violences policières
ILLUSTRATION : JAMES NOELLERT
Société

Ces Belges issu·es de minorités racontent les violences policières subies

« Quand quelque chose m’arrive, je n'ose pas le signaler à la police. Elle ne me donne pas un sentiment de sécurité. Au contraire, elle s’avère plutôt être un danger pour mes proches et moi. »
Tilke Wouters
Ghent, BE

Début octobre, trois policiers ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour une agression sexuelle présumée sur une femme l'année dernière à Modave, près de Huy. Un peu plus tard, Extinction Rebellion a fait la une des journaux en raison des violences policières survenues lors de la manif pour le climat à Bruxelles.

Cet été, Mehdi, 17 ans, s’est fait poursuivre et mortellement percuter par une voiture de police alors qu’il tentait de fuir un contrôle. L'enquête est toujours en cours pour éclaircir les circonstances, mais l’image de la police en a pris un sale coup.

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Au sein même de la police, le malaise est palpable : un préavis de grève vient de tomber. Selon une enquête récente, un·e policier·e sur cinq se plaint d'avoir été victime de discrimination ; un·e sur quatre de harcèlement sexuel.

Récemment, mes ami·es, ma copine et moi avons aussi été victimes de violences policières en raison de notre identité queer. J’accompagnais un groupe d'ami·es queer à une manifestation contre les violences policières à Bruxelles. Après la manif, on a voulu boire un verre ensemble. On était juste au coin de la rue de la manif et on venait de ranger notre drapeau arc-en-ciel, quand on s’est fait encercler par la police.

Quand ma copine se fait arrêter, je demande qu'iels la traitent moins violemment. Iels m'ont repoussée. Je franchis une barricade pour pouvoir aller avec elle et au moins savoir où elle sera emmenée. Encore une fois, je suis écartée et je ne reçois aucune information. Je reste là, sur le trottoir, avec le GSM de ma copine. Je demande à être emmenée avec elle mais la police refuse et veut nous séparer.

Par la suite, on a demandé à d’autres groupes présents lors de la manifestation, mais apparemment, on était les seul·es à être ciblé·es. Je ne peux que conclure que c’était la raison pour laquelle la police s’en est prise à nous. Ajoutez à ça leurs commentaires acerbes sur notre identité queer…

Intimidation, violence et comportement irrespectueux, les cas de violences policières à l'encontre des minorités sont nombreux et ne sont que très rarement dénoncés. Cet article rassemble les témoignages de quelques unes de ces personnes qui ont bien voulu partager leur histoire.

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Yasmina (32 ans) est une femme d’origine marocaine

Yasmina

À l'âge de 12 ans, j’ai réalisé que la police n'était pas là pour aider les gens d'origine marocaine comme moi. À l’époque, mes parents étaient allés à Bruxelles pour visiter une maison. Les propriétaires étaient extrêmement racistes et ont attaqué mes parents une fois à l'extérieur. Mon père a dû être conduit à l'hôpital en ambulance et a eu les côtes brisées.

La police était là ; elle a observé la scène pendant quelques minutes depuis la voiture, et est partie. Iels ont tout vu et ont consciemment décidé de ne rien faire. Ça a été déshumanisant de savoir que la police ne jugeait rien de tout ça assez important pour intervenir.

« Quand j'étais enfant, j'avais déjà remarqué que mon père devait toujours présenter sa carte d'identité sans raison apparente. »

Mes parents ont dû me mettre en garde dès mon plus jeune âge contre le racisme structurel, et contre le racisme tout court. Quand j'étais enfant, j'avais déjà remarqué que mon père devait toujours présenter sa carte d'identité sans raison apparente. Voir mes ami·es violenté·es par la police est également chose récurrente. Une fois, avec mon père, on a été arrêté·es dans la voiture. On avait traversé au vert, mais la police affirmait l’inverse.

J'essaie d'intervenir autant que possible quand je suis témoin de violences policières. Cependant, en tant que femme, je ne suis jamais prise au sérieux ; comme si mon opinion n’importait pas. Si un homme blanc en costume devait intervenir, ce serait peut-être différent.

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Comment peut-on s’attendre à ce que tout le monde soit protégé s'il n'y a aucune représentation des minorités au sein même de la police ? Il faut que plus de personnes de couleur, queers et autres minorités travaillent pour elle. La police doit d'abord assumer ses responsabilités et être capable d’admettre que cette violence et ce racisme sont bien réels. Iels doivent être formé·es ; pas seulement sur les compétences pratiques, mais aussi sur ce que signifie être victime de discrimination ou sur la manière dont les personnes de couleur sont arrêtées plus facilement et jugées plus sévèrement.

