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Crime

Les paramilitaires colombiens se moquent bien des accords de paix

Ils ont brûlé la maison de Sixta Campo, chef de village, menacée de mort si elle ne quitte pas les lieux. Elle raconte comment pour elle, comme pour d'autres, les accords poussifs négociés entre son gouvernement et les FARC ne changeront rien.
Photo de Meredith Hoffman

Un accord de paix du gouvernement Colombien avec les guérilleros FARC ne résoudra pas tous les problèmes du pays. Et encore faut-il que ces négociations reprennent, après l'annonce ce dimanche de leur suspension suite à l'enlèvement d'un général dans une région où les Forces armées révolutionnaires de Colombie sont présentes.

C'est que toutes les factions paramilitaires violentes de Colombie ne participent pas à ces pourparlers. Prenez le cas de Sixta Campo, une leader communautaire menacée de mort par l'un de ces nombreux autres groupes armés.

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« Vous êtes considérée par notre organisation comme un objectif militaire, en conséquence vous serez exécutée dans six jours - écoutez bien - dans six jours, si vous n'abandonnez pas les terres de Púa » était-il écrit dans la lettre de menace dactylographiée que Sixta Campo a reçue d'une faction paramilitaire appelée les « Caballeros Anti-Tierras ».

Ce printemps le groupe a incendié des maisons de son village, au cours d'une attaque qui n'a pas fait de morts. Campo a construit un abri de fortune en plastique pour remplacer sa maison brûlée avant de recevoir la lettre, sur laquelle est apposé un crâne stylisé : « Cette terre ne t'appartient pas, cette terre a déjà des propriétaires. »

D'après un récent rapport des Nations Unies, des groupes armés - pour la plupart des paramilitaires et des groupes non-affiliés aux FARC - continuent d'expulser environ 15 000 personnes de leurs maisons chaque mois.

« C'est une situation particulière à la Colombie, que nous soyons au milieu d'un processus de paix ou en période de conflit. »

Le traité de paix nécessitera un référendum pour entrer en vigueur. Un mix de grosses entreprises, de pop stars et de publications a mené une campagne en faveur de la paix baptisée « Soy Capaz » - J'en suis capable. Aucun sondage n'a pour l'instant montré si cette campagne favorise la confiance dans le processus de paix. Face au climat de violence constant, l'opinion publique peut tout aussi bien rester méfiante.

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Lutte contre la contrebande à la frontière venezuelo-colombienne. À lire ici. 

Une lettre d'un groupe paramilitaire menace directement Sixta Campo, chef de sa communautaire (Photo par Meredith Hoffman)

« C'est une situation particulière à la Colombie, que nous soyons au milieu d'un processus de paix comme en temps de conflit » déclare à VICE News Rosa Jimenez, directrice du département « paix et déplacements ». Elle insiste sur le fait que, même si la violence s'est beaucoup apaisée ces dernières années, un traité de paix officiel  avec les FARC, ne peut pas mettre fin aux affrontements dans le pays, qui pour une large part concernent des groupes paramilitaires.

Les paramilitaires ont été officiellement démobilisés il y a 10 ans, mais ils restent puissants et sont impliqués dans le trafic de drogue et l'exploitation illégale des mines.

« Notre pays est totalement divisé à propos du traité de paix » affirme Jimenez. « Si le traité est signé ça sera difficile, mais s'il n'est pas signé, ce sera bien pire encore. »

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Lorsque le village de Púa, en bordure de Cartagena, a été brûlé par un groupe paramilitaire au printemps dernier, les habitants ont construit des abris en plastique pour remplacer leurs maisons. (Photo par Meredith Hoffman)

Púa est un hameau que l'on atteint en empruntant un sentier rocailleux, non loin d'une route côtière, à une heure de Cartagena. Là-bas, Campo explique à VICE News que le traité a peu de chances de ramener la paix dans son village. Elle affirme que la police locale a aidé les paramilitaires à incendier leurs maisons.

« Pour moi ce processus de paix ne veut rien dire », insiste Campo. Elle et d'autres habitants racontent que lors d'une des descentes, des policiers leur ont ordonné de partir pendant que les paramilitaires entraient dans leurs maisons pour y mettre le feu.

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« Les policiers ont agrippé et frappé des femmes… Et quand nous sommes revenus pour essayer de sauver notre moisson, ils refusaient de nous laisser passer » dit un fermier de Púa. Il est trop effrayé pour donner son nom ou se laisser prendre en photo. Il raconte que le groupe armé a pris leurs récoltes, et que la communauté lutte à présent pour produire assez de nourriture pour survivre.

