c’est dans le but de s'organiser plus de que culpabiliser. Culpabiliser n’est ni positif, ni juste. Le réchauffement climatique n’est pas une question individuelle. On connaît tou·tes les discours sur le fait de prendre moins de bains, de couper l’eau quand on se brosse les dents, de faire attention au plastoc, etc. Le truc, c’est qu’on peut prendre des mesures tant qu’on veut, mais les grandes industries sont au-dessus. Et tant qu’on ne s’organise pas contre ça, je ne suis pas sûre qu’individuellement on puisse avoir un impact. En Europe, on prend des directives écologiques mais on continue à produire en Chine, et on leur tape sur les doigts parce qu’ils brûlent des énergies fossiles. Sauf qu’ils produisent massivement pour nous, en fait. C’est assez hypocrite. Faut remettre les débats aux bons endroits.

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