« La police montre montre ses premiers signes de faiblesses car on descend enfin dans les rues pour s’exprimer. »

Quand quelque chose m’arrive, je n'ose pas le signaler à la police. Elle ne me donne pas un sentiment de sécurité. Au contraire, elle s’avère plutôt être un danger pour mes proches et moi. Quand il y a des policier·es présent·es dans la rue, je me sens extrêmement tendue. Les personnes de couleur sont également extrêmement sous-représentées dans les manifestations. Et c’est simplement dû au fait qu’elles sont directement visées par la police.

Je veux avoir de l'espoir, mais je ne suis pas optimiste. Dans la polarisation et la législation actuelle de la société, la répression devient d’autant plus tangible. La police applique les ordres d'en haut.

Utilisez votre privilège si vous êtes témoin de violence. Utilisez votre voix et prenez vos responsabilités, sinon vous serez complice. On doit prendre soin les un·es des autres, maintenant plus que jamais. La police montre montre ses premiers signes de faiblesses car on descend enfin dans les rues pour s’exprimer.

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Shana* (39 ans) est une personne transgenre

Ma première expérience de violences policières a eu lieu à l'âge de 14 ans lors d'une manif étudiante. J'ai été soulevée et poussée au sol, les cheveux tirés en arrière. On m'a aussi crié à la gueule. C’était violent et douloureux. À ce moment-là, on a réalisé qu'il n'y avait pas de justice en fin de compte, juste une violence qui tente de nous empêcher de défendre nos droits.

En 2007, je suis allée à un sommet anti-G8 en Angleterre. Cela coïncidait avec la période où j'étais en transition, j’avais donc commencé à m'identifier et à m'exprimer en tant que femme. Là aussi, leur violence et leurs provocations étaient tangibles. Cependant, j’ai aussi compris qu'il existait des moyens de gagner contre la police. On peut renverser la balance, en venant en masse et en étant plus nombreux·ses qu’elleux aux manifestations, par exemple.

Lors d'une manifestation anti-NSV (un mouvement d’extrême droite flamand), je me suis sentie pour la première fois visée en tant que femme transgenre. Mes ami·es et moi avons été encerclé·es sans raison par la police. Sur le chemin vers le commissariat, iels ont tenu de nombreux propos homophobes et transphobes.

« Iels ont pris mon sac à main et tout mon maquillage est tombé. On m’a fait des commentaires du type : "T’es une pédale ou quoi ?". Dès que j'ai répondu, je me suis pris un coup dans la gueule. »

Dans le bureau, je me suis disputée avec un flic parce que je ne voulais pas être enfermée avec les hommes. Il ne voulait pas me mettre chez les femmes donc pour ne pas provoquer d’autres scènes ; j’ai été placée en cellule d'isolement. À un moment, je me tenais seule dans le couloir et des agents ont soulevé ma jupe et se sont moqués de moi.

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Un jour, j'ai rejoint un groupe de militant·es belges pour former un blocus dans un centre fermé en France. On a également été arrêté·es là-bas par des policier·es qui étaient visiblement de droite, et extrêmement haineux·ses. J'ai été mise à l’écart et j'ai dû me déshabiller. J’ai même dû enlever mon soutien-gorge ; mes seins étaient exposés. J'ai passé 12 heures en isolement. C'était vraiment horrible.

J’ai vécu dans un squat pendant deux ans avec d’autres personnes et la police voulait nous mettre dehors. Après un long combat pour y rester, la police m’a arrêtée. Iels ont pris mon sac à main et tout mon maquillage est tombé. On m’a fait des commentaires du type : « T’es une pédale ou quoi ? ». Dès que j'ai répondu, je me suis pris un coup dans la gueule. Aujourd’hui encore, 90 % de mes cauchemars sont liés aux violences policières.

Xander (27 ans) est une personne non-binaire

Xander

Quand j'avais 17 ans, j’ai voulu quitter la maison à cause de violences domestiques. J’ai voulu le signaler à la police. Iels sont venu·es me chercher chez moi et j'ai ensuite dû essayer d'expliquer sept ans de violence en une demi-heure. J'ai ensuite oublié de demander une copie de la déclaration et quand j'ai appelé le lendemain, il s’est avéré que rien n’avait été enregistré. Je devais donc revenir et refaire toute ma déclaration devant un agent apathique. L’expression « ACAB » a alors pris tout son sens pour moi.

