Les narcos et le foot : l'équipe espagnole gérée par un baron de la drogue

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Les narcos et le foot : l'équipe espagnole gérée par un baron de la drogue

En trois ans, la Juventud Cambados est arrivée jusqu'en troisième division grâce, notamment, à l'argent du narcotrafiquant Sito Miñanco.

Dans les années 90, une équipe a suscité l'intérêt de toute l'Espagne. La Dream Team de Johan Cruyff ? Non, on ne parle pas ici du FC Barcelone ou d'une équipe du haut de tableau de la Liga, mais d'un club beaucoup plus modeste.

La Juventud Cambados, club d'une petite ville de seulement 13 000 habitants, a connu une ascension fulgurante, des Rias Baixas de Galice jusqu'à la Segunda B, la troisième division… en seulement trois ans. A cette époque, Cambados est devenue la troisième équipe de Galice et le club a réussi à payer de meilleurs salaires que les deux clubs historiques de la région, le Deportivo La Corogne et le Celta Vigo.

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De toute évidence, derrière le succès de Cambados il y a la figure d'un mec un peu chelou, qui fait du business qui l'est tout autant. Il s'agit de Sito Miñanco. Grâce à l'argent de la drogue, cette équipe de cinquième division n'a cessé de grimper les échelons et, si la police ne s'était pas intéressée à son cas, elle aurait pu finir sa course en première division.

Sito Miñanco, applaudi par ses joueurs lors de la montée en troisième division. Photo via le Diario de Pontevedra

« A cette époque, personne ne savait que Sito faisait du trafic de cocaïne, a expliqué à VICE Sports Benito Leiro, journaliste et expert dans le trafic de drogue. Tout le monde pensait qu'il travaillait dans le tabac. Si quelqu'un le savait, il se gardait bien de le dire. » Le narco savait cacher les apparences et ça ne posait pas de problème aux gens qu'un homme aussi généreux que lui soit à la tête du club.

« Il voulait gagner les faveurs de ses compatriotes et il finançait des fêtes de villages. Le football, bien sûr, relevait clairement du même objectif, explique Nacho Carretero, journaliste galicien et auteur de de Fariña, livre qui évoque le narcotrafic en Galice. Beaucoup de narcos galiciens ont essayé d'imiter les grands barons étrangers, en particulier Pablo Escobar. Sito en est le meilleur exemple ».

A l'instar d'Escobar, Miñanco était un passionné de football. Il achète le poste de président en 1986 et concède de lourds investissements pour faire signer les meilleurs joueurs de la région, des clubs de Pontevedra et Ourense notamment. La saison 1988-1989 a été historique : pour la première et la seule fois de son histoire, la Juventud Cambados a joué en troisième division.

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Lors de sa première année en Segunda B, Cambados termine à la quatrième place, avec des joueurs recrutés dans toute la région. Photo Richard Charlín

« Les gens l'ont vécu avec beaucoup d'enthousiasme, comme c'est souvent le cas lorsqu'une équipe a de bons résultats », se souvient Richard Charlin, ancien joueur du club. Les médias se sont fait l'écho de l'épopée, l'équipe a fait la une des journaux. « La première année en troisième division, nous étions sur le point de monter, puis plus rien. Il y avait un très bon groupe de joueurs, avec ses propres limites, ce qui est fondamental pour gagner en football », poursuit l'intéressé.

En 1990, quand la police a commencé à s'intéresser au président narco, les résultats de l'équipe ont commencé à être moins bons. « Au moment où il a vu que ses activités attiraient trop d'attention, il s'est éloigné de l'équipe et a mis un homme de confiance à sa tête », confirme Benito Leiro. Au cours de nos discussions, Richard Charlin a préféré, quant à lui, éviter les sujets extrasportifs. VICE Sports a également contacté un ancien joueur de Cambados ainsi qu'un membre du staff, qui n'ont pas souhaité donner suite. « Les gens ne veulent pas en parler, c'est toujours un sujet délicat à aborder », dit Leiro.

Ce silence découle de trois sentences – plus de 23 années de prison au total – qui définissent bien la trajectoire empruntée par Miñanco : en 1983, il a été condamné pour contrebande de tabac, en 1994 pour trafic de drogue et en 2001 – après une libération conditionnelle en 1998 – pour avoir été à la tête d'une organisation internationale de narcotrafiquants. Cet impressionnant CV suscite évidemment la crainte.