« On ne peut pas aller en ville. Il n'y a rien pour nous là-bas. Nous sommes des fermiers », dit l'homme. « Voilà ce que l'on a compris. On a plus qu'à demander de l'aide à l'homme qui est au ciel. »

Sur la lettre destinée à Campo figure un crâne stylisé. (Photo par Meredith Hoffman)

Une enquête conjointe de trois services de Cartagena - le bureau des droits fonciers, le bureau d'aide aux victimes, et le bureau de gestion des risques - a conclu en mai que « la police est impliquée dans les expulsions. » Un ancien militaire entretenant d'étroites relations avec la police a indiqué à VICE News que des policiers ont accepté des pots-de-vin pour aider le groupe de miliciens à brûler les maisons et à expulser les habitants de Púa de leurs terres. Il ajoute qu'une corruption de ce type est « habituelle » dans la police.

La police de Cartagena n'a pas répondu à nos appels et nos courriels demandant un commentaire. Un officiel de Cartagena a indiqué qu'il ne pouvait ni confirmer ni infirmer l'implication de la police, se bornant à dire que son service était en train de mettre en place à Cartagena un abri pour les habitants de Púa.

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Alors que la corruption de la police est un problème endémique, beaucoup de Colombiens craignent les paramilitaires tout autant que les rebelles des FARC. N'importe quel groupe armé avec assez d'argent trouvera le moyen de continuer à faire la loi dans une région de ce pays qui compte la deuxième population de déplacés du monde.

Des groupes indépendants qui comptabilisent les menaces de morts dans le pays rapportent une vague record de menaces. 150 menaces de mort à l'encontre des défenseurs des Droits de l'homme et autres ont été rapportées de juin à septembre, et, d'après l'organisation Somos Defensores, leur nombre a augmenté de 243 pour-cent par rapport à la même période en 2013.

À la mi-octobre, des paramilitaires ont envoyé une lettre collective de menace de mort à 99 personnes. La lettre faisait l'éloge d'Alvaro Uribe, l'ancien président et désormais principale figure d'opposition qui avait pris l'initiative de démobiliser les paramilitaires. Uribe est à l'heure actuelle visé par une enquête pour conspiration avec des membres des groupes paramilitaires.

Diana Sanchez est directrice du groupe de justice sociale Minga. Elle dit que les hommes qui sont derrières les menaces de mort « essaient de provoquer une crise ».

Des membres de la communauté de Púa débattent de la manière de se protéger des menaces incessantes des paramilitaires. (Photo par Meredith Hoffman)

Jimenez, l'universitaire de Cartagena, affirme que beaucoup de paramilitaires ont continué de se battre après la démobilisation de 2005, et pour elle, la même chose arrivera avec les guérilleros. Le gouvernement a seulement renommé les combattants paramilitaires « groupes armés », mais ceux-ci sont « tout aussi nuisibles » que leurs prédécesseurs, dit-elle.

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Ce mois-ci, les représentants des victimes à la conférence pour la paix de La Havane ont demandé plus de protection contre de telles menaces.

Mais pour Edgar Ruiz, qui travaille à la réinsertion des membres des groupes paramilitaires, la démobilisation a été un succès, et les guérilleros peuvent également se réintégrer dans la société. Ruiz, qui représente l'Agence colombienne pour la réparation dans le département du Bolívar, dit que seulement dix pour-cent des 35 000 paramilitaires démobilisés ont récidivé dans le crime. Il affirme que les autres sont devenus des membres actifs de la société.

« Les gens veulent la paix. Le président a été réélu pour son programme de paix » dit Ruiz en parlant de la difficile réélection de Juan Manuel Santos en juin.

Maria Elena Velez est la directrice au logement de Cartagena. Elle explique à VICE News que réintégrer les guérilleros sera coûteux. Des responsables gouvernementaux ont indiqué que le traité permettrait à tous les FARC de déposer les armes en échange de services sociaux et d'allocations logement. Le président Santos est en visite dans une douzaine de pays européens cette semaine pour demander une aide financière afin de couvrir le coût de la réintégration.

« Les guérilleros ont vécu dans ce pays sans rien produire, et ils sont habitués à avoir recours à la violence » avertit Velez. « La paix est très compliquée. »

Santos a assuré que les bénéfices du traité seraient « énormes » à la fois pour la sécurité et pour l'économie du pays, qui s'est déjà développée plus que celle de tous les autres pays d'Amérique latine cette année. Dans une interview avec CNN, le président a souligné qu'il se concentrait également sur la justice sociale et l'éducation, avec l'objectif de faire de la Colombie « la nation la plus éduquée de la région » d'ici à 2025.

Sixta Campo se tient à côté du drapeau colombien à Púa. (Photo par meredith Hoffman)

Sixta Campo n'abandonne pas. Elle assure que les menaces l'ont rendue « plus téméraire que jamais, pour se battre » pour les droits de sa communauté. Elle dit qu'elle ne cédera pas.

« Les gens doivent trouver une autre manière de se traiter les uns les autres, » dit-elle, du fard à paupières rose chatoyant au-dessus de ses yeux noirs, alors qu'elle traîne les pieds sur la piste en terre qui traverse son village. « Nous devons trouver la paix dans nos coeurs.»

Suivez Meredith Hoffman sur Twitter @merhoffman.