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À la gare, il y avait souvent des contrôles de police. Ils semblaient aléatoires, pourtant on me chopait à chaque fois. Normalement, on a le droit de connaître le motif de la vérification d'identité, mais ce n'est jamais respecté. Parfois, iels promettent de le dire a posteriori, mais cela n'arrive pas souvent. La raison la plus absurde que j'ai jamais entendue était : « Normalement, les gens nous sourient ou nous ignorent. Mais toi tu as l'air tellement en colère qu’on devait t’interpeller. » On me demande souvent si j'ai de la drogue ou des armes illégales sur moi. Quand je réponds que non, iels ne me croient pas et me menacent.

« Les fascistes ont pu partir après un simple contrôle, mais nous, on a été menotté·es et arrêté·es. Soi-disant pour éviter d’aggraver la situation. »

Il y a quelques années, il y a eu l’inauguration d’un bateau de réfugié·es sur le Muide, à Gand. Il y avait alors une manifestation Voorpost/Vlaams Belang contre l'accueil des réfugiés. Comme on savait qu’on ne devait pas compter sur la police pour la protection des réfugié·es et des personnes de couleur, on y est allé·es aussi. On a remarqué qu'un certain nombre de fascistes se sont rendu·es dans une rue connue pour se confronter à des résident·es de couleur. On est allé·es dans cette rue pour les protéger, au cas où. Tout à coup, des flics sont venus de partout. On a tou·tes été placé·es contre le mur, avec les fascistes aussi. On a tou·tes dû remettre notre carte d'identité. Les fascistes ont pu partir après un simple contrôle, mais nous, on a été menotté·es avec des câbles et arrêté·es. Soi-disant pour éviter d’aggraver la situation.

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L'incident le plus récent a eu lieu lors de la Belgian Pride. On avait des bannières avec des messages dessus. Avant même de les dérouler, on a été encerclé·es pendant plusieurs heures par des agents anti-émeute dotés de boucliers et des matraques. Iels nous provoquaient. C'est quelque chose qui, sous les ordres du commissaire Vandersmissen, arrive assez souvent à Bruxelles. À la fin, on nous a relâché·es, mais seulement après avoir remis une copie de notre carte d'identité. Beaucoup de personnes sont parties avec des blessures et des cicatrices. Il est clair que la police n'est là que pour protéger l'ordre établi et le capitalisme ; pas nous.

On doit tou·tes faire bouger les choses par en haut et non par en bas. On doit s’organiser encore plus. On doit trouver une nouvelle façon de vivre ensemble.

Sarah* (29 ans) est une femme de couleur et handicapée

Ça a commencé par de petites choses. Par exemple, quand je fumais une cigarette dans la rue et que la police me demandait ma pièce d’identité sans raison. La première fois, je ne savais pas comment réagir. À la maison, je n’avais jamais été préparée à faire face au racisme, car j’ai été adoptée par une famille blanche privilégiée.

On me parle toujours dans une langue différente, car on suppose que je ne parle pas le néerlandais, alors que j’ai une carte d'identité belge et que je parle la langue. Ça me choque toujours.

Au bout d’un moment, j’ai réalisé que c'était injuste que je sois la seule à devoir présenter ma carte d’identité et pas la personne blanche avec moi. Quand je demande pourquoi, les flics s'énervent, sans jamais donner de réponse claire.

Le fait que je sois une femme handicapée de couleur fait de moi une cible facile. Il y a eu des moments où je ne suis plus sortie de chez moi car je ne voulais pas prendre le risque d'être prise pour cible.

« Je dois conscientiser les gens sur le fait que la violence policière existe. C'est très blessant lorsqu'un incident se produit et que personne ne te croit. »

Je me sens souvent en danger dans la rue. Je dois faire plus attention à cause de ma vulnérabilité, c’est une liberté dont on m’a dépourvue. Et s’il m’arrive quelque chose, appeler la police n'est pas une option. Elle n’est pas là pour moi, seulement pour les privilégié·es. Ce dispositif de sécurité a complètement disparu en ce qui me concerne.

Un jour, la police m'a suivie en voiture, alors que je ne peux pas dépasser les 17km/h avec ma mobylette. C’est tout simplement parce que j’ai l’air un peu différente. On pense que je suis moins intelligente parce que j'ai un handicap physique et que je suis racisée. Immédiatement, on me colle des étiquettes, telles que autiste ou stupide. On pense aussi souvent que je suis sous l'influence de l'alcool et de la drogue.

J’ai accumulé en moi un tel sentiment de honte. Devoir mettre de côté son identité et son expression est extrêmement douloureux. Je dois souvent conscientiser les gens sur le fait que la violence policière existe. C'est très blessant lorsqu'un incident se produit et que personne ne te croit. Qu’attendons-nous pour que ça change ? Faut-il encore que d’autres limites soient dépassées ? Le silence n'est pas une solution, car on se conforme à la censure.

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