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Selon les souvenirs de certains, et comme les photos d'archives le confirment, Sito Miñanco et Pablo Escobar partageaient quelques points communs : des chemises, une moustache bien dessinée et, bien sûr, l'amour du ballon rond. « Il avait une attitude ostentatoire vis à vis du football », précise Carretero. Quand l'équipe est montée en troisième division, le narco l'a emmenée en tournée au Panama et au Venezuela.

« Les gens pensent qu'on est parti se la coller ou quelque chose, mais on a joué cinq matchs en 12 jours, affirme Charlín, qui rigole quand je lui demande si les histoires d'hôtels de luxe et de terrains de golf sont vraies. On nous a donné des clubs et on a tapé dans quelques balles au milieu de la rue, c'est pas vraiment du golf ça. » D'après lui, faire une tournée en Amérique latine n'était pas quelque chose de bizarre pour une équipe de sa catégorie. « Le Lalín [qui jouait en Segunda B] était allé au Venezuela avant nous, et j'ai rien vu là-dessus dans la presse. »

Après la tournée au Panama, Sito est rentré avec une nouvelle copine, Odalys Rivera, nièce d'un ministre du dictateur Manuel Noriega, et on pouvait souvent la voir dans les gradins à côté des nanas du coin. Les voisins disent qu'elle se baladait dans le village en Ferrari Testarossa – même si Richard dit qu'il l'a juste vue en Mercedes blanche – et que, de temps en temps, le narco déposait les footballeurs au stade en yacht ou en hors-bord.

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Quoi qu'il en ait été, pendant la belle époque de Cambados, les habitants, le maire et la presse se sont beaucoup vantés des succès de l'équipe. La qualité sportive, finalement, était au rendez-vous, et dans le village tout le monde savait que le président était un contrebandier. Quand l'ancien stade s'est avéré trop petit, Miñanco a payé lui-même la construction d'un nouveau terrain avec des gradins pour 2 000 personnes.

Le maire de Cambados, Antonio Pillado, remet une plaque pour rendre hommage à Sito Miñanco. Image via La Voz de Galicia

Plusieurs membres du club ont participé aux activités illégales du président et il y avait un groupe de fans qui se faisait appeler le Comando Legal – un nom inspiré de l'ETA. « A cette époque, les ultras de Cambados étaient les espions de Sito, raconte Carretero. Ils notaient les immatriculations, surveillaient la police et étaient au courant de tout ce qui se passait dans la ville ».

A Cambados, tout le monde sait que les joueurs étaient payés en cash, ce qui n'était pas quelque chose de rare selon Richard qui a affirmé que, dans les vestiaires, il n'y avait peut-être pas de sacs remplis de billets, mais au moins des enveloppes.

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Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts comme on dit. L'équipe de Cambados évolue actuellement en première division régionale, la sixième division. En 2014, à l'occasion du 25e anniversaire de cette épopée, les anciens se sont réunis pour se remémorer ces bons vieux souvenirs. « La majorité des anciens joueurs se porte très bien », commente Richard, qui est par la suite devenu président du club.

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Certains anciens joueurs de Cambados, réunis 25 ans après. Image Richard Charlín

Il affirme tout de même que le mérite revient également aux joueurs et pas seulement à l'argent de la drogue. « Quand tu joues dans une équipe de football, tu ne viens pas pour une personne en particulier. A la limite pour un entraîneur, mais pas pour un président. C'est dommage parce que toute cette histoire fait passer la performance des joueurs au second plan, alors que les victoires se sont construites sur le terrain ».

En Galice la plaie qu'est le trafic de drogue est encore ouverte. Dans le cas de Cambados, les gens ont peut-être peur de parler parce que Sito Miñanco continue de se rendre dans la ville quand il est en permission.

Celui qui a voulu se la jouer comme Pablo Escobar a aujourd'hui 61 ans et est toujours incarcéré, à la prison d'Algericas. En théorie, il pourrait être libéré en 2018, mais le processus judiciaire, toujours en cours, pourrait le laisser derrière les barreaux bien plus longtemps.

En 1993, il y en avait qui chantaient que Miñanco était un prisonnier politique, un exemple dans la culture populaire galicienne. Son histoire et celle de Cambados font partie des nombreuses anecdotes du trafic de drogue en Espagne. On vous laisse avec la chanson à la gloire du président.